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Les conditions de vie dans les bidonvilles n’ont cessé de se dégrader au cours des deux premières années du quinquennat de François Hollande. Et les élections municipales ne font qu’empirer la situation, selon le bilan politique que dresse le réseau associatif Romeurope.

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L’arrivée de la gauche au pouvoir n’y a rien changé. Les conditions de vie dans les bidonvilles n’ont cessé de se dégrader au cours des deux dernières années. Et les élections municipales ne font qu’empirer la situation. Tel est le bilan dramatique que dresse le réseau associatif Romeurope dans un rapport rendu public mercredi 5 marsréalisé à partir des observations des ONG et des collectifs de riverains qui le composent.

Lors de la conférence de presse organisée à Paris, Claire Sabah du Secours catholique a fustigé un « climat nauséabond » alimenté, à moins de trois semaines des échéances électorales, par la « construction d’une identité rom constituée en bouc émissaire ». Les déclarations de Paul-Marie Coûteaux, tête de liste du FN-Rassemblement Bleu marine dans le VIe arrondissement de Paris, témoignent d’une atmosphère délétère. Qualifiant la présence des Roms d’« invasion » portant atteinte à l’« ordre esthétique » de son quartier, ce dernier a suggéré ni plus ni moins de les « concentrer dans des camps ».

L’absence notable de réactions, notamment de la part de la candidate du PS Anne Hidalgo, a fait l’objet de critiques. Nicolas Sarkozy, avec le discours de Grenoble en 2010, a donné le la. Depuis lors, la parole des responsables politiques reste débridée (une énumération non exhaustive de citations stigmatisantes est à consulter sous l’onglet Prolonger). « Alors que nous serions en droit d’attendre, de la part des plus hautes autorités de l’État, une condamnation ferme de toute discrimination, indique Romeurope, ces prises de position publiques et répétées alimentent un climat de montée permanente de la xénophobie et du racisme, particulièrement dangereux en ces périodes pré-électorales municipale et européenne où se crispent les antagonismes, où la parole se libère, où les extrêmes prospèrent. »

La circulaire interministérielle du 26 août 2012, visant à prévenir autant que possible les démantèlements de campements illicites, « a pu donner quelques espoirs ». Las. Les efforts déployés par le préfet Alain Régnier, délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal), n’ont pas suffi à contrecarrer la forte augmentation du nombre de personnes chassées d’un terrain à l’autre. Selon la Ligue des droits de l’homme (LDH) et le Centre européen pour les droits des Roms (ERRC), environ 20 000 Roms ont été victimes d’un démantèlement en 2013, alors que, selon les services de l’État, cette population est estimée à 17 000, dont 30 à 40 % d’enfants. Depuis janvier 2014, une vingtaine d’expulsions ont été recensées. D’une majorité à l’autre, le mécanisme reste inchangé : en raison du manque de solutions de relogement, les évacuations forcées produisent de l’errance et contraignent les habitants déplacés à trouver de nouveaux points de chute. Les efforts d’insertion (santé, école, travail) sont alors à reprendre de zéro.

Dix-huit mois après la promulgation de la circulaire, la situation est « pire », selon Romeurope, qui avait, lors des premiers mois du quinquennat, retenu ses critiques à l’égard de l’action de l’exécutif. « Le gouvernement et les autorités locales, affirme le collectif, s’enferment dans une politique d’apparente fermeté mais dont l’inefficacité est flagrante, le coût considérable (quoique gardé secret) et l’inhumanité reconnue par tous. Plus grave encore, lorsque existe une volonté locale d’essayer une autre solution, plus respectueuse de la dignité des personnes, plus solidaire et plus durable, bien souvent elle est réduite à néant par les évacuations répétées exigées par le ministère de l’intérieur et qui recueillent l’assentiment du président de la République. »

Romeurope réfute l’approche ethnicisée qui désigne les « Roms » comme un tout unifié regroupant en réalité des personnes, y compris non-Roms, venues de Roumanie, de Bulgarie ou d’ex-Yougoslavie, façonnée dans l’espace public par les responsables politiques et les médias, et qui aboutit fréquemment à des pratiques, y compris de la part de l’administration, discriminatoires, voire racistes. Et préfère envisager la question sous l’angle de l’habitat indigne. À ce titre, le réseau militant rappelle que l’État et les collectivités locales ont des obligations envers ces personnes, y compris si elles vivent dans des campements occupés sans autorisation. Parmi les droits fondamentaux dont elles disposent théoriquement : la mise en place de bennes à ordures, la domiciliation administrative auprès d’un centre communal d’action sociale qui permet aux personnes sans domicile fixe d’avoir une adresse à laquelle recevoir les courriers nécessaires à toute démarche administrative et à la scolarisation des enfants.

Membre du collectif de soutien aux Roms du Val Maubuée, François Loret a ainsi souligné le refus de collectivités locales de Seine-et-Marne de ramasser les ordures et de mettre à disposition un point d’eau, malgré les obligations que sont les leurs. Il a également souligné les tarifs exorbitants que doivent payer ces enfants pour accéder à la cantine (« 14 euros par repas et par jour, contre 99 centimes d’euros pour la plupart des autres élèves ») et l’interdiction souvent faite aux habitants des campements, pourtant munis de titres de transport, de prendre des bus.

De crainte de voir ces populations européennes précarisées s’installer durablement, les élus cherchent le plus souvent à s’en débarrasser, quitte à faire enrager les maires des villes avoisinantes. Le rapport, coordonné par Marilisa Fantacci et Lola Schulmann, rappelle que cette errance sert des intérêts politiques. « À l’approche des élections municipales, de nombreux maires souhaitent plus que jamais évacuer les bidonvilles présents sur leur commune et ceci dans une logique électoraliste ; en ciblant ceux qu’ils désignent comme “roms”, ils entendent gagner la confiance des électeurs. Ils peuvent même parfois s’en réjouir », comme le montrent de nombreux courriers pré-électoraux envoyés par des maires à leurs administrés.

« Nous demandons l’arrêt de toute évacuation sans proposition d’hébergement ou de logement pérenne adaptée à chaque situation individuelle », répète inlassablement Romeurope, qui salue toutefois la prise en compte des campements par le projet de loi sur l’accès au logement et pour un urbanisme rénové, ainsi que le plan national de résorption des bidonvilles annoncé récemment par la ministre de l’égalité des territoires et du logement Cécile Duflot. Tout en promettant d’être « vigilant » quant à la mise en œuvre de ces initiatives.

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