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L’Alsace fait sa loi quand Paris l’oublie
| 03.01.11 | 14h42 • Mis à jour le 03.01.11 | 14h42

Beate S. est autrichienne. Simone R. allemande. Elles enseignent toutes deux, en Alsace, dans des classes bilingues franco-allemandes de l’association ABCM Zweisprachigkeit (Association pour le bilinguisme en classe maternelle). ABCM est sous contrat avec l’Etat. Beate a sept ans d’expérience et Simone treize, dont six dans l’école publique. Elles ont demandé, en 2007, à être intégrées en tant que “maîtres contractuels de l’enseignement privé”, ce qui ferait d’elles des agents non titulaires de droit public, comme les enseignants du privé sous contrat.

Le rectorat a refusé. A ses yeux, les deux enseignantes étrangères doivent, si elles veulent être intégrées, présenter les concours français. Les diplômes qu’elles ont, autrichien et allemand, et leur expérience ne les en dispensent pas, estime-t-il. Beate et Simone se sont alors adressées au tribunal administratif de Strasbourg, qui leur a donné gain de cause le 14 décembre. Il a fait droit à l’argumentation développée par leur avocat, Me Pierre-Etienne Rosenstiehl, qui en appelle au droit européen.
Une directive du 21 décembre 1988 établit, dans toute l’Union européenne, un système de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles de trois ans au moins. La France avait jusqu’au 4 janvier 1991 pour rendre son droit compatible avec ces règles. Elle ne l’a pas fait.
Un barrage exagéré
Peu importe, dit le juge. Depuis l’arrêt Perreux de 2009, le Conseil d’Etat permet d’invoquer le droit européen quand la France a omis, malgré ses engagements, de le transposer dans son droit interne. Le rectorat de Strasbourg ne pouvait pas, pour rejeter la requête de ces deux enseignantes, s’appuyer sur des règles incompatibles avec le droit européen, a estimé le tribunal.
Le juge a demandé à l’administration de réexaminer dans les trois mois le cas de ces deux enseignantes, et ordonné à l’Etat de verser 1 000 euros à chacune d’elle. Cette décision fait du bruit en Alsace, où la langue régionale est définie avec ses deux composantes dans tout enseignement bilingue : l’alsacien à l’oral, l’allemand à l’oral et à l’écrit. Plus de 20 000 élèves sont scolarisés en classes bilingues, publiques ou privées.
Le débat est vif depuis des années entre les défenseurs de la langue régionale et l’éducation nationale. Celle-ci recrute par des concours dans lesquels la langue française est prédominante. C’est opposer un barrage exagéré, jugent les associations, à l’embauche d’enseignants germanophones venant d’autres pays européens, quand le développement du bilinguisme scolaire est freiné par le déficit de professeurs capables d’enseigner leur discipline en allemand.
Hier, les diplômes se jouaient des frontières en Europe : la licence en droit que Goethe obtint en 1771 à Strasbourg, alors française, ne lui a jamais été contestée en Allemagne.
Jacques Fortier
Article paru dans l’édition du 04.01.11.