“Séisme”, “tremblement de terre” : la presse européenne est unanime pour souligner le choc que constitue le résultat du Front national en France. Les éditorialistes pointent du doigt la responsabilité des partis traditionnels et regardent vers la présidentielle de 2017.

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A force de jeter, pendant des semaines, de l’huile sur les braises eurosceptiques, “l’huile a pris feu”, titre en Allemagne la Süddeutsche Zeitung. Le quotidien de Munich souligne que le taux élevé d’abstention [57 %] a pesé lourd sur le résultat. Cependant, “parmi ceux qui se sont déplacés, un électeur sur quatre a donné sa voix à l’extrême droite. Marine Le Pen a réussi sa ‘rupture du système’. Elle a élargi le système bipolaire français en un système tripartite”, analyse le quotidien.

Même constat en Italie où le Corriere della Sera estime que “le triomphe du Front national, premier parti du pays […] ne se mesure pas en termes de voix exprimées, mais par rapport aux conséquences dramatiques qu’il aura sur le cadre politique français, désormais au bord de l’implosion […]. La maladie française est profonde ; aujourd’hui, elle semble irréversible et elle contamine les équilibres européens. […] Le résultat du FN est un tournant historique dans le système politique du pays. […] Un séisme qui met la gauche à l’écart et réduit à zéro la marge de manœuvre de François Hollande, dont l’immobilisme est probablement la cause principale de la vague noire.”

A Turin, les deux derniers présidents français sont montrés du doigt : “La désastreuse présidence de Sarkozy d’abord, la très décevante — pour le moment — saison de Hollande ensuite, ont ouvert un boulevard à Madame Le Pen”, écrit La Stampa. “Il est difficile de combattre ses slogans simplistes et même irréalistes (qui peut penser, aujourd’hui, refermer les frontières aux marchandises, aux personnes et aux capitaux ?), surtout avec un taux de chômage à deux chiffres. Mais il est certain que, à partir d’aujourd’hui, rien ne sera plus comme avant, ni pour les partis historiques de la gauche et de la droite ni non plus pour le Front national.”

Un pays bouleversé 

A Londres, le Financial Times a déjà les yeux rivés sur l’échéance présidentielle de 2017 :  “L’ampleur de sa victoire va donner un sacré coup de pouce au dessein ultime de Madame Le Pen qui est de faire du Front national la troisième force politique de France. Cette victoire constitue une réelle menace pour les deux partis traditionnels en vue des élections présidentielles de 2017. Jusqu’à présent, ils n’y ont apporté aucune réponse cohérente.”

Le Guardian constate que “même leurs opposants déclarés l’ont reconnu : c’est une victoire historique. Ou, comme l’a resumé succintement le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, “Il y a un gagnant et beaucoup de perdants.” Le quotidien de Londres souligne la stratégie du FN qui “répète comme un mantra qu’il est devenu une force politique majeure de la scène politique française à presque chaque élection depuis des années, mais après la victoire sans précédent aux municipales du mois dernier avec la prise de contrôle d’une douzaine de villes, c’est devenu plus qu’un vœu pieux du passé”.

Dans sa tribune, le maire de Londres, Boris Johnson, revient sur les propos de Sarkozy [tenus dans une tribune publiée le 22 mai conjointement dans Le Point et Die Welt]. Constatant que “l’euroscepticisme se développe partculièrement en France”, Johnson rappelle que l’ancien président avait appelé à suspendre Schengen et à rendre la moitié des compétences aux Etats-nations. “Très bien, Sarko ! Pour la première fois dans sa carrière politique, Il aurait pu être applaudi à une conférence des Tories […] Il est temps pour la France, l’Allemagne et les autres d’écouter M. Sarkozy, et de reconnaître qu’il a raison”, clame-t-il dans le Daily Telegraph.

En Espagne, un détail n’a pas échappé à La Vanguardia : “Le FN a très vite sorti les affiches ‘premier parti de France’.

C’est une présomption excessive, puisque leur victoire, même s’il est vrai qu’elle est historique, s’appuie sur une abstention de 57 % et a été favorisée par le fait qu’en France, comme dans plusieurs pays européens, les élections sont perçues comme inoffensives et permettent d’exprimer sa mauvaise humeur en toute liberté. Qu’on le veuille ou non, ce résultat met en évidence la colère de la société française et un antieuropéisme furieux”, conclut le quotidien catalan.

De son côté, El País constate que “la France qui ressort des urnes est un pays bouleversé. Inutile de revenir sur l’euphorie de Marine Le Pen pour capter la dimension de ce qui s’est passé : une commotion, un séisme, illustré entre autres par l’avancée du FN chez les jeunes et les ouvriers qui désertent les bastions de la gauche.”

La fin de l’axe franco-allemand

C’est d’Italie que vient une leçon européenne de ce résultat qui laissera des traces : “L’axe franco-allemand sur lequel s’est fondée la très difficile construction européenne est aujourd’hui terminé”, note L’Espresso : “Les deux peuples, ennemis historiques réconciliés par le rêve d’un continent unifié par une institution supra-nationale, font des choix opposés, explosifs et bouleversants. Les Allemands renouvellent leur confiance à la chancelière Angela Merkel et récompensent aussi les autres acteurs de la grande coalition qui garantit la stabilité intérieure. […] A Paris, le Front national triomphe, […] il dépasse la droite traditionnelle de l’UMP et humilie les socialistes de François Hollande, qui enregistre son pire résultat. Le président a déjà convoqué une réunion d’urgence à l’Elysée pour ce matin, mais aucun sommet ne pourra changer le cours des événements qui poussent Paris dans une dérive qui l’éloigne de Berlin.”

http://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/2014/05/26/score-du-fn-l-huile-a-pris-feu?page=all