L’autorité de sureté nucléaire a donné son feu vert à la poursuite de l’exploitation de la centrale de Fessenheim, mais sous deux conditions qui la rendent problématique: consolider le radier (les fondations) et garantir, par un dispositif nouveau, l’évacuer la puissance résiduelle en cas de perte de la source froide.

Par ailleurs cet automne doivent avoir lieu les stress tests demandés par l’Union européenne. Et Nathalie Kozciuko Morizet indique que l’avis de l’ASN ne vaut pas feu vert.

Le scénario subodoré par Jean-Marie Brom, tel que publié dans les Dernières Nouvelles d’Alsace récemment se confirmerait.

Point de vue / Après l’annonce de l’ASN concernant la centrale de Fessenheim

Fuite ou stratégie ?

«À première vue, l’annonce faite par le Figaro du 23 juin à propos du rapport de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (DNA du 24 juin) concernant la centrale de Fessenheim n’a rien d’extraordinaire. Ce rapport est terminé depuis le mois de mars 2011, et le retard pris par l’ASN est entièrement dû à la catastrophe de Fukushima… Et pourtant, il y a de quoi se poser pas mal de questions…

– À la suite de la visite décennale du réacteur n° 1 (octobre 2009 – avril 2010), l’exploitant a comme prévu rendu son «dossier de sûreté» en décembre 2010. On peut noter que cette visite s’est passée «normalement»: pas de nouvelles fissures détectées, étanchéité des circuits et du bâtiment réacteur avec des niveaux de fuite «acceptables», une série de travaux de remplacement d’éléments obsolètes ou vieux… Et normalement – c’est ce qui avait été annoncé à l’époque-, l’ASN devait rendre son avis en mars 2011. Fukushima passant par là, on peut comprendre que l’ASN n’ait pas osé donner un avis en plaine tourmente: l’avis ne pouvant être que favorable, tout ayant été organisé (et payé plus de 60 millions d’euros) pour cela.

– On peut également comprendre la gêne éprouvée par notre chère Autorité: un avis favorable pourrait rendre inutiles les fameux «stress tests», qui n’ont de tests que le nom; un avis trop lié à Fukushima montrerait que tout bien pesé, l’ASN ne fait pas son boulot et qu’il faut s’attendre au pire pour les 57 autres réacteurs nucléaires français.

La date de l’annonce du rapport de l’ASN relève du plus pur mensonge

Alors on tergiverse du côté de l’ASN, on repousse la publication d’un rapport promis pour avril, puis mai, et aujourd’hui, sur le site de l’ASN, on peut voir un communiqué prétendant que «Conformément à ce qu’elle avait annoncé au début de l’année 2011, l’ASN prendra position début juillet…». Ce qui relève du plus pur mensonge.

Il y a quand même deux faits qui ne laissent pas d’intriguer:

– En trente ans de nucléaire, ce qui représente quand même quelques centaines de visites décennales, c’est la première fois qu’une telle fuite se produit. En général (et cela avait été le cas pour la centrale du Tricastin l’an dernier), l’ASN envoie discrètement son rapport aux autorités concernées, qui n’annoncent que la décision finale d’autorisation pour 10 ans.

L’ASN ne prend même pas la peine d’informer la Commission Locale d’Information (CLI). Il est vrai que depuis Fukushima, la centrale de Fessenheim est la plus cité de France, quel que soit le côté où l’on se place… Et question fuites, le nucléaire français n’est pas coutumier du fait: en 30 ans, les militants, les experts et le réseau «Sortir du Nucléaire» n’ont eu à se mettre sous la dent qu’une petite dizaine de documents confidentiels…

– Autre première: à en croire l’article du Figaro, l’avis favorable de l’ASN concernant la prolongation du réacteur n°1 serait soumis à des travaux concernant le renforcement du radier (le plancher en béton) de la centrale. Pour la petite histoire, lors de chaque contre-expertise de visite décennale, nous avions soulevé ce point de faiblesse, avec celui des piscines de combustible insuffisamment protégées (ce qui est d’ailleurs le cas sur l’ensemble des centrales françaises…). Toujours est-il que jamais jusqu’à ce jour, l’avis de l’ASN n’a été assorti de ce type d’exigence. Et techniquement parlant, ce ne serait pas une mince affaire – et une fort longue affaire – que de renforcer le radier existant. Sans parler du coût (les 100 millions d’euros annoncés semblent prématurés, alors qu’aucune étude sérieuse n’a encore été faite). Mais heureusement, l’ASN a découvert que le radier de Fessenheim serait le plus mince de France (?). Les autres réacteurs pourraient échapper à la punition…

Alors, que penser de cette fuite (si fuite il y a), et de ce pré-rapport ?

La centrale de Fessenheim est vieillissante, ce n’est un secret pour personne. Sa situation (zone sismique, en contrebas du Canal d’Alsace, quatre mètres au-dessus de la plus importante nappe phréatique d’Europe occidentale) se complique du fait de sa localisation: l’Allemagne, qui vient de confirmer sa sortie du nucléaire, est sous le vent de Fessenheim. La Suisse, qui renonce elle aussi au nucléaire, est à moins de 40 kilomètres. En outre, sur 34 ans d’activité, la centrale n’a fourni l’électricité escomptée au démarrage que six fois. Pour finir, les exportations d’électricité française ont représenté en 2010 l’équivalent de trois fois la production totale de Fessenheim. Personne ne se rendrait compte de l’arrêt de cette centrale. Tout pour plaire. Sans négliger les 30 ans de mobilisations internationales.

Sans négliger l’approche de l’élection présidentielle de 2012, où le nucléaire pourrait bien être une patate chaude pour les candidats de tous bords.

L’ASN, dans son rapport supposé, reste dans son rôle: compte tenu des résultats de la visite décennale, rien n’interdit de continuer. Mais on trouve, lorsque l’on veut le chercher, un point de faiblesse (le radier plus mince qu’ailleurs) qui peut fort bien permettre de renoncer à Fessenheim sans mettre en cause le reste du parc nucléaire français.

Vers l’automne, l’annonce faite par un candidat à l’élection présidentielle de l’arrêt de la centrale et de la poursuite du reste du programme nucléaire?

On peut dès lors envisager une stratégie auquel le pouvoir actuel nous a déjà habitués: une fuite organisée pour prendre la température de l’opinion (et l’on a vu la levée de bouclier d’aujourd’hui), un rapport évidemment favorable de l’ASN assorti des réserves que l’on sait, et vers l’automne, à la suite de supposés «stress tests», l’annonce faite par un candidat à l’élection présidentielle de l’arrêt de la centrale et de la poursuite du reste du programme nucléaire français décidément hors de toute critique. (et exit Madame Lauvergeon).

Monsieur Sarkozy se poserait ainsi en Européen convaincu (la France est bien isolée aujourd’hui dans une Europe qui se débarrasse du nucléaire) et ferait ce que nous ne sommes pas parvenus à obtenir en trente ans: l’arrêt d’une centrale nucléaire sans accident majeur.»

J.-M. B.

* Directeur de Recherches au CNRS et porte-parole du réseau «Sortir Du Nucléaire»