Pour rendre compte de la situation des Roms migrants à Strasbourg, depuis plusieurs années, nous nous rendons fréquemment sur les terrains, conversons avec les habitants et avons pris l’habitude d’enregistrer et photographier tous les épisodes marquants de la vie des bidonvilles et des camps.

Comme toujours, donc, nous avons suivi ces dernières semaines, le démantèlement d’un bidonville, celui de Ducs d’Alsace afin de rendre compte du relogement de ses habitants, et comme à notre habitude, nous rendant sur place quelques jours plus tard, nous avons photographié le terrain vidé et nettoyé.

Or, fait nouveau, dès notre arrivée, par deux fois, à trois semaines d’intervalle, nous avons été agressé, d’abord verbalement, ensuite physiquement, par un homme qui s’est présenté comme « le gardien » des lieux. Nous connaissons cet homme, monténégrin d’origine, qui nous avait aidé, en juin 2013, à reconstruire des baraques détruites par le préfet de l’époque sur le terrain Petite Forêt, et avec lequel nous étions restés en bons termes. Sa caravane avec extension en baraquement jouxte le terrain Ducs d’Alsace, en bordure d’autoroute, petite parcelle de terre qu’il a transformée en potager et basse-cour pour assurer sa subsistance.

Ainsi donc, ce monsieur, fraîchement reconverti en “gardien” de lieux vides, se charge-t-il, manu militari s’il le faut, d’interdire l’accès à un terrain vague et même d’en prendre des photos.

La première agression, verbale, s’est déroulée le 24 février 2015 vers 18h alors que nous prenions des photos du camp vidé de ses habitants mais non nettoyé. Nous venions de prendre 2 ou 3 photos depuis la route lorsque cet homme est sorti en criant de sa caravane à une quarantaine de mètres de nous et est venu s’interposer physiquement devant notre objectif en nous insultant et nous demandant de partir immédiatement. Nous défendant de ses attaques et revendiquant notre droit à l’information, la conversation se fit plus franche et l’explication d’un tel comportement vint enfin de ses propres aveux : le titre et le rôle de gardien lui auraient été confié par la mission Roms de la Ville avec consigne de ne laisser personne s’installer ni même approcher du terrain vidé, surtout pas nous, «ces journalistes de merde qui ne racontent que des conneries et n’ont aucun droit de prendre des photos des camps… ». Ajoutant qu’il savait qui nous étions car on lui avait beaucoup parlé de nous, il nous donna fermement le conseil « d’arrêter de dire que c’est la mission Roms (à aucun moment, nous n’avions évoqué la mission Roms…) qui s’occupe mal des Roms, alors que les Roms, c’est la responsabilité du maire », ajoutant que si nous avions des critiques à faire ou des questions à poser sur les Roms, il fallait « directement envoyer les journalistes chez le maire et pas à la mission Roms.».

Pour une fois, nous serons obéissants, et suivrons ce bon conseil du nouveau porte-parole-chien de garde de la mission Roms en ne manquant pas d’envoyer des journalistes chez Monsieur le Maire qui pourra ensuite remercier la mission Roms de cette brillante idée.

Voici les 2 photos qui nous ont valu une agression verbale :

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Trois semaines après cette première agression verbale, retournant sur les lieux le 13 mars 2015 pour conserver des images du camp après nettoyage, un des membres de l’équipe de la Feuille de chou, subit cette fois une agression physique de la part du même homme avec, en plus d’un bras molesté et d’un appareil photo arraché des mains, une menace, poing brandi, de coup en plein visage ! L’agression physique se double d’une série de menaces si nous continuons « d’écrire des conneries » et de prendre des photos.

Nous précisons que cette agression physique -devant témoin- a été entièrement enregistrée ainsi que la conversation consécutive.

 

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Puis, nous expliquant que nous étions sur une propriété privée dont il était le gardien et dont il garantissait l’interdiction d’accès, il ajouta, se tournant vers son lopin de terre, que nous étions également interdit de pénétrer et de photographier « sa propriété ». C’est ainsi qu’avec stupeur nos yeux se sont posés sur un panneau planté au milieu de sa basse-cour indiquant “Montenegro, propriété privée” !

 

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Dans la foulée nos yeux se sont également posés sur un portail en bois et une nouvelle clôture paraissant neuve et ressemblant étrangement aux clôtures posées par la Ville ! D’ailleurs une banderole “strasbourg.eu” du plus bel effet était également accrochée à la clôture.

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Voyant que ses menaces physiques n’étaient d’aucun effet et sentant qu’il ne fallait pas trop attirer notre attention sur “sa propriété” et surtout la manière dont il avait été gratifié de cette “acquisition” et de son “titre” de “gardien”, il changea de conversation et essaya la menace d’aller porter plainte à la police pour (en bloc) intrusion-sur-terrain-interdit-provocation-écriture-de-conneries-etc… Après être allé chez lui chercher un bloc note, il revint prendre longuement notre numéro de plaque minéralogique, la marque de la voiture (couleur, nombre de portes, adresse du garagiste…), il ajouta la mention “journalistes de mairie” (aïe! ça, ça fait vraiment mal…) puis de manière hystérique il écrasa la mine du crayon en griffonnant nerveusement “copains de Pataki “.

Cette dernière mention en dit long sur les destinataires réels de ce relevé minutieux et est un aveu, à elle seule, de qui sont les “maîtres” du “chien de garde”.

 

Il existe des précédents.

Lors de nos nombreuses actions de terrain, nous avons souvent remarqué que certains habitants des bidonvilles ou des espaces temporaires d’insertion mis en place par la Ville, ne subissaient pas le même sort que leurs compatriotes et voisins d’infortune. Il n’a pas été difficile de se faire expliquer que ces personnes auraient l’habitude de rendre divers “services” ou fournir quelques “renseignements” aux responsables de la mission Roms et qu’ils étaient ensuite récompensés pour cela.

Ce n’est pas la première fois que la mission Roms de la Ville aurait recours à du “personnel sur place” pour faire du “gardiennage”. Ainsi, il nous est arrivé plusieurs fois, à peine arrivés sur un terrain de voir débarquer dans les minutes qui suivaient des habitants nous interdisant l’accès aux bidonvilles sans l’accord des grands chefs, nous déversant dans la foulée un discours bien huilé à la grandeur des responsables de la mission Roms « véritables pères et mères pour les Roms de Strasbourg » ; il suffisait alors de discuter un peu plus en détails des méthodes des “paternels” pour en conclure tous que nous préférerions être orphelins… 

Ce n’est pas non plus la première fois que la mission Roms de la Ville utiliserait de la main d’oeuvre Rom pour faire le sale boulot à sa place. De nombreux témoignages (enregistrés et filmés) nous parviennent régulièrement, parmi eux, ceux par exemple, datant de l’automne dernier, témoignant de la violente expulsion d’une femme seule avec enfants nouvellement arrivée à Strasbourg sur le site Petite Forêt. Pleins de remords, les habitants du terrain nous avaient expliqué que la mission Roms leur aurait dit : « si vous ne la jetez pas d’ici avec ses gosses, aucun d’entre vous ne sera autorisé à construire une cabane ». C’est donc sous la menace d’une expulsion collective répressive des habitants du terrain que ces derniers, utilisés comme milice par la mission Roms, auraient expulsé la nouvelle arrivante.

Enfin, ce n’est pas non plus la première fois que nous subissons des pressions, mise en garde, avertissements, interdictions de photographier et d’entrer sur certains sites et menaces physiques de la part de certains responsables de la mission Roms. Les mêmes qui défilaient le 11 janvier dernier pour Charlie et la liberté de la presse… Par chance, nous avons presque à chaque fois des témoins et souvent nous avons pu enregistrer ou filmer ces menaces.

Qu’ils fassent désormais faire leur sale boulot par des pauvres bougres, n’enlève rien à leur responsabilité morale d’avoir attisé par des discours hargneux et des mensonges éhontés, la haine du journaliste indépendant d’autant plus s’il est critique des actions (critiquables) de la Ville. (A noter que ce même discours sert aussi à attiser la hargne -et à sanctionner- les fonctionnaires critiques.)

Membres du Club de la presse Strasbourg-Europe et de Reporters sans Frontières, nous les avons avertis du traitement réservé aux journalistes indépendants-blogeurs lorsque, dans la capitale européenne, siège des Droits de l’Homme, on s’efforce de rendre compte de certains sujets, notamment du traitement réservé aux Roms migrants.

Nos enregistrements de l’agression ainsi que des témoignages plus anciens ont été dupliqués et transmis à des confrères.

Nous nous réservons le droit de porter plainte pour agression physique et entrave à la liberté d’information contre le “gardien” du terrain Ducs d’Alsace.

Toutefois, conscients que le commanditaire est tout aussi responsable que l’exécutant, mais aussi que les fonctionnaires, aussi zélés et venimeux soient-ils ne sont pas, au final, plus détestables et démocratiquement déviants que ceux qui définissent leurs missions et leur laissent carte blanche pour l’accomplir coûte que coûte, nous savons pertinemment que toute poursuite juridique impliquant des acteurs de terrain dans le cadre de nos reportages sur la politique de la Ville à l’égard des Roms, déboucherait inévitablement sur un scandale politique et médiatique d’ampleur nationale qui questionnerait et jugerait l’ensemble de la politique municipale à l’égard des Roms, et dont les effets seraient des plus néfastes pour l’image de la Ville.

Aussi, nous pensons, qu’il serait grand temps que les méthodes illégales, antidémocratiques, mafieuses et fascisantes de certains fonctionnaires soient recadrées au plus vite par le premier magistrat de la Ville et tous ceux qui se prétendent être, au quotidien, les “garants de la démocratie, de la République et du vivre-ensemble”. Lors d’un conseil municipal Mathieu Cahn avait déclaré que « la République, on n’est pas dedans quand on proclame qu’on est dedans, on est dedans quand on respecte ses valeurs » ; nous espérons avoir bientôt, à Strasbourg, les preuves concrètes de ces belles paroles.

 

Nous avons reçu ce matin ce commentaire instructif :

Salut,

Je ne suis ni photographe, ni journaliste, mais de temps en temps vais faire un tour a Strasbourg ou je dispose d’un petit pied a terre, et je m’amuse depuis peu (environ un an) a photographier les gens et la vie dans la rue. Inévitablement j’ai fini par rencontrer les roms et par découvrir comment certains vivaient dans leurs bidonvilles.
J’ai aussi découvert certains responsables de la mission roms, d’abord sur l’internet ou ils s’affichent dans les réseaux sociaux. Ils se sont alors vite empressés de me demander si j’avais les autorisations pour photographier ces personnes et les enfants en particulier. Je n’ai pas répondu a leurs questions. En France il me semble que la photo de rue n’est pas interdite…Puis j’ai fini par les voir en personne, il y a quelques semaines dans un des bidonvilles de Strasbourg, alors que j’apportai des vêtements aux enfants. Ils se sont alors empressés de me dire que je perdais mon temps, que mes vêtements finiraient dans la benne a ordure et que c’était a cause des gens comme moi que les roms venaient a Strasbourg et que je serais forcement déçu pas ces gens la etc, etc….Et comme je restais dans les baraques ils sont revenus voir a deux reprises ce qui se passait et surtout qui il y avait dans le campement ….Je n’ai rien d’autre a dire, sauf qu’il ne faudrait surtout pas donner a certains plus d’importance qu’ils en ont, les roms ausi l’ont bien compris.
Apres et comme partout certains confondent travail social et flicage, et feraient mieux pour commencer d’expulser leurs préjugés… Pour le reste ils n’ont peut être pas trop le choix, un chef si près de la retraite…, chacun fait ce qu’il peut. Je ne suis pas surpris de lire cet article.