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Le nettoyage ethnique par d’autres moyens
#Nakba

Illan Pappé
Vendredi 30 Mai 2014 15:39 BST

Thème: La Nakba
Mots-clé:
Israel, Palestine, Ilan Pappe, Processus de paix

Le terme de « nettoyage ethnique » devrait être employé au lieu de « catastrophe » pour décrire les événements de 1948 et la politique israélienne depuis cette date, dit Ilan Pappé.

Le terme de Nakba est devenu, à juste titre, un terme consacré du dictionnaire national palestinien. Il restera sans doute celui par lequel les terribles événements de 1948 seront commémorés et rappelés dans les années à venir. Pour autant, d’un point de vue conceptuel, c’est un problème. Nakba veut dire catastrophe. Dans les catastrophes il y a, d’ordinaire, des victimes mais pas d’agresseurs. On ne parle pas de redevabilité ni de responsabilité dans ces cas-là.

C’est entre autres pour cette raison qu’il a été facile pour les défenseurs, cyniques ou sincères, du soi-disant processus de paix dans la « question palestinienne », d’ignorer cet événement majeur. Cela a aussi permis à ceux qui sont plus attentifs à la souffrance des Palestiniens, de considérer la Nakba comme un événement lointain, remontant plus ou moins à la seconde guerre mondiale – un événement pouvant intéresser les historiens mais très peu en rapport avec la situation en Israël et en Palestine aujourd’hui.

C’est pourquoi j’ai suggéré en 2007 d’utiliser le terme de nettoyage ethnique pour décrire les événements de 1948 et la politique menée depuis par Israël. Les définitions du terme nettoyage ethnique, qu’elles soient juridique, universitaire ou populaire, conviennent très bien à ce qui s’est passé en Palestine en 1948. L’expropriation planifiée et systématique des Palestiniens qui a résulté en la destruction de la moitié des villes et villages de Palestine et en l’expulsion de 750 000 Palestiniens ne peut être décrite que comme nettoyage ethnique.

Mis le terme n’est pas seulement important pour comprendre les événements particuliers de cette année-là. C’est aussi un concept qui explique la conception sioniste de ce qu’était la population native de Palestine avant 1948 de même que la politique israélienne qui a été menée depuis.

Depuis la première rencontre entre les leaders et les membres du projet d’occupation coloniale sioniste avec les natifs palestiniens, ces derniers ont été considérés au mieux come un obstacle et au pire comme des étrangers occupant de force ce qui appartenait au peuple juif. Les « sionistes de gauche » ont toléré la présence de Palestiniens en petits nombres, tout en souscrivant à la conviction profonde, transmise aux générations de juifs israéliens depuis 1948, selon laquelle pour s’épanouir et pas seulement survivre, le scenario idéal pour le futur est d’avoir un Etat juif sur la plus grande partie de la Palestine, sans Palestiniens.

Le silence international face au nettoyage ethnique de la Palestine en 1948 a adressé un message clair à l’Etat juif nouveau-né. L’Etat juif n’allait pas être jugé comme n’importe quelle autre organisation politique et le monde a fermé les yeux et a garanti l’immunité à cet Etat pour sa politique criminelle sur le terrain. C’est l’Europe qui a pris les devants, comprenant qu’elle pouvait être absoute du terrible chapitre de l’histoire de ses Juifs, en donnant carte blanche au mouvement sioniste pour désarabiser la Palestine.

Ces deux projets – la conviction sioniste que la réussite en Palestine dépendait de la capacité à réduire au minimum le nombre de Palestiniens dans un futur Etat juif et la complicité internationale qui a permis d’agir selon cette stratégie en 1948 – ont transformé l’idéologie du nettoyage ethnique en ADN du futur Israël.

La vision était celle d’un Etat sans Palestiniens, mais les tactiques pour y arriver ont changé dans le temps. Tandis que le mouvement idéologique sioniste était en mesure, étant données les conditions particulières liées à la décision britannique soudaine de quitter la Palestine, de mener une opération brutale de nettoyage ethnique massif de la population palestinienne locale, les étapes suivantes ont nécessairement été plus complexes.

Concernant la présence persistante de Palestiniens dans le pays, voici à quoi les responsables de la planification stratégique se sont tout simplement employés: à expulser des gens sans leur donner le droit de se déplacer – en les confinant dans des enclaves – ce qui a produit le même effet démographique. La population non désirée était hors de vue, au-delà des frontières de l’Etat ou à l’intérieur.

Le nettoyage ethnique de 1948 était incomplet. Une petite minorité de Palestiniens demeurait dans la partie qui est devenue Israël. Ils sont restés parce qu’ils vivaient dans le nord et dans le sud, dans des zones où les forces juives sont arrivées épuisées, incapables de chasser une population qui était au fait des intentions réelles des occupants, davantage que ceux qui avaient été expropriés au début des opérations. Ou bien ils sont restés parce qu’ils ont été épargnés par la décision d’un commandant local de leur permettre de rester ou de remettre la décision à la fin de la guerre. La résistance (sumud) et la fatigue de l’armée ont laissé une minorité palestinienne au sein d’Israël. Des accords politiques ont permis à la Jordanie de s’emparer de la Cisjordanie, tandis que des considérations militaires ont donné la possibilité à l’Egypte de garder la bande de Gaza.

Un nettoyage ethnique brutal fut encore tenté entre 1948 et 1956 et un bon nombre de villages furent encore expulsés pendant cette période. Mais, après 1956, cela fut remplacé par la notion évoquée plus haut, selon laquelle le nettoyage ethnique par d’autres moyens pouvait être réalisé en imposant un régime militaire à la population palestinienne : dans ce cas, le principal interdit était une restriction des déplacements dans les zones juives, assortie d’une interdiction informelle mais très stricte de s’y établir. A cela s’est ajouté le fait d’empêcher l’extension de l’espace de vie de cette communauté.

Quand le régime militaire imposé aux Palestiniens en Israël vint à son terme en 1966, il a été remplacé par un système d’apartheid qui a empêché la communauté palestinienne de se déplacer. Au début, ce système a eu un grand succès, mais il s’st avéré peu performant ces dernières années. Aucun village ni quartier nouveaux n’ont été construits pour une communauté qui représente 20% de la population, tandis que son espace agricole et naturel était systématiquement judaïsé au nord et au sud de l’Etat.

Dans les zones occupées par Israël en 1967, le nettoyage ethnique par d’autres moyens a pris des formes semblables. Tout de suite après la guerre, le Consril des ministres israélien a sérieusement considéré l’éventualité de reproduire le nettoyage ethnique de 1948, mais cette idée a été évacuée.

L’option a été celle de la colonisation des territoires occupés. Cette stratégie a été mise en oeuvre non seulement dans le but de modifier l’équilibre démographique, mais surtout pour créer une ceinture de colonies enclavant les villes et les villages palestiniens ce façon à ne pas leur laisser de possibilité d’extension, à les étrangler et à encourager l’émigration. L’armée, ainsi que l’a expliqué récemment la journaliste Amira Hass, a créé des camps d’entraînement en Cisjordanie dans le but de vider ce territoire de la population palestinienne. Ariel Sharon a trouvé un moyen original de nettoyage ethnique plus sophistiqué en ghettoïsant la bande de Gaza en 2005.

Israël aujourd’hui est toujours désireux de reprendre un nettoyage ethnique brutal, comme le montre le Plan Prawer dans le Naqab (Neguev) et le souhait de nettoyer ethniquement la population arabe de la vieille ville d’Acre (Akka). Le processus de paix a fourni un parapluie international tant pour le nettoyage ethnique brutal que pour sa version sophistiquée. L’Histoire nous apprend que le nettoyage ethnique ne s’épuise pas, car ceux qui le perpétuent, se lassent ou changent d’avis. Trop d’Israéliens sont impliqués dans ce projet et en retirent des avantages.

Le nettoyage ethnique prend fin quand il est achevé ou lorsqu’il est arrêté. L’arrêt du nettoyage ethnique est une condition sin qua non de toute réconciliation ; c’est par là que passe la paix en Israël et en Palestine.

Crédits photos : les forces israéliennes lancent des grenades lacrymogènes sur des Palestiniens lors d’une manifestation de commémoration du 66ème anniversaire de la Nakba à Hebron en Cisjordanie (AA)

Plus d’informations sur : http://www.middleeasteye.net/columns/ethnic-cleansing-other-means#sthash.WSMSMmTJ.dpuf

Traduction SF pour CCIPPP