par Serge Halimi, mai 2014

Qu’est devenu le rêve européen ? Une machine à punir. A mesure que le fonctionnement de celle-ci se perfectionne, le sentiment s’installe que des élites interchangeables profitent de chaque crise pour durcir leurs politiques d’austérité et imposer leur chimère fédérale (1). Ce double objectif suscite l’adhésion des conseils d’administration et des salles de rédaction. Mais, même en ajoutant à ce maigre lot les rentiers allemands, quelques prête-noms luxembourgeois et bon nombre de dirigeants socialistes français, on n’élargit pas démesurément l’assise populaire de l’actuel « projet européen ».

L’Union ne cesse de rabrouer les Etats qui n’ont pas pour souci prioritaire de réduire leur déficit budgétaire, y compris quand le chômage s’envole. Comme ils obtempèrent en général sans se faire prier, elle leur impose aussitôt un programme de rectification comportant des objectifs chiffrés à la décimale près, assorti d’un calendrier d’exécution. En revanche, quand un nombre croissant de patients européens doivent renoncer à se faire soigner faute de ressources, quand la mortalité infantile progresse et que le paludisme réapparaît, comme en Grèce, les gouvernements nationaux n’ont jamais à redouter les foudres de la Commission de Bruxelles. Inflexibles lorsqu’il s’agit de déficits et d’endettement, les « critères de convergence » n’existent pas en matière d’emploi, d’éducation et de santé. Pourtant, les choses sont liées : amputer les dépenses publiques signifie presque toujours réduire dans les hôpitaux le nombre de médecins et rationner l’accès aux soins.

Davantage que « Bruxelles », exutoire habituel de tous les mécontentements, deux forces politiques ont promu la métamorphose des dogmes monétaristes en servitude volontaire. Depuis des décennies, socialistes et libéraux se partagent en effet le pouvoir et les postes au Parlement européen, à la Commission et dans la plupart des capitales du Vieux Continent (2). Ultralibéral et partisan de la guerre d’Irak, M. José Manuel Barroso fut d’ailleurs réélu président de la Commission européenne il y a cinq ans à la demande unanime des vingt-sept chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union, socialistes compris, même si chacun reconnaissait alors la médiocrité époustouflante de son bilan.

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Rivalisent en ce moment pour lui succéder un social-démocrate allemand, M. Martin Schulz, et un démocrate-chrétien luxembourgeois, M. Jean-Claude Juncker. Un débat télévisé les a « opposés » le 9 avril dernier. Lequel des deux estima que « la rigueur est nécessaire pour regagner la confiance » ? Et lequel lui répliqua que« la discipline budgétaire est inévitable » ? Au point même que le premier, pour qui les « réformes » impitoyables de son camarade Gerhard Schröder constituent « exactement le modèle » à suivre, laissa échapper : « Je ne sais pas ce qui nous distingue. » Certainement pas en tout cas la volonté de fermer la caserne économique européenne.

Serge Halimi

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(1) Lire « Fédéralisme à marche forcée », Le Monde diplomatique, juillet 2012.

(2) Le 7 juillet 2009, le Parti populaire européen (PPE, droite) et les socialistes ont signé un « accord technique » au terme duquel l’ultraconservateur polonais Jerzy Buzek a présidé le Parlement européen de juillet 2009 à janvier 2012, et le social-démocrate allemand Martin Schulz lui a succédé.

http://www.monde-diplomatique.fr/2014/05/HALIMI/50382