Témoignage d’un enseignant syndicaliste
sur un évêque concordataire hors du commun

Paul-Joseph SCHMITT

Il m’a été demandé de m’exprimer au sujet de Paul- Joseph SCHMITT, Evêque de Metz décédé en 1987. Le témoignage d’un non-croyant, militant laïque de surcroît, en faveur d’un évêque concordataire n’allait pas de soi mais les graves désaccords que j’ai avec le Vatican ne m’ont pas empêché d’éprouver du respect pour certains hommes d’Eglise, parmi lesquels quelques théologiens, un Mgr DECOURTRAY ou Mgr SCHMITT. Nos origines sociales, nos éducations et nos idéaux respectifs étaient très dissemblables. Cependant la personnalité de cet évêque m’a semblée d’une pointure supérieure à celle de la moyenne de l’épiscopat. J’ai la conviction qu’il n’a pas toujours bénéficié de la considération qu’il méritait.

Je dois noter tout d’abord que ce modeste témoignage, qui n’engage que moi, doit être relativisé car je n’ai pas fréquenté cet évêque et que je n’ai pas de compétence en matière ecclésiastique et encore moins sur les questions de spiritualité. Je suis tout à fait hors de l’Eglise. Je n’oublie pas les oppositions sévères que nous avons eues, à la FEN-Moselle, avec son adjoint le plus illustre le Chanoine STENGER. Devais-je pour autant ignorer les réactions remarquables de P.-J. SCHMITT face aux problèmes sociaux de la Lorraine du Nord et ses prises de position contre la guerre d’Indochine et son action durant la guerre d’Algérie ? Il y a certes pour moi un risque d’incongruité à prendre la plume. Mais comment se taire en constatant à quel point il a été méconnu de bon nombre de catholiques pratiquants même militants? « Nous ne savions pas », disent-ils. Pour m‘éviter de déraper, je me suis borné à des faits.

Disons simplement que nos chemins se sont croisés deux fois. D’abord lors des journées tragiques de Tulle, les 8 et 9 juin 1944, puis ensuite en Moselle dans les années 60 et 70.

1. L’affaire de TULLE.

Au fil des ans, l’attention portée à la tragédie du 9 juin 44 a grandi chez les historiens (1). Elle a connu un retentissement surprenant; on l’a bien vu dans les médias en juin-juillet 2004. On sait que, à la suite à l’attaque victorieuse des FTP les 7 et 8 juin 1944, un détachement de la division blindée Das Reich des Waffen SS Totenkof a repris la ville de Tulle le 8 au soir. Le 9 juin, 2 500 hommes environ furent raflés. Parmi eux, 99 furent pendus et d’autres furent envoyés à Dachau où certains périrent. Un autre détachement des SS commit le lendemain le massacre d’Oradour – sur – Glane. Le soir du 8 juin 44 l’abbé Paul- Joseph SCHMITT, professeur au séminaire, et moi, nous nous sommes trouvés tous les deux au même endroit, lui comme acteur et moi comme spectateur passif.

Quelques notes d’explications minimales sur les événements et l’ambiance à Tulle les 8 et 9 juin semblent nécessaires(2). J’avais tout juste 16 ans. Le hasard nous a placés, mon ami André MAURY et moi, au cœur des sanglants combats du 8 juin.

La bataille dura près de deux jours. Le 8, vers 16 heures, par hasard, nous avons vu arriver un obus de bazooka incendiaire sur le toit de l’Ecole Normale de Filles qui s’est embrasée aussitôt. Les soldats allemands tentèrent de fuir l’incendie. Ils sortirent en masse mais la plupart furent immédiatement abattus sur place. Les autres se sauvèrent vers la place du Trech. Nous avons vu devant l’ ENF une heure plus tard une quarantaine de cadavres très mutilés par un mitraillage presque à bout portant. Nous avons vu plusieurs soldats allemands tués sous nos yeux sur la place. L’un d’entre eux, blessé, fut achevé par les maquis. Onze prisonniers furent conduits au cimetière proche où ils furent fusillés.

Ces actes très regrettables s’expliquaient par les exactions et la cruauté de la répression que les Allemands ont exercé en Corrèze pour tenter de réduire la Résistance.

Après les combats, ce fut la liesse de la victoire. Toute la population était dans la rue, très heureuse et parfois excitée. Mais vers 20h on a entendu au loin la rumeur sourde et le miaulement sinistre des chars de la division blindée qui dévalaient sur Tulle par la RN 140. Les rues se sont instantanément vidées et nous nous sommes tous terrés dans les caves. Nous sommes restés des heures dans le noir. Un char lourd Tigre (35t) a pris position sur la place à quelques mètres devant l’hôtel. Il a tiré au-dessus de nos têtes sur les étages de l’hôtel, qui a été éventré.

Nous ignorions ce qui s’était passé dans le quartier du Trech en début de soirée. Au péril de leur vie, quelques membres de la Croix – Rouge et deux équipes de séminaristes ont relevé 25 blessés allemands et les ont portés à l’hôpital où ils furent soignés. Le préfet s’opposa à leur exécution (3). Ce dégagement en grande hâte était très risqué. Les chars arrivaient dans la ville par le sud. L’une des deux équipes de secouristes était conduite par l’abbé P.-J. SCHMITT professeur au séminaire (4). Une partie des cadavres a été heureusement enlevée avant l’arrivée des chars mais pas tous.

Dans la nuit, ayant appris ce qui s’était passé, voyant les morts très abîmés, les SS étaient déchaînés. Le lendemain matin, par groupes de trois, ils ont raflé tous les hommes de 16 à 60 ans en fouillant les maisons de certains quartiers. A l’hôtel du Tech, ils sont montés dans les étages, ils ont discuté devant la porte de notre chambre. Nous avons échappé à la rafle grâce au courage et au cran d’une femme de chambre qui a dissuadés les SS d’ouvrir en leur affirmant que dans notre chambre il n’y avait que deux enfants en bas âge. La répression était conduite par Walter SCHMALD, dit WALTER, seul survivant rescapé du brasier de l’Ecole Normale de Filles. Ce SS était maintenant fou de rage et il voulait se venger. Il aurait proposé au commandant de la colonne des SS de mettre Tulle à feu et à sang. C’est lui qui procéda lui-même ensuite au tri des otages à pendre et celui des déportés. Des soldats allemands ont pris le préfet, Trouillé, et ils voulaient le fusiller (3). Mais, par chance, il avait pu se faire conduire à l’hôpital auprès des blessés de la Wehrmacht. Ces derniers ont demandé aux officiers SS d’épargner la ville parce qu’ils avaient été portés à l’hôpital par des brancardiers français et soignés. Ces gestes (du préfet, des secouristes) ont eu une portée considérable. Sans cela, le 9 juin, la répression eût été sans doute beaucoup plus sévère, pire qu’à Oradour peut-être. Les SS se contentèrent, si l’on ose écrire, de 99 pendaisons et de la déportation de certains otages envoyés à Dachau.

On n’a plus idée aujourd’hui du climat de terreur paralysante que, par moments, les troupes allemandes faisaient régner en Corrèze en 1944, surtout les SS mais aussi les miliciens. Ces détails, ces quelques centaines de morts en tout, peuvent paraître bien infimes parmi les millions de victimes de la vaste guerre mais ils me semblent significatifs. A Tulle l’esprit de décision et le courage de quelques-uns ont certainement contribué à sauver un grand nombre de vies. Quelques jours après, il y eut un office à la cathédrale au cours duquel des cris retentirent soudain. Les assistants avaient repéré un Alsacien, entrepreneur collaborateur connu , dans la foule. Ils voulaient lui faire un mauvais sort. L’abbé SCHMITT est intervenu depuis la chaire en demandant que cet homme soit jugé. Il a été entendu. Les Tullistes ont gardé le souvenir de l’abbé SCHMITT.

Voilà pourquoi en 1987, à sa mort, j’ai envoyé sur ces évènements de Tulle un article non signé qui fut publié dans le « Républicain Lorrain ». J’ai aussi écrit à l’évêché pour exprimer mes condoléances et dire ce que nous avions vécu. Il s’est trouvé que ce fut le Chanoine Maurice REIBEL (cité lui aussi dans les livres d’histoire sur l’affaire de Tulle) qui a reçu mon courrier. Il me fit une longue réponse émue et émouvante. Il était séminariste à Tulle en juin 44. Dans sa lettre, il apportait des précisions utiles sur ces journées de terreur. Entre autres celle-ci: la semaine suivant le 9, par une chaleur torride, les SS les avaient obligés à exhumer à mains nues les cadavres allemands de la fosse commune pour les enterrer normalement ailleurs.

2. Deuxième temps, la période messine

Nommé à Metz en 1951, durant des années, je ne me suis pas intéressé aux initiatives des évêques de Metz, jusqu’à ce que certaines déclarations de Mgr SCHMITT retiennent mon attention.

Dès 1960, tout en veillant à rester dans son rôle, SCHMITT s’est fortement exprimé et engagé face à grande crise de la sidérurgie qui débutait. Il a été jusqu’à passer une nuit de Pâques avec des sidérurgistes, à Rombas sauf erreur.

Au cours de la grande grève de mars l963, Mgr SCHMITT a pris la défense des mineurs de charbon. Il a soutenu leur cause et défendu leurs organisations syndicales qui, toutes ensemble, s’étaient adressées à lui. Il a eu l’audace de contester, auprès de GAULLE lui-même, le décret réquisitionnant les mineurs de charbon auquel les mineurs lorrains, seuls concernés, ont refusé d’obtempérer . A la suite de cette initiative, en application du concordat, il s’est fait sévèrement rappeler à l’ordre par l’illustre Préfet de région Jean LAPORTE.

Et puis il y eut l’épisode de l’église de St Nicolas-en- Forêt, nouvelle commune-dortoir destinée à loger les ouvriers de la SOLLAC. Celle-ci avait financé la construction d’une église. L’évêque s’est abstenu d’assister à son inauguration. Il n’a consacré cette église que le lendemain. Ce geste ostensible, très remarqué, rompait ouvertement avec les pratiques, traditionnelles dans la région sidérurgique, d’un clergé qui était encore un important auxiliaire des maîtres des forges, à la notable exception toutefois des prêtres-ouvriers et des prêtres de l’ACO. Il voulait marquer ainsi ostensiblement sa distance par rapport au pouvoir économique très prégnant qui régnait sur les vallées de l’Orne et de la Fensch.

Je l’ai entendu ensuite à Petite – Rosselle aux obsèques des mineurs tués par un coup de grisou au puits de Ste Fontaine. Son homélie était loin des discours conventionnels. Après des mots de compassion, devant les mineurs et leurs familles, face aux pouvoirs publics, face aux directeurs des Houillères, il avait fermement demandé que la sécurité ne soit pas sacrifiée au rendement. Il impressionna l’assistance.

Durant la guerre d’Algérie il a témoigné en personne au tribunal des forces armées de Metz et au Tribunal de Thionville en faveur de plusieurs objecteurs de conscience et d’un déserteur, ce qui était alors un geste fort, voire très compromettant, car le pouvoir, qui autorisait la torture, réprimait durement les opposants. Là, il était en phase avec certains militants catholiques mosellans qui ont combattu activement et très courageusement la torture en Algérie, Jean MULLER surtout, et ses proches, alors même que l’Aumônier général catholique couvrait ces pratiques de l’armée française. En Moselle des catholiques furent au premier rang pour combattre la torture. Pas seulement d’anciens scouts mais aussi des médecins et des avocats, membres ou non des groupes « Témoignage Chrétien » et «Reconstruction », de la JOC et de l’ACO, de l’ UGS devenue ensuite PSU. Nous les avons soutenus. Ce ne fut pas de tout repos, surtout au moment des attentats de l’ OAS. J’ai fréquenté André MANDOUZE à cette époque. Pour être juste il faut préciser que ce furent les protestants (y compris le Consistoire) qui réagirent les premiers. En dehors des chrétiens, des syndicalistes de la CGT et de la FEN, des membres du PCF, soit à titre individuels soit au nom de leur parti, apportèrent un appui très important, d’abord par leur nombre dans les manifestations et autres actions pour la paix en Algérie. Certains d’entre eux payèrent eux aussi un lourd tribut (5).

Il avait eu une polémique retentissante avec Mgr SPELLMAN, cardinal-archevêque de New-York, aumônier général des armées US. A quelques mois de la fin de guerre d’Indochine, ce partisan jusqu’au-boutiste prêchait encore la croisade et bénissait les canons. SCHMITT lui répliqua dans une lettre fameuse envoyée aussi pour publication au Monde . Ce geste fort, sans doute réfléchi, provoqua une polémique mémorable qui eut des échos nationaux considérables et jusqu’aux Etats-Unis même. Sa parole d’alors sur cette question mondiale majeure de la guerre d’Indochine a pris avec le temps une étonnante actualité après les deux guerres du Golfe: « La guerre jusqu’à la victoire cela veut dire des ruines, des larmes, des morts pour un temps indéterminé…On ne défend pas la cause de Dieu avec des armes…

On combat une doctrine et une organisation sociale de la société par une doctrine et une organisation sociale meilleures … ».

Nous l’avons rencontré sur un autre terrain. La laïcité était encore l’idéologie identitaire du SNI, le puissant syndicat national des instituteurs (380 000 adhérents). Mais à la FEN –Moselle, notre laïcité, qui était convaincue et ferme, n’était pas un combat antireligieux. Elle n’était pas sectaire car la laïcité n’est pas une idéologie. C’est bien, au sens propre, un anticléricalisme. Mais cet anticléricalisme ne doit en aucun cas être connoté avec ou même rapproché d’une lutte contre les religions ou contre les Eglises. J’ai voulu rompre le ghetto laïciste dans lequel s’étaient enfermés certains militants. Nous avons décidé de demander audience à l’évêque de Metz. C’était un geste « impensable » à l’époque. Nous avons été reçus à trois à l’évêché de Metz: le responsable du SNI, Emile REILAND, celui de la Ligue de l’enseignement, Jean DARROY et celui de la FEN, moi-même. Mgr SCHMITT était assisté du chanoine STENGER, directeur l’enseignement religieux, une forte personnalité très combative contre la laïcité.

L’audience au sujet de l’enseignement religieux a duré deux heures. Nous avons été écoutés mais nous ne nous sommes pas compris. Je peux dire aujourd’hui qu’à l’époque nous n’étions pas encore suffisamment compétents. Mais nous avions tout de même accompli un geste fort qui a été remarqué et une démarche que les autres militants laïques n’ont pas critiquée. J’ai maintenant des raisons de penser qu’il aurait sans doute accepté d’ouvrir le dialogue dans ce domaine. Celui-ci a été possible plus tard et il a eu lieu à l’évêché en 2002 et 2003. J’ai regretté alors que SCHMITT soit décédé dix ans trop tôt. Je suis persuadé qu’à la fin des années 90 nous aurions pu faire évoluer effectivement le problème du statut scolaire local car l’une des équipes de la FSU-Moselle, de la FOL et de la LDH, a beaucoup étudié et réfléchi sur ces questions dans les années 90 et après. Nous sommes parvenus à maîtriser le sujet et nous avons des propositions à faire.

En Juin 1971, la FEN-Moselle s’est opposée à Mgr SCHMITT au sujet du rattachement de la Moselle à l’académie de Nancy . Pour préserver le statut scolaire local, il soutenait l’idée d’une Académie autonome de Metz . La suite a montré que ses craintes étaient vaines. Par un étrange retournement de l’histoire, le Rectorat de Nancy s’est montré bien plus proche de l’évêché de Metz que ne l’était l’Inspection académique de la Moselle au sujet de l’enseignement privé et de l’enseignement religieux.

Dès avant-guerre, l’abbé P.-J. SCHMITT, « le grand SCHMITT », alias « PJ » pour certains catholiques militants actifs, avait fortement développé certaines œuvres de jeunesse. Il avait fondé l’AMOL, organisation très concurrente de la Fédération des Œuvres Laïques. Malgré cela, le Secrétaire Général de la FOL, Jean DARROY participa à ses obsèques. Un geste significatif. Je souhaite avoir confirmation d’une indication importante donnée par une messine pratiquante qui m’a assuré qu’il avait envisagé, peu après sa nomination, de demander l’abolition ou des aménagements du concordat alsacien –mosellan. Son chapitre s’y serait opposé, ce qui ne saurait étonner, même si quelques prêtres et des curés mosellans de la région du fer ont fait connaître à cette époque leur opposition au concordat.

En avril 84, il a tenu à s’expliquer longuement sur son attitude dans une adresse remarquable aux journalistes: « J’ai refusé de me laisser réduire au silence….L’homme est plus qu’une matière de l’ordre économique ou politique … »

Il va de soi que je n’ai pas d’explication à proposer ni au sujet de ses motivations ni sur les raisons de l’attitude rare de cet homme d’Eglise. Le Mosellan d’adoption que je suis s’est beaucoup intéressé aux problèmes de la sidérurgie lorraine que j’ai étudiés de près. La FEN-Moselle a souvent soutenu les luttes ouvrières dont cette région a été le théâtre et celle des mineurs de fer en particulier. Je suis enclin à voir dans les initiatives inhabituelles de ce Thionvillois d’origine, d’abord une grande proximité avec le monde du travail de sa région natale. La Lorraine du Nord était alors le creuset d’une prodigieuse activité économique et humaine. Elle fut frappée par une crise d’une ampleur et d’une gravité exceptionnelles qui alla s’amplifiant durant les années 60. Cet évêque n’a pas été le seul à avoir une position sociale mais il a eu une intelligence supérieure et la conscience de l’imbrication des problèmes économiques et sociaux et de leurs lourdes conséquences de tous ordres, d’abord humaines. Il s’est beaucoup engagé. Il faisait preuve d’une grande sensibilité qu’il exprimait dans des termes justes.

J’ai relu avec un réel intérêt quelques-uns de ses écrits. Je constate que c’était un homme d’une grande élévation d’esprit. Au total, je garde le souvenir d’un évêque lucide qui avait le courage tranquille de se placer en avant de la grande majorité de catholiques mosellans sur les grands problèmes de son époque. C’est assez rare pour devoir être salué. A la relecture de quelques uns de ses écrits, le non – croyant que je suis constate qu’en dehors des questions d’Eglise et de spiritualité, je suis parfois en accord avec certains points de son discours et certaines de ses positions. Son propos était ferme, assuré et persuasif au lieu d’être dogmatique et arrogant comme celui de certains hommes d’Eglise aux divers niveaux de la Hiérarchie, du simple croyant jusqu’au sommet. Il avait pourtant du caractère et il n’hésitait pas à prendre des risques. Ce ne fut pas un simple fonctionnaire ecclésiastique, un banal administrateur qui se serait contenté de gérer les positions et les privilèges de son Eglise. Il voyait loin et il s’engageait.

Pour ce témoignage, j’ai consulté assez longuement une bonne quinzaine de catholiques pratiquants qui l’ont connu. Pour autant je ne saurais rien dire de sérieux sur ses limites ou ses erreurs éventuelles. Malgré ses qualités éminentes, il semble avoir été parfois mal compris par certains «fidèles ».Quelques-uns, ceux par exemple qui préfèrent les prélats bien traditionnels, plus reposants, ceux qui ne posent pas de problèmes, l’ont fortement sous-estimé. Il était peut-être peu communicatif étant donné la nature et le niveau de ses spéculations. Mais d’autres considèrent pourtant qu’il était à l’écoute des plus modestes.

Il fréquentait en même temps des intellectuels éminents. Ancien professeur de philosophie, il évoluait à des niveaux intellectuels peu accessibles. Il avait fait des interventions consistantes au Concile de Vatican II et dans certaines commissions importantes de l’ Eglise, sur le diaconat entre autres.

La réserve à son égard de bon nombre de notables catholiques messins, notamment celle de certains universitaires, interroge davantage. La presse locale reflétait cette tiédeur. Elle ne le soutenait guère, contrairement à ses habitudes, comme c’est le cas actuellement. Il faut y voir sans doute, pour une part essentielle, le reflet d’un désaccord inavouable et indéfendable avec ses positions sociales et dans certains domaines politiques « délicats ». On l’a bien vu avec l’affaire SPELLMAN . On le comprendra bien mieux en relisant la longue liste de ses interventions dans le domaine social.

Pour le juger honnêtement, il est indispensable de reporter à la situation aux époques correspondantes et à l’état de l’opinion d’alors. Dans son milieu, très rares étaient ceux qui voyaient clair au sujet de la guerre d’Indochine et connaissaient les réalités de la guerre d’Algérie par exemple.

Il me semble que pour beaucoup, Paul-Joseph SCHMITT a été un évêque dérangeant. J’ai été vraiment surpris par le nombre, la violence et la ténacité des hostilités que lui ont valu, même après sa mort, son indépendance d’esprit et son refus de se taire. Il a été en bute à des manœuvres et il a été quasiment agressé lors de certaines de ses interventions. Mais, par contre, des amis proches lui conservent leur estime et même une grande admiration.

Voilà pourquoi j’ai conduit à ses obsèques à la cathédrale de Metz, une délégation des sections de Moselle de la FEN, du SNI et de la Ligue de l’Enseignement, . Une telle représentation laïque aux obsèques d’un évêque concordataire est un geste unique. Cette démarche simplement normale étonna quelques esprits étroits à droite mais pas un seul laïque mosellan nous désapprouva. J’ai noté simplement, sur des faits, des actes et des écrits, sa hauteur de vue sur de grands problèmes de son époque, son indépendance d’esprit et son courage remarquables . Voilà pourquoi je salue à nouveau la mémoire de cet évêque avec respect.

Metz, août 2005

Paul Berger

Références :

(1) Bruno KARTHEUSER, historien belge, vient de publier une somme énorme en 4 volumes de 500 p. en corps 10. Tome 3: WALTER, agent du SD à Tulle. Les pendaisons de Tulle le 9 juin 1944 . Editions Krautgarten orte. 2004, 554 pages.

La bibliographie compte plus de 70 titres parmi lesquels une quinzaine sont consacrés à l’affaire de Tulle elle-même.

(2)Aux pp 347 et 348 on trouve cité le témoignage de Paul BERGER étudiant (sic)

(3 ) Pierre TROUILLE Journal d’un préfet sous l’occupation Gallimard 1964 140p.

(4)Georges BEAU, Léopold GAUBUSSEAU R5 les SS en Limousin Périgord et Quercy

Presses de la Cité 1969, . page 196.

(5) Zorah TAREB. Perception et conséquences de la guerre d’ Algérie en Lorraine Thèse de doctorat d’histoire Université de Metz 1986

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Paul Berger, retraité né dans la Haut-Quercy en 1928, a été professeur de mathématiques au lycée Louis Vincent à Metz de 1951 à 1988, Secrétaire de la FEN (Fédération de l’Education Nationale) de la Moselle de 1962 à 1979 puis membre du Secrétariat national du SNES de 1967 à 1977, enfin Délégué Régional de la Ligue des Droits de l’ Homme pour la Lorraine de 1995 à 19992