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Depuis le 10 novembre, Nikos Romanos est en grève de la faim. Ce jeune détenu anarchiste, privé de son droit aux études, dénonce le comportement du gouvernement à son encontre, proteste contre la condition des détenus et les politiques menées dans son pays. Il risque la mort.

En Grèce, un jeune homme de vingt ans se meurt. Depuis le 10 novembre, il est en grève de la faim. Sur fond de crise économique et sociale, d’application sans merci d’une politique d’austérité qui plonge le pays dans la misère, cet anarchiste est en train de devenir un symbole.

Génération des 700 euros

Il s’appelle Nikos Romanos. En réalité, son nom est déjà connu, depuis le 6 décembre 2008, le soir de sa fête (Saint Nikos). C’est dans ses bras qu’à Exarchia, un quartier d’Athènes, est mort Alexis Grigoropoulos, son ami d’enfance. Sous les balles de la police. Ce fut l’événement déclencheur des “émeutes” d’Athènes. À l’époque, les jeunes, dans les rues, dénonçaient notamment la paupérisation de la société grecque. Ils étaient la “génération des 700 euros”, le salaire minimum grec. Les jeunes Grecs étaient alors les plus diplômés d’Europe, mais également les plus touchés par le chômage. Il y a six ans, ils manifestaient pour de meilleurs salaires et de meilleurs débouchés. Six ans après, leur situation n’a fait qu’empirer.

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Texte de Nikos Romanos pour le début de sa grève de la faim : Asphyxie pour une bouffée de liberté : 

J’ai passé les examens nationaux [d’entrée à l’université] l’été dernier en prison et j’ai été accepté dans une faculté d’Athènes. Sur la base de leurs lois, j’ai donc le droit de commencer à prendre des permissions depuis septembre pour des raisons éducatives afin de suivre le programme de l’université. Bien entendu, les demandes de permissions que j’ai remplies ont terminé au fond d’un tiroir, fait qui me conduit à exiger ce droit avec pour arme mon corps. Il est nécessaire que je clarifie ici mes motifs politiques afin de donner un cadre autour du choix que je fais.

Les lois, en-dehors d’être des outils de contrôle et de répression, sont en même temps utilisées pour maintenir des équilibres, ce que l’on appelle aussi le contrat social, qui reflètent des rapports socio-politiques et forment en partie certaines positions dans le cours de la guerre sociale.

C’est pour cela que je veux que mon choix soit le plus clair possible : je ne défends pas leur légalité, au contraire, j’use un chantage politique pour gagner des bouffées de liberté à la condition dévastatrice de l’enfermement.

S’ouvre ici une discussion quant à nos revendications dans la condition de captif. Il est acquis qu’il y a toujours eu des contradictions dans de telles conditions et qu’il en existera toujours. Par exemple, nous avons participé à la grande grève de la faim des détenus contre le nouveau projet de loi alors que nous sommes des ennemis fanatiques de toutes les lois. Nombre de compagnons ont respectivement négocié leurs conditions de détention avec pour armes leurs corps (mises en détention préventives “illégales”, refus de se soumettre à la fouille corporelle, maintien en prison) et ils ont bien fait.

La conclusion est donc que, dans la condition où nous nous trouvons, nous sommes obligés de nombreuses fois de rentrer dans une guerre stratégique de position, ce qui est un mal nécessaire dans notre situation.

Avec le choix que je fais, et dont les caractéristiques politiques sont spécifiés dans le titre du texte, l’occasion est donnée d’ouvrir une lutte dans une conjoncture particulièrement cruciale pour nous tous.

« Précisément, la poésie est l’art du résiduel. Elle est l’insoumis quand l’ordre du diaphane a fait son compte de tous les discours. Quand chaque mot a été soigneusement désinfecté et apprêté comme une marquise de cour. Parce qu’ils échoueront sur la couche du prince, quoiqu’ils s’effarouchent, et, pudiques, se drapent de vertus que, depuis belle lurette, ils ont perdues ou bues jusqu’à la lie du compromis et de la putasserie. La poésie est incompatible ou elle n’est rien ! »
 
Jean-Marc Rouillan, Lettre à Jules, mercredi 14 janvier 2004

Compagon-ne-s, ils nous enferment depuis maintenant un bout de temps. Des blocus de flics et des pogroms de l’antiterrorisme aux commissions d’économistes qui exterminent tous ceux qui ne rentrent pas dans leurs statistiques. Des grands industriels grec qui résistent aux offensives des multinationales géantes en soutenant le socialisme tardif de SYRIZA [1] à l’état d’urgence où les politiciens s’essayent au costume de l’ultra-patriotisme toujours esclave du bien de la nation. Des flics et de l’armée qui s’équipent d’armes dernier cri pour la répression des insurgés aux prisons de haute sécurité.

Appelons les choses par leur nom : ce que l’Etat exploite n’est rien d’autre que l’inaction qui s’est désormais établie comme solution naturelle.

Il sera bientôt trop tard, et le pouvoir avec son bâton magique ne montrera de la pitié seulement à ceux qui se mettront à genoux docilement devant sa toute-puissance.

Le système prévoit un futur où les révolutionnaires seront enterrés vivants dans des “centres de détention de correction intensive” et où sera mené leur destruction physique, mentale et morale.

Un musée innovant de l’horreur humaine où les pièces exposées vivantes auront écrit au-dessus d’eux “exemple à éviter”, cobayes humains sur lesquels seront testées toutes les intentions sadiques du pouvoir.

Chaque personne répond aux dilemmes et fait ses choix. Ou bien spectateurs assis dans des chaises isolées à la vie castrée, ou bien acteurs des événements qui font le cours de l’histoire.

Les yeux fixés sur l’horizon, nous avons vu ce soir-là de nombreuses étoiles tomber en traçant leurs propres chemins chaotiques. Et nous les avons comptées, encore et encore, fait des vœux, calculé les chances. Nous savions que notre désir pour une vie libre devait passer sur tout ce qui nous opprime, assassine, détruit, et c’est pourquoi nous avons sauté dans le vide, exactement comme les étoiles que nous voyons tomber.

D’innombrables étoiles sont tombées depuis, l’heure est peut-être venue pour la nôtre, qui sait ? Si nous avions réponse à tout nous ne serions pas devenus ce que nous sommes, mais des salopards égoïstes qui apprendraient aux gens des manières de devenir des rongeurs qui s’entre-dévorent ainsi qu’ils le font aujourd’hui.

Au moins, nous restons encore fermes et obstinés tels ceux de notre genre. Et tous ceux d’entre-nous qui, de douleur, ont fermé leurs yeux et voyagé loin, restent avec le regard fixé sur ce ciel nocturne que nous avons nous aussi regardé. Et ils nous voient tomber, étoiles belles et brillantes. Notre tour est venu. Nous tombons maintenant sans hésiter.

Je commence une grève de la faim le 10 novembre sans faire un pas en arrière, avec l’anarchie toujours en mon cœur.

Le responsable pour chaque jour de grève de la faim et de tout ce qui peut se passer d’ici-là est le conseil de la prison constitué du procureur Nikolaos Poimenidis, de la directrice Charalambia Koutsomichali ainsi que l’assistante sociale.

LA SOLIDARITÉ C’EST L’ATTAQUE

P.S. : À tous les “militants” de salons, les humanistes professionnels, les personnages “sensibles” de l’intellect et de l’esprit : allez voir ailleurs d’avance.

Nikos Romanos, 
Prison de Korydallos.

[Traduit du grec par nos soins d’Indy Athènes.]

P.-S.

Pour lui écrire :

Nikos Romanos
Dikastiki Filaki Koridallou,
Ε Pteryga,
18110 Koridallos,
Athènes, Grèce

Notes

[1] Parti populiste de gauche, équivalent (et allié) du Front de Gauche français.

http://www.non-fides.fr/?Texte-de-Nikos-Romanos-pour-le

http://www.lesinrocks.com/2014/12/05/actualite/nikos-romanos-11539719/