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Suite à la parution au Journal officiel du vendredi 16 septembre, le Vatican a pris le pouvoir à l’Unistra. Le désormais ex-président Alain Beretz a tellement été un bon élève du gouvernement qu’il a dû quitter Strasbourg dans l’urgence pour courir occuper son nouveau poste de Directeur Général de la recherche et de l’innovation au secrétariat d’Etat à l’enseignement supérieur et à la recherche, auprès du Ministère de l’éducation nationale. Comme prévu par l’article 42 des Statuts de l’Unistra, la continuité institutionnelle est assurée par intérim par le 1er vice-président jusqu’aux prochaines élections (décembre 2016). Michel Deneken est donc président de l’Unistra au moins jusqu’en décembre. Sans surprise, aux élections de décembre il devrait être confirmé président. D’abord, grâce à l’appui des barons de l’université liés à l’administration Beretz par ses longues années de clientelisme. Ensuite, grâce aux personnalités extérieures membres du Conseil d’Administration depuis le début de la privatisation des universités, soucieuses d’avoir un nouveau laquais comme président et non pas quelqu’un suspecté de sympathiser avec les luttes des étudiants et personnels contre la dérive néolibérale des universités.

Après 4 mandats et 16 ans de responsabilités académiques à l’heure de la libéralisation de l’Unistra, Deneken n’est pas seulement représentant des mêmes politiques que Beretz (acceptation de l’autonomie des universités, de l’austérité budgétaire, des logiques d’excellence…). Il en rajoute une couche. Prêtre en exercice, professeur de théologie catholique, il est connu pour ses positions proches du Vatican. Dans la lutte de longue haleine pour le détachement du savoir scientifique des préjugés religieux, la nomination d’un curé au poste de président d’une université publique est un grand bond en arrière. La volonté de contamination du savoir scientifique par le discours religieux n’est pas cachée par Deneken lui-même. Dans son article La théologie dans la nouvelle Université de Strasbourg [1], il s’efforce de présenter la théologie comme un enseignement comme les autres, qui serait tout à fait normal dans une université publique (et donc financée avec des fonds publics). La théologie serait pour lui indispensable pour fonder un savoir interdisciplinaire et à « éclairer » le chercheur là où les autres sciences se montrent défaillantes :

« Plus qu’une cohabitation tranquille ou une coexistence pacifique, la relation entre la théologie et l’université d’État se fonde sur une tradition universitaire qui insiste sur le critère d’excellence et sur la dimension intellectuelle de la théologie qui constitue un mode de penser légitime dès lors qu’elle honore la tradition ecclésiale quand elle pense la foi et tente de la rendre intelligible. Pour l’université qui l’accueille, il ne s’agit pas simplement de tolérer la faculté de théologie catholique comme une simple survivance du passé. Parce qu’elle est pratiquée dans une université dévolue à l’enseignement et à la recherche, la théologie peut s’y déployer dans sa double dimension dialogique : avec les sciences qui la nourrissent, et qu’elle nourrit, en même temps qu’avec la culture au sein de laquelle elle se fait et qu’elle contribue à faire.

[…]

La théologie se situe dès lors dans l’espace où les disciplines se rejoignent. Au milieu des autres disciplines, la théologie accepte d’être une discipline parmi les autres. […] Il revient à la théologie de se situer au milieu, et non à côté, ni au-dessus, mais pas non plus en dessous, dans une reconnaissance mutuelle qui relève de l’essence même de l’université.

[…]

La théologie comprenant de l’intérieur les choses semble mieux à même d’expliquer cela. D’une certaine compréhension du monde et de l’Église dépend telle ou telle attitude socioculturelle. Le théologien, porteur d’une tradition vivante, à condition qu’il se fasse expert intelligible et non apologète aveugle, rend service. Ni l’historien, ni le littéraire, ni le sociologue ne devrait considérer comme étrange, ni étranger, le discours du théologien. Le musicologue traitant de la question des Réformes pourra avoir recours à l’historien. Mais c’est le théologien qui saura lui apporter un éclairage à partir de sa Tradition vivante. La logique propre de l’être au monde chrétien ne peut être saisie, même par les sciences des religions, sans un discours théologique dont les sciences peuvent s’emparer. Ce discours théologique d’aujourd’hui est nécessaire à la compréhension universitaire de l’Histoire, de l’Homme et de la Société ».

Depuis des nombreuses années nous assistons au brouhaha idéologique sur la laicité républicaine, et en particulier sur la laicité dans les écoles, lorsqu’il s’agit de stigmatiser la religion musulmane. Mais alors, comment justifier la nomination d’un prêtre au poste de président de l’Unistra ? La séparation de l’Etat et de l’Eglise ne serait plus d’actualité, au moins pour ce qui est de la religion catholique ? Quelles invectives auraient inventé les apôtres de la laicité si à la présidence de l’Unistra avait été nommé un imam ?

De plus, une question plus pratique se pose : la nomination d’un curé à la présidence de l’Unistra sera-t-elle sans effets quant à la liberté de la recherche scientifique ? Les études de genre, les recherches biomédicales et d’autres domaines d’étude font l’objet d’attaques persistants de la droite conservatrice et traditionnaliste, dont une partie du clergé et d’associations proches de l’Eglise catholique. Des « comités d’éthique », des « observatoires » voient le jour dans nombre d’universités pour censurer la diffusion d’une certaine recherche scientifique. Une fois Deneken confirmé président, quelles garanties existeront pour que la recherche scientifique reste libre et non pas influencée par les lobbies cléricales ?

Les mots de Deneken lui-même ne nous rassurent pas : « Le théologien doit donc faire montre de qualités d’ouverture et de dialogue, de collaboration et d’inventivité. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ait à renoncer à ce qu’il doit être selon les critères ecclésiaux, notamment d’agissant de la fidélité à la Tradition » [2]. Mais lorsque le théologien est président d’université et qu’il devra choisir entre « la déviation » et la tradition, permettra-t-il le financement et la liberté de recherche sur des sujets qu’aujourd’hui encore agitent le sommeil du clergé et de sa Tradition ?

L’Union des Etudiants Communistes de Strasbourg exprime son inquiétude quant à la nomination de Michel Deneken à la présidence de l’Unistra. Qu’il le sache dès maintenant, nous resterons très attentifs vis à vis de son interim et nous ferons le possible pour qu’en décembre gagne le camp de l’opposition aux politiques austéritaires et à la mainmise du clergé dans l’université. Une université que nous voulons plus que jamais publique, laique et démocratique.

Une consolation nous reste : au moins, un curé au poste de président pourra nous donner immédiatement les derniers sacrements la prochaine fois que le sang des étudiants en lutte coulera sur le campus.

Union des Etudiants Communistes de Strasbourg

[1] Michel DENEKEN, La théologie dans la nouvelle Université de Strasbourg, dans Recherches de Science Religieuse 2008/4 (Tome 96), Centre Sèvres Ed., Paris, 2008 : https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2008-4-page-527.htm

[2] idem

http://uecstrasbourg.over-blog.com/2016/09/de-beretz-a-deneken-coup-d-etat-du-vatican-a-l-unistra.html