Le chercheur Samuel Bouron a pu accéder pendant un an aux formations des Jeunesses identitaires. Derrière la stratégie médiatique de ce mouvement, il met à jour son opération de conquête « par le bas », qui consiste à se « mélanger à la masse » et s’intégrer dans les institutions républicaines qu’ils dénoncent. Un travail dont le Front national récolte en partie les fruits.

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Philippe Vardon, l’un des fondateurs du Bloc identitaire, et leader de Nissa Rebela, leur antenne niçoise. © dr

Porte-parole de la colère des « sans-grades ». C’est ainsi que le Front national et plus généralement l’extrême droite aiment à se présenter. Depuis plusieurs années, ce leitmotiv est repris par médias et sondeurs. Se réclamant de cette légitimité « par en bas », les réactionnaires d’aujourd’hui opèrent un important travail de normalisation qui mélange références de droite et de gauche et s’appuie sur différentes fractions du champ du pouvoir: la haute fonction publique, les fondations culturelles d’utilité publique, la philosophie ou la sociologie académique, le monde des lettres…

Bien au-delà des seuls succès électoraux du FN, la revue Agone explore, dans son numéro 54 à paraître le 13 juin, cette nébuleuse qui constitue le terreau du rôle social que commence à jouer l’extrême droite: reprise des codes de la sociabilité mondaine, diffusion dans les vernissages, les salons académiques, l’édition et la littérature;  développement de réseaux parmi les élites à travers le Club de l’Horloge et le GRECE; formation des Identitaires pour conquérir « par le bas » les institutions républicaines.

À rebours de l’hypothèse du « brouillage idéologique », relayée par nombre de médias, qui soutient que l’extrême droite, et notamment Marine Le Pen, auraient opéré une épuration de leurs membres les plus radicaux pour rendre leur parti « respectable », le chercheur Samuel Bouron démontre dans ce numéro que si l’extrême droite se professionnalise dans le champ médiatico-politique, elle n’a pas rompu pour autant avec le radicalisme politique.

Ce doctorant en sociologie à l’université de Picardie Jules-Verne, membre du centre de recherches CURAPP, a cherché à comprendre comment les militants parvenaient à résoudre cette contradiction. Il a infiltré pendant un an la formation militante des Identitaires, en devenant membre du Projet Apache, la section parisienne des Jeunesses identitaires (lire notre boîte noire). L’objectif: accéder aux « coulisses » de l’organisation, non pas pour « faire un catalogue de déclarations racistes » et « mener une dénonciation morale », mais pour« appréhender la façon dont se structure le mouvement ».

Samuel Bouron a exploré la stratégie « métapolitique » des Identitaires qui consiste à se « mélanger à la masse », à s’intégrer dans différentes institutions républicaines qu’ils dénoncent pourtant, « non pas pour s’y convertir, mais pour tenter de reconquérir “par le bas” un territoire qu’ils auraient perdu ». Il décrypte les piliers de cette stratégie: un modèle organisationnel inspiré de l’appareil communiste, une professionnalisation médiatique pour apparaître « apolitique », une visibilité limitée aux militants qui ont suivi une formation spécifique, dans des lieux autogérés.

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