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Nous sommes de simples citoyens déterminés à protéger nos vies privées et, à travers elles, nos libertés fondamentales, contre un projet de loi qui les met objectivement en danger. Nous sommes à ce jour 110 000 à avoir signé une pétition dans ce but. Nous exigeons d’être entendus.

Nous refusons que le gouvernement installe des « boîtes noires » chez chaque fournisseur d’accès Internet. Elles examineront et aspireront indistinctement tout ce qui passe par les tuyaux du Net français, pour ne faire le tri qu’après coup. Contrairement aux dénégations du gouvernement, c’est donc bien un dispositif de surveillance généralisée.

Nous refusons qu’il suffise à n’importe quel citoyen d’habiter le même quartier qu’un suspect, ou de connaître l’ami d’un ami d’un suspect, pour que ce citoyen puisse être mis sur écoute et pour que ses données personnelles soient aspirées par une police secrète.

Nous refusons que les services secrets, agissant ainsi, aient l’obligation de transmettre au procureur tout ce qu’ils découvriraient d’illégal sans aucun rapport avec leur enquête. Cela revient en effet à des « méga-filets dérivants » hors de tout contrôle d’un juge : autrement dit, des pleins pouvoirs d’enquête sans aucun contrôle judiciaire ex ante.

Nous dénonçons les contre-vérités du gouvernement sur la fameuse « commission de contrôle » censée protéger les citoyens des abus de surveillance. D’une part, en amont, l’avis de cette commission est consultatif : seul le premier ministre est décideur. D’autre part, si cette commission n’a pas le temps de se prononcer sous trois jours, elles est automatiquement réputée être d’accord. Enfin, en aval, un citoyen aura besoin de prouver « un intérêt direct et personnel » pour saisir cette commission (ou ensuite, le Conseil d’Etat) : comment diable le pourra-t-il, concernant des opérations secrètes ? Bref, en fait de garde-fous, ce sont des chimères.

Nous affirmons sans ambages que la saisine du Conseil constitutionnel annoncée par François Hollande est, pour la défense de nos libertés fondamentales, un pur mirage. Nous constatons en effet que récemment, le Conseil constitutionnel n’a pas fait barrage à plusieurs législations antiterroristes créant pourtant des méthodes policières invasives sans contre-pouvoir : par exemple, la réforme antiterroriste de 2008.

Nous constatons également que de 1959 à 2012, en dépit des contrôles du Conseil constitutionnel, la France est le 8e pays sur 47 le plus condamné pour violation de la Convention européenne des droits de l’Homme… Au contraire du ministre de l’Intérieur, qui soutint lors des débats à l’Assemblée que « la vie privée n’est pas une liberté », nous affirmons que la vie privée est en fait la clé de voûte absolue des libertés fondamentales. Sans protection raisonnable de nos vies privées contre les intrusions et surveillances policières, il n’y a par définition ni liberté d’opinion, ni liberté d’association, ni liberté d’expression, ni liberté de réunion ; ni, accessoirement, secret des sources des journalistes.

Nous ne demandons pas une sacralisation absolue de la vie privée : ce serait excessif. En revanche, pour qu’un régime reste démocratique, il est indispensable que l’accès des forces policières aux vies privées des citoyens reste difficile et exceptionnel, plutôt que facile et banal.

Sur un enjeu aussi crucial que l’équilibre entre la protection de la vie privée et la sécurité collective, nous exigeons que le gouvernement renonce à la « procédure accélérée » d’adoption de cette loi, au profit d’un débat adulte et responsable prenant le temps d’écouter la société civile. Nous exigeons que le gouvernement écoute réellement les associations militantes des droits civiques et numériques, la communauté « geek » française, et tous ces médias, qui, conscients du danger, se mobilisent frontalement contre ce projet.

Nous exigeons que le premier ministre retire dès à présent les éléments les plus inacceptables et dangereux susmentionnés. Nous appelons les sénateurs et les députés à voter contre ce projet. Nous appelons la société civile toute entière à se mobiliser contre ce texte. Enfin, nous appelons tous les citoyens qui ne l’ont pas encore fait à signer notre pétition.

 

Thomas Guénolé (politologue)

et Katerina Ryzhakova (communicante)

sont les co-initiateurs de cette pétition

(parue dans Le Monde du 23 avril)