Publié par Alencontre le 22 – novembre – 2011

Par Gilbert Achcar

J’ai pu assister à la réunion de l’opposition syrienne qui s’est tenue les 8-9 octobre derniers en Suède, près de la capitale Stockholm. Un certain nombre d’opposants, hommes et femmes actifs en Syrie ou à l’étranger, s’y sont retrouvés avec des membres éminents du Comité de coordination (CC) venus de Syrie pour l’occasion, avec la participation du membre le plus éminent du Conseil national syrien [CNS, l’autre faction de l’opposition syrienne, la plus reconnue internationalement], Burhan Ghalioun, son président.

Les organisateurs de la conférence m’avaient invité pour parler sur le thème de l’intervention militaire étrangère dans la situation actuelle en Syrie. Mon intervention fut accueillie avec intérêt et il me fut demandé de la rédiger (je l’avais prononcée à partir de notes succinctes). Je me suis engagé à le faire, mais un emploi du temps chargé m’avait empêché de tenir cette promesse jusqu’à présent.

Les événements se sont précipités en Syrie ces derniers jours, avec un débat de plus en plus vif autour des questions de l’intervention militaire et de la militarisation de la crise, les deux sujets de mon intervention en Suède. Ces développements m’ont poussé à remplir mon engagement avant qu’il ne soit trop tard. Je vais donc développer ici les vues que j’ai exprimées en Suède, avec un commentaire sur les développements les plus récents relatifs à ces questions.

Mon intervention à la conférence d’octobre a été précédée par une question adressée par un participant à Burhan Ghalioun quant à sa position, ou celle du CNS, au sujet des appels à une intervention militaire en Syrie. Ghalioun répondit que cette question n’est pas discutée actuellement, car aucun pays ne manifeste une quelconque volonté d’intervenir militairement, et que «lorsque nous serons confrontés à une telle volonté d’intervention, nous adopterons la position appropriée».

J’ai commencé mon intervention en soulignant que l’opposition syrienne devait définir une position claire sur la question de l’intervention militaire étrangère, car il est évident que sa position a une influence majeure sur la perspective d’une telle intervention. La réticence que nous pouvons voir aujourd’hui de la part des Etats occidentaux et régionaux quant à une intervention directe pourrait changer demain si les demandes d’intervention faites au nom de l’opposition syrienne venaient à se multiplier.

C’est la demande du Conseil national transitoire libyen pour une intervention militaire internationale, formulée au début du mois de mars, qui a ouvert la voie à la Ligue arabe pour effectuer une demande similaire, suivie de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Si l’opposition libyenne avait rejeté une intervention militaire directe sous toutes ses formes (au lieu de s’opposer uniquement à une intervention au sol et demander un soutien aérien comme elle l’a fait), la Ligue arabe n’aurait pas requis l’intervention, et l’ONU ne l’aurait pas sanctionnée.

La Libye et les coûts de l’intervention militaire étrangère

Ayant participé aux discussions à ce sujet, je me suis appuyé sur les leçons de l’expérience libyenne dans mon intervention. A l’instar de la grande majorité du public arabe, j’avais exprimé ma compréhension pour le fait que les rebelles libyens avaient été contraints de faire appel à un soutien étranger afin d’éviter le massacre de masse qui aurait pu être commis si les forces de Kadhafi étaient parvenues à prendre d’assaut les bastions du soulèvement à Benghazi, Misrata et ailleurs, les rebelles n’étant pas en mesure de repousser une telle attaque par leurs propres moyens à ce moment-là.

Nous avons fait porter à Kadhafi toute la responsabilité d’avoir créé les conditions menant à l’intervention étrangère, tout en mettant en garde les rebelles libyens contre toute illusion au sujet des intentions des puissances occidentales qui intervenaient ostensiblement en leur faveur. En effet, l’intervention militaire étrangère en Libye s’est faite à un prix élevé, qui peut être résumé ainsi :

• Le prix politique immédiat de l’intervention étrangère fut qu’elle permit à Kadhafi de prétendre qu’il représentait en quelque sorte la souveraineté nationale et d’accuser les rebelles d’être des « agents de l’impérialisme occidental ». Cela a influencé une partie de la société libyenne, bien que limitée.

• Le prix politique le plus important fut que les puissances intervenantes se sont efforcées de confisquer aux rebelles libyens leur pouvoir de décision. Elles ne se sont pas limitées à stopper l’attaque contre les bastions du soulèvement et à empêcher Kadhafi d’utiliser sa puissance aérienne. Elles sont allées bien plus loin, en détruisant les forces aériennes libyennes (les Etats occidentaux, particulièrement la France et la Grande-Bretagne, attendent avec impatience de vendre des armes à la Libye de l’après-Kadhafi) ainsi que des parties importantes des infrastructures et des édifices publics du pays (les Etats occidentaux et la Turquie ont commencé à se livrer concurrence pour le marché libyen de la reconstruction avant même que le régime de Kadhafi ne soit tombé). Les puissances occidentales ont refusé de fournir aux rebelles libyens les armes qu’ils réclamaient de façon urgente et insistante afin de pouvoir poursuivre la libération de leur pays sans intervention étrangère directe. Des armes n’ont été remises (par le Qatar et la France) que dans la dernière phase de la bataille. Ces envois limités d’armes ont hâté la chute du régime de Kadhafi, après une longue période d’impasse sur les fronts.

• L’objectif des puissances occidentales était de s’imposer comme des acteurs majeurs de la guerre contre le régime de Kadhafi de sorte à pouvoir la diriger. Elles ont voulu établir une feuille de route pour la Libye de l’après-Kadhafi; elles ont même créé un comité international à cette fin. Elles ont également essayé pour un temps de conclure un accord avec la famille Kadhafi derrière le dos du Conseil national libyen. En conséquence, le destin de la Libye s’élaborait à Washington, Londres, Paris et Doha plus qu’en Libye même, avant la libération de Tripoli. Certes, le désir des Etats occidentaux de contrôler la situation en Libye après Kadhafi était tout à fait illusoire, comme nous l’avions prévu. Mais, cela se produit alors qu’il règne aujourd’hui un grand chaos en Libye, aggravé par l’ingérence étrangère tant occidentale que régionale.

La Syrie: entre la Libye et l’Egypte

L’impression qui prévaut aujourd’hui, toutefois, est que cette intervention étrangère a empêché l’écrasement du soulèvement libyen, qui, s’il s’était produit, aurait mit fin au processus révolutionnaire dans l’ensemble de la région arabe. L’intervention a permis aux rebelles libyens de libérer leur pays des griffes de leur dictateur brutal à un coût qui reste bien moindre que celui que les Irakiens ont dû payer pour être libérés du régime tyrannique de Saddam Hussein par une invasion étrangère. L’occupation de l’Irak arrive à son terme après huit terribles années, durant lesquelles le pays a touché le fond et payé un prix humain et matériel exorbitant, tout cela pour se retrouver confronté aujourd’hui à un avenir sombre et menaçant.

La conséquence de cette différence entre la Libye et l’Irak est que, tandis que le second exemple est plutôt repoussant aux yeux des Syriens, l’exemple libyen a instillé dans l’esprit de beaucoup le désir de l’imiter. Cela se reflète dans les appels croissants à une intervention militaire depuis la libération de Tripoli, au point que la journée de mobilisation du vendredi 28 octobre a été placée sous le signe de la demande de «zone d’exclusion aérienne».

Quiconque imagine cependant qu’un scénario à la libyenne puisse être répété en Syrie se trompe cruellement. L’opposition syrienne doit être consciente que le coût d’une éventuelle intervention militaire directe en Syrie (par opposition à une intervention indirecte, telle que la fourniture d’armes) sera beaucoup plus élevé que dans le cas libyen, et ce pour de nombreuses raisons dont les plus importantes peuvent être résumées comme suit :

• La situation militaire en Syrie est très différente de ce qu’elle était en Libye. Ce dernier pays est caractérisé par la présence de concentrations urbaines séparées par des espaces de territoire quasi désertique, souvent vastes. En de telles circonstances, la puissance aérienne devient essentielle, d’autant que les zones contrôlées par les rebelles libyens étaient presque totalement vides de partisans du régime. C’est pourquoi le régime eut recours à la force aérienne dans son offensive contre-révolutionnaire. C’est aussi ce qui a rendu le soutien aérien étranger très efficace pour la protection des zones rebelles et la limitation du mouvement des forces du régime en dehors des zones habitées, le tout à un coût en pertes civiles relativement limité.

Par contre, la densité de population en Syrie est beaucoup plus élevée qu’en Libye et opposants et partisans du régime beaucoup plus mêlés, ce qui a empêché le régime syrien d’utiliser ses forces aériennes de manière extensive. Par conséquent, une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Syrie n’aurait que des effets très limités si elle devait se limiter à l’exclusion aérienne au sens strict ; ou elle aurait des conséquences dévastatrices en vies humaines et destructions, si elle devait prendre la forme d’une guerre aérienne générale contre le régime comme ce fut le cas en Libye. Comme les capacités défensives de l’armée syrienne sont bien plus importantes que n’étaient celles des forces de Kadhafi, l’échelle et l’intensité du combat seraient bien plus élevées en Syrie – sans oublier que le régime syrien n’est pas isolé comme l’était celui de Kadhafi et qu’une intervention militaire étrangère en Syrie enflammerait toute la région, qui est hautement explosive.

Par ailleurs, aucune ville syrienne n’est actuellement confrontée au danger d’un massacre à grande échelle comme Benghazi l’était, ou même à un sort comparable à celui de la ville syrienne de Hama en 1982, lorsque le régime Assad put l’isoler du reste du pays. La force de l’insurrection syrienne réside dans le fait qu’elle s’est étendue très largement et que les rebelles n’ont pas fait l’erreur de prendre les armes, ce qui, si cela s’était produit, aurait considérablement affaibli l’élan du soulèvement populaire et permis au régime de l’éliminer bien plus facilement.

Les rebelles syriens ont eu recours jusqu’à maintenant à des formes de lutte telles que les protestations de nuit et les manifestations du vendredi (cela non pour des raisons religieuses, mais parce que le vendredi est le jour officiel de congé et qu’il est difficile pour le régime d’empêcher aux gens de se rassembler dans les mosquées), de sorte à préserver l’anonymat de la plupart des manifestants. Ce mode de manifestations façon guérilla est la méthode appropriée lorsqu’un soulèvement populaire fait face à une répression brutale menée par une force militaire d’une supériorité écrasante.

• A l’inverse du régime caricatural de Kadhafi – lequel s’était depuis des années tourné vers différents Etats occidentaux avec lesquels il avait établi une forte coopération dans les domaines économique, sécuritaire et des renseignements – le régime syrien reste un obstacle aux yeux des Etats-Unis pour leurs projets dans la région, du fait de son alliance avec l’Iran et le Hezbollah libanais et son soutien à une variété de forces palestiniennes opposées à la capitulation parrainée par les Etats-Unis.

Reconnaître cette réalité ne doit en aucun cas suggérer qu’il faut s’abstenir de soutenir les revendications populaires pour la démocratie et les droits humains, que ce soit en Syrie ou en Iran. Il faut, cependant, la prendre en considération, à la manière de l’opposition iranienne qui est catégoriquement opposée à une intervention militaire étrangère dans les affaires de son pays et défend son droit à développer l’énergie nucléaire face aux menaces israélo-américaines qui tentent de l’en empêcher en prétendant que l’Iran élabore des armes nucléaires.

L’opposition syrienne critique le régime à juste titre pour son opportunisme, citant tant son intervention au Liban contre la résistance palestinienne et le mouvement national libanais en 1976 que son adhésion à la coalition dirigée par les Etats-Unis dans la guerre de 1991 contre l’Irak. Ceux qui critiquent la duplicité du régime syrien par rapport à la cause nationale ne doivent pas permettre à celui-ci d’apparaître crédible dans sa prétention de combattre les « agents » des puissances occidentales, et ce en requérant l’intervention militaire de ces mêmes puissances occidentales. L’opposition nationale ne doit pas permettre au régime de surenchérir sur elle dans la défense de la cause nationale ; elle doit réaliser que, puisque que le territoire syrien est partiellement occupé par Israël avec le soutien des Etats occidentaux, elle ne doit pas chercher de l’aide du côté des ennemis et oppresseurs de la Syrie. Si ces puissances venaient à intervenir, elles s’efforceraient sûrement d’affaiblir stratégiquement la Syrie, comme elles ont affaibli l’Irak.

• Renverser un régime, quel qu’il soit, est un objectif stratégique pour lequel les moyens diffèrent selon les cas et les pays. La stratégie dépend de la composition du régime que les révolutionnaires essayent de mettre à bas.

Considérons, par exemple, les différences entre les cas de l’Egypte et de la Libye.

En Egypte, l’armée régulière en tant qu’institution était et demeure l’épine dorsale du régime. Le pouvoir de Moubarak en était issu et s’appuyait sur l’armée, mais il ne la « possédait » pas. C’est pourquoi le soulèvement populaire s’est efforcé de préserver la neutralité de l’armée afin de renverser le despote. Cette stratégie a réussi, même si elle a créé parmi les masses l’illusion que l’armée en tant qu’institution avec son commandement pourrait servir le peuple de façon désintéressée. Au lieu d’aiguiser l’esprit critique du peuple et des soldats et de les prévenir que les hautes sphères de l’armée s’efforceraient de préserver leurs privilèges et leur contrôle de l’Etat, les principales forces du mouvement d’opposition ont en fait contribué à répandre des illusions parmi les masses. Le résultat est que la révolution égyptienne est restée incomplète ; en fait, il y a autant d’élément de continuité dans le régime égyptien que d’éléments de changement, sinon bien plus.

En Libye, par contre, Kadhafi avait dissout l’institution militaire et l’avait restructurée sous la forme de brigades attachée à sa personne par des liens tribaux, familiaux et financiers. Il était donc impossible de compter sur la neutralité de l’armée, et encore moins de la gagner à la révolution. Le régime libyen ne pouvait être renversé que par la défaite de ses forces armées ; en d’autres termes, par la guerre. Du fait que l’équilibre militaire entre les forces de Kadhafi et les rebelles quasiment désarmés était d’une façon écrasante en défaveur de ces derniers, l’intervention d’un facteur extérieur dans l’équation était inévitable : soit en armant l’insurrection (le meilleur scénario), soit sous la forme d’une intervention directe dans la guerre entre les rebelles et le régime par une occupation du pays (le pire scénario) ou par un bombardement à distance sans invasion, comme ce fut le cas en Libye. Le résultat est que le changement en Libye est beaucoup plus profond qu’en Egypte en raison de l’effondrement général des institutions du régime de Kadhafi. Aujourd’hui, la Libye est un pays sans Etat, c’est-à-dire sans un appareil qui monopolise la force armée, et personne ne sait quand un Etat y sera reconstruit, ou à quoi il ressemblera.

Où donc se situe la Syrie dans cette équation stratégique ? En fait, elle se situe quelque part entre les cas égyptien et libyen. En Syrie, comme c’était le cas en Libye, le régime s’est entouré de forces spéciales qui lui sont liées par des liens familiaux, confessionnels et par des privilèges. Il est nécessaire de battre cette garde prétorienne pour faire tomber le régime. Dans ce sens, le commandant de l’Armée syrienne libre, le colonel Riyad al-Assaad, a raison lorsqu’il déclare au journal Al-Sharq Al-Awsat [quotidien arabe basé à Londres] (le 5 novembre dernier) que«quiconque imagine que le régime syrien tombera pacifiquement ne fait que rêver».

Toutefois, du fait qu’Israël occupe une partie de son territoire, la Syrie, contrairement à la Libye, dispose également d’une armée régulière fondée sur la conscription universelle des jeunes hommes, et dont les soldats et sous-officiers reflètent la composition de la population syrienne dont ils sont issus. Par conséquent, l’un des axes principaux de la stratégie révolutionnaire syrienne doit être de gagner les rangs de l’armée syrienne à la cause de la révolution.

Le rôle de l’armée dans la stratégie de l’opposition

Si l’insurrection syrienne avait été conduite par une direction dotée d’une vision stratégique (nous voyons bien ici les limites des «révolutions Facebook»), elle aurait essayé d’étendre des réseaux d’opposition au sein de l’armée tout en insistant pour que les soldats ne fassent pas défection individuellement ou en petits groupes, mais plutôt dans les plus grand nombres possibles. En l’absence de direction et de stratégie, des soldats et officiers ont commencé à sortir eux-mêmes des rangs, de façon désorganisée. L’envergure des défections s’est élargie ces deux derniers mois, et elles continuent de s’étendre. Elles ont embarrassé l’opposition politique, dont certains membres reprochent aux militaires dissidents de menacer de faire dévier le soulèvement de sa voie pacifique, tandis que d’autres les saluent tout en les appelant à ne pas tourner leurs armes contre le régime. Ce dernier appel est une proposition suicidaire dont les dissidents ont bien le droit de se moquer.

La tâche stratégique de gagner les soldats syriens à la révolution ne doit pas s’opposer aux manifestations populaires et à leur nature non-violente. Ici encore, le cas syrien combine des éléments des expériences égyptienne et libyenne, c’est-à-dire des foules de manifestant·e·s pacifiques et des affrontements armés. La non-violence des manifestations populaires était, et demeure, une condition fondamentale de l’élan de ce mouvement et de son caractère massif, avec participation féminine. Cet élan est lui-même un facteur décisif dans l’incitation des soldats à se rebeller contre le régime.

Ainsi, la question stratégique la plus compliquée en Syrie est elle de pouvoir combiner les mobilisations pacifiques de masse avec l’expansion de la dissidence militaire et des confrontations armées sans lesquelles les forces du régime ne seront jamais défaites, et il ne tombera jamais. A moins, bien sûr, que l’on attende que des officiers de haut rang du sommet de la hiérarchie du régime sortent des rangs et forcent la famille régnante à fuir le pays pour se réfugier en Iran. Si cela devait arriver, la Syrie se retrouverait dans une situation similaire à celle de l’Egypte, où une partie du sommet de la pyramide est tombée sans que celle-ci ne s’effondre complètement.

Quant à une intervention militaire directe en Syrie, que ce soit sous la forme d’une invasion ou qu’elle se limite à un bombardement à distance, elle mettrait un terme à la tendance à la dissidence au sein de l’armée syrienne et unirait ses rangs dans une confrontation qui convaincrait les soldats que ce que le régime ne cesse d’affirmer depuis le début du soulèvement, à savoir qu’il fait face à un « complot étranger » cherchant à asservir la Syrie, a toujours été vrai. Les demandes formulées par Riyad al-Assaad, le dirigeant de l’Armée syrienne libre (dans l’entretien cité ci-dessus), pour une intervention internationale visant à «imposer une zone d’exclusion aérienne ou une zone interdite à la navigation» et à créer une «zone sécurisée au nord de la Syrie qu’administrerait l’Armée syrienne libre» sont, dans le meilleur des cas, des preuves de plus de l’absence d’une vision stratégique à la direction du soulèvement syrien. Elles sont également un produit de ce mélange de myopie et de réaction émotionnelle face à la brutalité du régime qui conduit certains de ses opposants à espérer ce qui pourrait aboutir à une catastrophe majeure en Syrie et dans toute la région.

Ceux qui souhaitent la victoire du soulèvement du peuple syrien pour la liberté et la démocratie d’une façon qui rende possible de renforcer sa patrie plutôt que de la saper, doivent élaborer une position des plus claires sur ces questions cruciales. Il n’est pas possible de simplement les ignorer au nom de l’unité contre le régime, parce que le sort de la lutte et celui du pays lui-même en dépendent.

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Gilbert Achcar est professeur à l’Ecole des études orientales et africaines (SOAS) de l’Université de Londres et auteur, entre autres, de L’Orient incandescent, Editions Page deux, 2003, et Le dilemme israélien. Un débat entre Juifs de gauche, Editions Page deux, 2006.