DSCN4999La ville de Strasbourg a organisé différentes initiatives dans le cadre d’un Carrefour des solidarités.

Mercredi 30 octobre de 16 à 18h, c’était le tour des Roms.

Anina Ciuciu annoncée était absente pour raison de santé.

Aussi c’est Jean-Claude Bournez, fonctionnaire en charge du dossier à la Mission Rom de la ville qui a animé la soirée. Le même qui présente le visage avenant d’un humaniste ami des Roms en public et qui sur le terrain désigne les baraquements à démolir, pendant l’absence, pourtant momentanée des familles.

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Après un long morceau de musique gitane à la guitare, on a eu droit à une première partie d’un film réalisé par Edouard Bacher sur commande de la Mission Rom de la Ville.

Le moins qu’on puisse dire, quand on connait un peu la situation strasbourgeoise, c’est que ce court-métrage manquait de réalisme et ressemblait plus à un film de propagande qu’à une photographie de la situation des Roms de Strasbourg. Le réalisateur nous avait pourtant prévenu: «Je ne connais rien à la situation des Roms»…

Edouard Bacher nous a ensuite longuement décrit la genèse de sa vidéo, nous expliquant que la Mission Rom de la Ville lui avait désigné les personnes à filmer, puis qu’il avait «naïvement» laisser tourner sa caméra, invitant les personnes à «montrer librement» leur quotidien. A ce stade déjà, Edouard Bacher donnait une piètre image du “faiseur d’images”: méconnaissance du sujet, absence de libre arbitre, inconscience des enjeux, démagogie… Nous nous attendions donc à un petit film d’auto-promotion des actions de la Mission Rom de la Ville confié à la technique d’un tiers.

Le résultat fut pire qu’imaginé, et même d’un tout autre ordre.

Dès les premières secondes, le ton fut donné: des images des camps misérables et boueux de St Gall et Petite-Forêt filmés sur une musique tzigane guillerette enlevait tout impact au drame des situations désespérées vécues sur place. Le choix de ne pas cadrer les trous d’eau et les immondices. Et puis très vite le choix de ne plus filmer ces 2 camps mais l’espace XVI, dont le sol goudronné et la clôture font penser à un parking privé. Et puis le choix de filmer les locataires des caravanes les plus propres pour finalement filmer non plus des Roms mais des Roumains précaires. C’est à dire des précaires. Comme la France en compte tant… Bien sûr, à aucun moment du film, on ne nous signale l’imposture, le film est, du début à la fin, présenté comme «un film sur la situation des Roms de Strasbourg».

Il a fallu les commentaires “étonnés” de personnes du public qui connaissent bien la situation des Roms à Strasbourg et la langue roumaine pour que le masque tombe et que la vérité sur les conditions et choix de tournage se dessine peu à peu: le vidéaste, les organisateurs et animateurs de la soirée obligés d’admettre que leur “bébé” n’était qu’«un certain regard sur les Roms de Strasbourg», qui plus est, tourné avec des Roumains non-Roms…

Et quel «regard»…!!!

Une juxtaposition de “portraits” cadrés de manière à montrer d’avantage le confort des caravanes, l’équipement HI-FI et les véhicules de marques, que le récit des parcours de vie. Un homme diplômé sans travail, filmé dans son fauteuil devant une caravane qui, cadrée en plan large paraissait très grande et en bon état, donnait l’impression d’un vacancier en camping à l’heure de l’apéro. Puis vint une longue séquence sur une femme cherchant du travail, montrée au volant très sport d’un gros véhicule de marque allemande qu’elle conduisait et bichonnait, avec des gros plans sur ses bagues et sur le logo de la marque de la voiture dignes d’un clip hollywoodien… Ou encore un plan tourné en intérieur de caravane où une femme nous vante les bienfaits de la musique pour oublier les difficultés au quotidien tout en tournant le bouton d’une énorme chaine hi-fi qui prenait tout l’écran! Tous les interviewés étaient vêtus de tenues immaculées et au goût du jour comme on en voit peu sur les campements, et tous, tenant peu ou prou le même discours “on veut travailler pour s’acheter une maison et élever nos enfants”, une seule femme insistant sur le fait qu’un travail lui avait été refusé parce qu’elle était étrangère.

Nous étions abasourdis et effarés.

Si, dans un premier temps, nous avions pensé qu’ il s’agissait moins de montrer la situation inadmissible dans laquelle survivent des centaines de personnes, avec des enfants souvent en bas âge, que de faire de la publicité aux actions positives de la ville, très vite le constat s’est imposé à nous qu’il s’agissait d’un tout autre parti pris, et nous avons été soulagé de voir une partie du public aussi inquiète des conséquences sur l’opinion publique d’un tel «regard sur les Roms»… 

Il était désormais évident que le film d’ Edouard Bacher, d’après le scénario de la Mission Rom de la Ville, était tout sauf «naïf» !!!

Car il s’agit bien d’un film de propagande dans les règles. Les premiers effets du film sur l’opinion ne se sont d’ailleurs pas faits attendre puisque la première question posée dans le public a été de savoir si les Roms touchaient le RSA, les allocations familiales ou des aides quelconques…!! Question sans surprise puisque tout dans le film suggère insidieusement que les personnes filmées ne vivent pas dans des conditions pires que bien des “français”, au contraire !

Mais contrairement à nos attentes, ce n’est pas seulement un film de propagande de l’action de la Mission Rom de la Ville qui a été diffusé, mais aussi un film de propagande anti-Rom, reprenant tous les ingrédients des films de propagande de la “grande époque”: le mensonge sur les personnes (pas des Roms mais des Roumains), le mensonge sur leur représentativité (seuls les mieux lotis, les moins pauvres ont été montrés, ceux qui ont signé un contrat de travail ne représentant que 1% des 500 personnes…), les images qui cristallisent l’attention du spectateur (grosse voiture, chaîne hi-fi, bijoux… comme signes extérieurs de richesse), le détournement d’images (par l’ajout d’un élément extérieur changeant le sens initial, comme une musique joyeuse sur des images dramatiques), le discours démagogique et paternaliste («la caméra était leur caméra et leur moyen d’expression» dixit le vidéaste), voire néo-colonialiste (les plans sur les pauvres qui gardent le sourire même dans la boue et s’amusent à grimacer face caméra, rappellent ceux du “bon sauvage”…)

De fait, ce film n’est rien d’autre que l’exacte illustration de ce que nous, militants et associatifs, constatons sur le terrain depuis plus d’un an, à savoir un double discours permanent sur les Roms (mais aussi sur les migrants, les sans-papiers et les sans-logis) de la part du gouvernement, des élus de la majorité, de leurs alliés, et des fonctionnaires mis en place, qui, d’un côté (le visible et médiatique), nous expliquent qu’ils “agissent dans l’intérêt de ces populations”,  et de l’autre (sur le terrain, en OFF) appliquent une toute autre politique et d’autres directives -celles de détruire, d’évacuer les camps et d’expulser les personnes-, sans parler du discours raciste et xénophobe déversé à tous les niveaux, allant de celui du Sinistre Valls à celui des fonctionnaires les plus zélés (ceux qui couchent…) à la machine à café, photos de leur voyage en Roumanie à l’appui.

Ce qui nous étonne à chaque fois, c’est la rapidité avec laquelle on “monte d’un cran” dans la libération de la parole raciste et l’acte transgressif décomplexé, par l’abattage des barrières, l’effacement des lignes rouges à ne pas franchir mais aussi le dégommage systématique des sympathisants de gauche et d’extrême gauche, témoins gênants et garants des mémoires de lutte pas si lointaines. Tous les chemins qui mènent au pire et qui sont des impasses décrites et identifiées comme telles depuis des décennies sont actuellement ré-ouverts et réempruntés. Le sens interdit, qui par expérience historique était identifié et scellé comme mortifère, est de nouveau présenté comme voie possible à tous les étages de la représentation physique et médiatique de l’État.

Ce film si grossièrement et ridiculement caricatural aurait été risible il y a encore quelques années. Aujourd’hui, il fait froid dans le dos.

Bien sûr que ce petit film est dangereux à plus d’un titre. Bien sûr qu’il participe, dans sa caricature grossière et malfaisante, à pervertir l’image des Roms qui vivent dans les camps. Bien sûr que les images bling-bling l’emportent sur les paroles, d’autant plus que ces paroles pourraient être prononcées par n’importe quel français précaire. L’identification au discours se fait rapidement dans la tête du spectateur mais l’image en totale opposition avec le discours prononcé l’oblige à comparer les situations et les biens et à conclure que les Roms sont plus riches et mieux équipés que le français précaire moyen!

Quel scénario perfide de la part de la Mission Rom de la Ville de Strasbourg ! Quel scandale de laisser aux fonctionnaires impliqués dans les travaux de basse besogne le soin de présenter une soirée sur les Roms sous prétexte qu’ils connaissent le “dossier”! Le “dossier” les connaît bien aussi… Et quelle (ir)responsabilité de la part des représentants de la Ville de Strasbourg de laisser diffuser pareille horreur et pareil discours !

Ironie de la soirée, dans le débat qui a suivi le film, les responsables de cette propagande pernicieuse digne des pays ex-staliniens (voire d’un peu avant…) ne manquaient pas de reprocher à leurs opposants le négativisme et le misérabilisme de leurs discours, certains ajoutant qu’ils étaient ravis qu’enfin on nous montre «une autre image des camps Roms que celui de la misère et la gadoue»… Un camp Rom glamour et bling-bling vous soulage-t-il de votre ennui ?

Comme si la misère était indigne d’être montrée. C’est toujours dignement et avec une grande pudeur que les Roms des camps de Saint-Gall nous ont reçus, et c’est avec la même dignité et la même pudeur que nous sommes entrés et avons photographié leurs baraquements pour témoigner de cette inhumaine situation, conscients les uns comme les autres que l’indignité ne venait pas de nous mais d’une politique migratoire xénophobe et raciste qui consiste à laisser un humain patauger dans sa merde jusqu’à ce qu’il en crève (c‘est aussi pour cela qu’il faut appeler un camp un camp) plutôt que de prendre en charge une infime part de la misère du monde -à laquelle nous pourrions bien appartenir un jour prochain…

L’indécence est du côté de ceux, libéraux, élus et fonctionnaires zélés, fabriqueurs d’armes de destruction massive de Solidarité humaine, criminels de bureau d’hier, petites mains travailleuses et puantes d’aujourd’hui qui, pour conserver leur pouvoir, leur bien ou simplement leur place, piétinent sans scrupules les fondements de ce que nos parents et grand-parents, au sortir de l’horreur et de l’ignominie, avaient établi comme Droits universels de l’Homme.

Diaporama des camps de St Gall et Wodli l’an passé: http://www.flickr.com/photos/durgaphotos/sets/72157631810398588/show/

Remarque:

Malgré les beaux discours de façade, très concrètement, aucune réponse ne fut apportée par l’adjointe aux Affaires sociales, Marie-DominIque Dreyssé, au sujet du projet de la ville toujours renvoyé aux calendes, de proposer un terrain viable afin de modifier les conditions de vie des habitants de ces campements dont celui, le plus grand, de Saint-Gall. On ne voit rien se concrétiser quant à l’assurance que les Roms entreraient dans le plan hivernal de droit commun en attendant le printemps…

L’association Latcho Rom avait déjà alerté la Ville il y a un an à la même époque. Voir l’article de la Feuille de Chou du 19/10/2012: http://la-feuille-de-chou.fr/archives/39290

Bref, encore de quoi se mobiliser aux côtés de Latcho Rom et de ses ami(e)s.

Schlomo-Durga