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La France est-​​elle malade du conflit israélo-​​palestinien ?

Jean-​​Claude Lefort, jeudi 13 mars 2014

« Le courage c’est de chercher la vérité et de la dire » – cette phrase connue de Jean Jaurès, qui est bien plus qu’une simple phrase en réalité, m’est venue immé­dia­tement à l’esprit une fois refermé le dernier livre de Pascal Boniface : « La France malade du conflit israélo-​​palestinien » [1].

On se sou­vient, en effet, qu’en 2003 le même auteur avait publié, après avoir essuyé un refus de 7 maisons d’éditions, un livre tou­jours très pré­cieux à lire, que je recom­mande, dont le titre était des plus incisifs : « Est-​​il permis de cri­tiquer Israël ? » [2]

Cela devait valoir à Pascal Boniface un déchai­nement de haine effroyable, et pire encore : une volonté de nuire et même de casser. Le casser lui mais aussi l’institut dont il est le directeur, l’Institut des Rela­tions Inter­na­tio­nales et Stra­té­giques (IRIS).

Devant cette défer­lante, qui laisse encore ses marques, devant une cam­pagne qui n’avait pas ménagé ses doses d’avanies mêlées à des attaques per­son­nelles immondes, Pascal Boniface aurait pu choisir de faire le gros dos. Il aurait pu s’interdire, par confort per­sonnel, de ne plus parler de ce sujet.

Cela l’a d’ailleurs interrogé. Il ne cache pas s’être posé la question avant d’écrire ce nouveau livre. Et il a tranché : « J’ai pris la décision de faire ce livre parce que je n’ai pas peur. Non pas que l’affaire ne soit pas risquée, bien au contraire, mais parce que le courage n’est jus­tement pas l’ignorance des risques. Parce que plus un sujet est sen­sible et pré­ten­dument tabou, plus il convient de le traiter. » Et il poursuit : « Intel­lec­tuels et res­pon­sables com­mu­nau­taires (…) sont en train de faire de la poli­tique israé­lienne une ligne de clivage entre juifs et non-​​juifs. Et c’est pour cela que j’ai voulu écrire de livre. » Cela mérite déjà d’être salué, au minimum. Car être libre, quoi qu’il en coûte, ce n’est pas une qualité des plus partagé dans le monde aujourd’hui… Car le sujet abordé dans ce livre est « chaud-​​bouillant », comme on dit. il serait étonnant qu’il ne suscite pas encore une lever de bou­cliers et que ne fuse pas encore l’infâmant qua­li­fi­catif d’antisémitisme.

J’affirme, à l’inverse, que ce nouveau livre man­querait s’il n’existait pas. Il man­querait à notre Répu­blique.

Car il tire cette fois un signal d’alarme qui ne peut manquer de faire réfléchir tout le monde, en par­ti­culier les « élites » poli­tiques de notre pays, sur l’unité et l’avenir de la répu­blique fran­çaise.

Et ce n’est pas rien, c’est tout sim­plement majeur.

Un constat est mis en avant par l’auteur : l’antisémitisme recule dans notre pays en même temps que recule le soutien à Israël.

Paradoxe ? A y regarder de près la réponse est « non ». Mais cette situation inquiète ceux pour qui il n’est qu’une équation pos­sible et envi­sa­geable : qui ne sou­tient pas la poli­tique israé­lienne est anti­sémite.

Le pré­sident du CRIF, au dernier dîner annuel, mardi 4 mars dernier, n’y est pas allé par quatre chemins.

Pour Roger Cukierman en effet : « L’antisionisme, est le nouvel habit de l’antisémitisme. Car s’il n’est pas conve­nable d’être anti­sémite, il est élégant de fus­tiger l’Etat d’Israël. » Vous avez bien lu : ce n’est pas « sim­plement » l’antisionisme qui, pour M. RogerCukierman et pour le CRIF, serait une variante de l’antisémitisme, c’est aussi le fait de cri­tiquer la poli­tique de l’Etat israélien.

Cette idée est un poison mortel pour notre société qui explique pour partie le titre du livre.

Et on mesure, notamment à la lecture de la cir­cu­laire Alliot-​​Marie qui est tou­jours en vigueur malgré le chan­gement de majorité poli­tique en France, à quel point ce glis­sement séman­tique par­ti­cu­liè­rement déplacé et même absurde, trouve plus qu’un écho en haut-​​lieu.

A preuve, Madame Chris­tiane Taubira, Garde des sceaux, ne l’a pas abrogée.

Pourtant le CRIF ne s’en cache pas. Dans son édi­torial en date du13janvier 2011, cité dans le livre, M. Pras­quier écrit : « C’est bien le CRIF qui est à la manœuvre de toutes les pro­cé­dures contre le boycott même si par tra­dition il s’abstient de porter plainte lui-​​même. »

Pourtant, l’actuel pré­sident du CRIF a dépassé le 4 mars dernier, et plus que lar­gement, les bornes de la décence et de la raison. Par ce che­mi­nement « tordu » et par­ti­cu­liè­rement peu hono­rable, il ouvre une voie dan­ge­reuse qui ali­mentera à coup sûr l’antisémitisme qu’il affirme vouloir com­battre par dessus tout.

Les choses sont évi­dentes.

En effet, si cri­tiquer la poli­tique israé­lienne devait être consti­tutif de l’antisémitisme, alors se for­merait un corps d’idées, des plus dan­gereux, selon lequel Israël serait le seul pays intou­chable dans le monde du seul fait de sa « nature ».

Ce point pour noter un autre élément fort du livre et de la démons­tration de Pascal Boniface, à savoir l’hypertrophie média­tique à propos de l’antisémitisme.

L’auteur donne des élé­ments chiffrés et offi­ciels sur ce qu’il en est exac­tement en France en matière d’exactions raciales et plus lar­gement de toutes les variantes des actes délic­tueux entrainant parfois des consé­quences tra­giques. On est loin de l’image que cherche à dif­fuser le CRIF.

Il est évident que, n’y aurait-​​il qu’un seul acte anti­sémite en France chaque année, ce serait bien évi­demment un acte de trop qui devrait être fer­mement condamné et châtié. Mais la question est autre : pourquoi cette montée média­tique sys­té­ma­tique à propos de l’antisémitisme quand un acte cou­pable se produit et ce quasi silence sur tous les autre faits de racisme qui sont, par défi­nition, tout autant condam­nables ?

D’autant que l’ancien pré­sident du CRIF, M. Pras­quier, « invite à ne pas mettre sur le même plan anti­sé­mi­tisme et isla­mo­phobie. (…) Quelques soient ses inten­tions, le résultat de son rai­son­nement consiste à affirmer que les Juifs sont plus à plaindre que les Arabes et musulmans de France. »

Cela engendre, sur ce sujet encore, un sen­timent de « deux poids, deux mesures » qui est des plus négatifs. Comme s’il y devait y avoir une pro­tection ou une attention par­ti­cu­lière au détriment des autres. Ce terreau favorise ces dis­cours entendus aux dîners du CRIF, année après années, où l’on s’alarme de la montée de l’antisémitisme en France.

Cette année, bien que l’antisémitisme soit en recul, et c’est évi­demment tant mieux, M. Cukierman, tou­jours à ce dîner, a pu dire qu’il ne pouvait pas reprendre le dicton : « Heureux comme un juif en France ».

Cette situation de « dés­équi­libre » a des consé­quences sérieuses comme le prouve Pascal Boniface.

Et cette sur­es­ti­mation ou foca­li­sation s’accompagnent d’une autre ten­dance : celle qui consiste à vouloir faire per­cevoir le conflit israélo-​​palestinien comme une guerre de religion.

Les musulmans, sinon les Arabes en général, seraient en cause, sauf les « modérés » désignés comme tel par le CRIF, comme l’iman de Drancy, M. Chal­ghoumi.

Il est vrai que celui-​​ci ne trouve jamais rien à dire à propos de la poli­tique israé­lienne. Jamais, même en pleine guerre contre Gaza. Il est reçu en grande pompe en Israël ce « bon » iman.

Mais on n’est pas là dans le dia­logue inter­re­li­gieux évi­demment néces­saire. Il est recherché de donner crédit à « l’idée que le conflit du Proche-​​Orient est d’essence reli­gieuse », sou­ligne Pascal Boniface.

Mais les phé­no­mènes relevés par Pascal Boniface ali­mentent des forces cen­tri­fuges qui posent le pro­blème majeur soulevé par ce livre : va-​​t-​​on aller vers un com­mu­nau­ta­risme poli­tique ?

Car, sou­ligne l’auteur, cette situation aboutit à ce rai­son­nement : « Cela veut dire que tous les citoyens ne sont pas égaux. Cela est grave en soi, car c’est contraire aux prin­cipes répu­bli­cains fon­da­mentaux, mais surtout cela contribue à attiser les ten­sions et replis com­mu­nau­taires.

Les mêmes qui disent les com­battre le nour­rissent par leurs réac­tions sélectives. »

Et Pascal Boniface a raison de se méfier comme de la peste pour notre Répu­blique et son avenir de cette situation. Il a raison d’alerter avant qu’il ne soit trop tard.

Il est lanceur d’alerte.

Que cette der­nière soit prise en compte et surtout qu’elle soit bien entendue. « Cette situation qui crée un sen­timent de « deux poids, deux mesures » est l’une des causes majeures du res­sen­timent de nom­breux musulmans (et d’autres aussi) à l’égard des juifs consi­dérés comme les »chou­chous » de la Répu­blique, censée traiter tous ses enfants sur un pied d’égalité. (…)

Ce que disent de plus en plus de musulmans, c’est que pour se faire res­pecter, il faut s’organiser de façon com­mu­nau­taire et créer une version musulmane du CRIF. Le risque de com­mu­nau­ta­riser la lutte contre le racisme alors qu’elle doit être l’affaire de tous et d’abord de la République. »

Tout part et ramène au conflit israélo-​​palestinien. Et le pire c’est qu’il ne faut en aucune manière l’importer en France. Pourtant, lisez ce livre et vous le consta­terez, ceux-​​là mêmes qui disent vouloir refuser cette idée sont les mêmes qui le font. C’est trop grave.

Merci à Pascal Boniface d’avoir osé dire les choses. Il rend un grand service, je le redis, un très grand service à la Répu­blique fran­çaise. Que cette « mise en bouche » vous incite à lire ce livre qui ne fera pas, à coup sûr, le Une des médias…

Jean-​​Claude Lefort Député honoraire

[1] « La France malade du conflit israélo-​​​​palestinien », Edi­tions Sala­vator, 225 pages, 19,50 euros

[2] « Est-​​​​il permis de cri­tiquer Israël ? », Edi­tions Robert Laffont, 240 pages, 19 euros.

http://www.france-palestine.org/La-France-est-elle-malade-du