Le feuilleton du centenaire de la Constitution de 1911 en Alsace continue. Chacun y trouve son compte: les DNA d’abord, qui doivent un peu augmenter leurs ventes; les amis de l’Alsace qui pour une fois voient leur thématique diffusée largement, les républicains jacobins de tout poil, de droite, comme Grossmann, de gauche comme Georges Bischoff au aujourd’hui (voir ci-dessous), le magazine Hebdi, de Thierry Hans qui organisait ce 31 mai au café dans le bâtiment du TNS, ex-Landtag, une célébration du centenaire, sur lequel on reviendra en son, en images et en texte. Et aussi, hélas, l’extrême-droite alsacienne, avec Jacques Cordonnier, président d’Alsace d’Abord (plus rien ensuite) et ses juniors de Jeune Alsace.

Ce qui étonne dans la contribution de Georges Bischoff, c’est la légèreté avec laquelle il traite par dessus la jambe les très savantes contributions des juristes et historiens, ( elles figureront, avec les autres, cet automne, dans les actes qui seront publiés)  français et allemands qui ont traité du sujet lors du colloque hébergé au Conseil régional.

Qui, en Alsace connaissait cette Constitution? En tout cas, comme pour d’autres sujets, ce n’est pas l’Éducation nationale qui a instruit les générations successives!

Les juristes l’ont dit au colloque, que le texte en question tient plus d’une Charte octroyée que d’une vraie Constitution qu’un peuple, et non un prince, se donne à lui-même. n’empêche, il y a bien eu des élections et des élus et un Parlement qui a fonctionné, trop brièvement, jusqu’au déclenchement de la guerre de 1914.

On ne comprend pas la logique de Bischoff lorsqu’il affirme qu’il s’agit, en 1911, d’une “ mise au pas avant l’heure“. Si “mise au pas” il y a eu, c’est plus dans les années qui ont suivi 1870, et pas en 1911, et à nouveau, mais là c’est la guerre qui s’annonce, en 1914. A moins que par “mise au pas“, comme son compère en miroir, Grossmann, il ne confonde exprès l’Alsace du Kaiser et celle du Gauleiter Wagner?

Pourquoi traiter de “nostalgiques” – et pourquoi pas collabos des nazis, pendant qu’on y est- des Alsaciens sincères qui retrouvent des pans de leur histoire, cachée, par le roman national, et qui, loin de regarder dans le rétroviseur, comme le prétend Grossmann, réfléchissent à d’autres formes d’organisation politique, régionaliste, autonomiste, fédérale, comme nos voisins allemands les connaissent. Ne s’agit-il pas au fond de la même chose que l’Union européenne appelle d’un mot plus savant, la subsidiarité?

Marc Chaudeur sur le même sujet:

On trouve dans cet article un certain nombre d’éléments erronés .

1 ” la Constitution (…)n’est pas plus affriolante que la charte accordée par Louis XVIII sous la Restauration ” Si : la nature même et la fonction de ces 2 textes est TRÈS différente . Je n’ai hélas pas le temps de m’ attarder ce soir . Mais une différence de taille pour ce qui concerne leur importance intrinsèque et leur contexte : c’est que la Constitution de 1911 entérine dans les faits l’entrée de l’Alsace dans la modernité, au sens socio-économique le plus fort du terme .

2 mais le fait-elle sur le plan politique ? ” … une principauté d’opérette, (…) envoyée à la casse par ses concepteurs avant même d’avoir été rodée”, écrit M. Bischoff . Mais dans l’esprit de ces “concepteurs”, ce texte ne représentait qu’un passage vers une institution plus satisfaisante ! Il fallait, selon eux, revoir le rôle précis des deux Chambres, respectivement , et bien d’autres éléments juridiques plus techniques .  Par ailleurs, la vie de cette Constitution s’achève . . . en 1914, début de la Grande Boucherie, dont on s’accordera à dire que les responsabilités en sont partagées . . . ( voir la montée du boulangisme, du revanchisme, d’un patriotisme très claironnant et extrémiste en République française, très dangereux !) Ajoutons que ce qui fait aussi (surtout ?) une démocratie (” Elle est tout sauf démocratique “, écrit M. Bischoff), c’est le progrès social : or, a contrario, on oublie naïvement ou on fait mine d’oublier, trop souvent, que la République, à cette époque (et à d’autres … ) réprimait TRÈS durement, aussi durement au moins que le Second Reich, toute grève importante et tout conflit social  : combien de centaines d ‘ouvriers, sous la III° République, abattus ou piétinés par la maréchaussée ! A ce propos, il ne faut jamais confondre, comme le font allègrement, par besoin religieux sans doute, les amis chevènementistes de M. Bischoff, la réalité de la République et son mythe .

3 que signifie “la fin de l’Alsace alsacienne” ?  En réalité, dans l’esprit de ses promoteurs, il s’agissait de mettre fin à l’ Alsace des notables (à lire : l’ouvrage éponyme de  François IGERSHEIM, remarquable !), à ce tissu au fond très français de clientélisme, à la mainmise devenue traditionnelle de certaines catégories socio-professionnelles qui empêchait, puis paralysait précisément l’essor industriel, social et donc, politique de l’Alsace . Pour ma part, je n’appellerais pas cela ” l’Alsace alsacienne” : il s’agit de l’Alsace d’une époque particulière, celle de 1750à 1880 à peu près . Une Alsace dont sans doute, pour des raisons sociologiques et familiales, M. Bischoff garde la vive nostalgie .

4 pourquoi l’historiographie française a-t-elle été si discrète sur cette époque et cette Constitution de 1911 ? C’est que la prospérité de l’ Alsace du Second Reich dérangeait – et fort visiblement,  dérange, notamment dans la corporation des historiens ! “(…) le fantasme du complot jacobin “main basse sur “notre” (sic) histoire” , écrit M. Bischoff . Il ya beaucoup à dire sur cette phrase . D abord, merci pour cet hommage à François Waag, auteur d’un excellent petit ouvrage sur le Mémorial de Schirmeck, et qui porte ce titre (est-ce cela que, travaillé par le ressentiment, M. Bischoff qualifie de “révisionnisme ” ?) .
Ensuite, lorsqu’on est confronté depuis des décennies au déni historique, à la construction d’un mythe national souvent ridicule et infantile ( lire à ce sujet  le beau livre de Suzanne CITRON, Le Mythe national), aux amalgames injurieux, aux refus hypocrites ou brutaux d’enseigner l’Histoire de l’Alsace, on ne peut en aucun cas douter du caractère volontaire, institutionnel, voire même constitutif de la République française, de cette conception de l’enseignement .
Enfin, quelque chose m’intrigue beaucoup, et j’avoue n’avoir pas compris cet énoncé : pourquoi ce “notre (sic) histoire” ?  L Histoire de l’Alsace n’est-elle pas notre histoire ? Est-ce donc pour cela, alors, que les amis jacobins de M.. Bischoff refusent de permettre et de pratiquer un enseignement effectif de l’Histoire de notre région ? L’ Histoire de France est-elle davantage nôtre que celle de notre Alsace ?

Pour toutes ces raisons, au contraire de M. Bischoff, je pense que :

si, 1911 est un moment fondateur de l’Alsace contemporaine !
si, il est un jalon dans la fondation de la démocratie moderne .

Pour finir, un élément   ne jamais omettre : les imperfections du texte de1911 ne proviennent-elles pas grandement des suites du travail de sape stérile que pratiquait le camp des nationalistes français nostalgique, celui des Wetterle, Bucher, etc ? Un certain nombre d’historiens sérieux s’ accordent sur ce point .

lu dans les DNA

Point de vue / Il y a cent ans, la Constitution d’Alsace-Lorraine

« Se garder de tout anachronisme »

L’historien Georges Bischoff. (Photo DNA) 

L’historien Georges Bischoff. (Photo DNA)


Par Georges Bischoff

« Le centenaire de la Constitution de 1911 ne fait pas partie des célébrations nationales de 2011 labellisées par le ministère de la Culture.

On peut le regretter, au nom de la vérité historique, et, plus largement, au nom de la culture historique de nos compatriotes.

Pour la même raison, on peut admettre qu’un colloque universitaire soit accueilli par une collectivité issue du suffrage universel – ce qui ne préjuge en rien d’une filiation. Dans les deux cas, il s’agit de mettre en perspective un événement, de l’expliciter, et de faire œuvre de pédagogie.

En effet, quoi qu’il en soit, l’Alsace-Lorraine annexée (qui survit à travers du statut local d’Alsace-Moselle) est la seule portion du territoire français qui ait expérimenté l’autonomie, en disposant d’un gouvernement local.

Encore faut-il connaître les circonstances de la chose, et se garder de tout anachronisme.

La constitution octroyée par le Reichstag le 31 mai 1911 n’est pas plus affriolante que la charte octroyée par Louis XVIII sous la Restauration. Elle est tout sauf démocratique, avec un souverain héréditaire, Guillaume II, à qui les élus prêtent serment, une chambre haute nommée par le pouvoir, un ministère irresponsable et le couperet du veto impérial.

Les ingrédients d’une principauté d’opérette

Ce sont les ingrédients d’une principauté d’opérette, plus virtuelle que réelle, envoyée à la casse par ses concepteurs avant même d’avoir été rodée.

La légitimité du modèle (nul et non avenu) se discute, mais rien n’interdit de rêver.

En Histoire, les études de cas sont toujours instructives, à condition de les aborder froidement : on peut expliquer, comprendre, comparer, et même en tirer de la graine. Mais celle-ci est-elle toujours bonne ?

Soyons sérieux : ce n’est pas un moment fondateur de l’Alsace contemporaine, et encore moins de la démocratie moderne.

Au contraire, le texte imposé par le Reichstag valide ce qui s’est fait par la force en 1870 : c’est une « incorporation de forme », le point final de la politique de Bismarck. Et, dans l’esprit de ses promoteurs, une mise au pas avant l’heure : la fin de l’Alsace alsacienne. Robert Grossmann a le courage de le rappeler.

Si la constitution postiche de 1911 ne fait pas la une des manuels d’histoire, ce n’est pas parce qu’elle est victime de la censure des vainqueurs – le fantasme du complot jacobin « main basse sur « notre » (sic) histoire » -, mais parce qu’elle n’est qu’un fossile sans grand intérêt, enfoui sous une mémoire autrement plus vive.

Le folklore dérisoire d’une poignée de nostalgiques du « drapeau alsacien » (re-sic) renvoie à d’autres frustrations et camoufle un révisionnisme rampant (qui s’exprime plus ouvertement sur Internet).

La question est de savoir dans quelle mesure ce poison peut se dissoudre dans la soupe tiède d’une commémoration sans esprit. Et, bien entendu, d’en être immunisé. »

G. B.