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Quand Unterlinden révisionne Otto Dix…

Le musée Unterlinden expose en grande pompe La Madone aux Barbelés d’Otto Dix dans ses frais locaux « européens ». Pourtant, cette bonne maison laissa échapper l’œuvre, il n’y a guère, et préféra alors la dénigrer. Autant de péripéties qui ne figurent ni dans l’exposition ni dans les tartines qu’en recopie la presse couchée.

Officiellement, il ne s’est rien passé. Prisonnier de nos troupes en 1945, Otto Dix découvre le Retable d’Issenheim (Gruenewald, 1512) et la Vierge au buisson de roses (Schongauer, 1473) dont il s’inspire pour créer un triptyque autrement plus piquant, la Madone aux barbelés destiné à la chapelle catholique de son camp. Voici ce qui se passe après, selon le résumé officiel du catalogue livré par la commissaire de l’exposition, Frédérique Gœrig-Hergott :

« En juillet 1945, à la suite de la réinstallation du retable d’Issenheim au musée Unterlinden, Otto Dix a l’occasion de se confronter à plusieurs reprises aux célèbres panneaux de Grünewald et d’y puiser une nouvelle fois son inspiration, notamment avec la réalisation d’un nouveau triptyque pour la chapelle catholique du camp de prisonniers (La Madone aux barbelés, 1945). Une fois de retour chez lui, en février 1946, à Hemmenhofen – sur les bords du lac de Constance –, Otto Dix continue d’être hanté par le retable. Il trouve dans la symbolique de Grünewald le prétexte à exorciser les conséquences de la guerre et de l’obscurantisme et à évoquer sa période d’incarcération. Face aux représentations du martyre de l’humanité point néanmoins chez Otto Dix l’inépuisable espoir d’une rédemption. »

Cette guimauve bien gluante nous jésuite l’essentiel : ce qu’est devenu le tableau entre 1945 et aujourd’hui. Car ce qui s’est passé est assez misérable et je le dois cette fois à un autre Caton que moi, Jean Vermeil, qui m’a adressé la copie de son article publié le vendredi 29 avril 1988 dans le numéro 58 de l’hebdomadaire Réalités alsaciennes. Une enquête de vrai journaliste qui n’aura jamais été démentie depuis. La voici reproduite telle quelle :

« Colmar n’aura pas son retable du XX° siècle

Inspiré par les maîtres Rhénans, Otto Dix peignit La Madone aux barbelés en captivité à Colmar. Ce triptyque retrouvé en France vient d’être vendu à Cologne. L’Alsace y a perdu le plus bel hommage du XX° siècle au retable d’Issenheim.

Bien que mis au ban par les Nazis comme peintre décadent, Otto Dix avait dû, en février 1945, rejoindre à 53 ans le Volksturm dans lequel Hitler sacrifiait ses derniers hommes, vieillards ou enfants. Dès avril, il était arrêté et fait prisonnier de guerre dans un camp français à Colmar. Il y passa dix mois. Le commandant du camp le chargea de peindre une scène édifiante pour l’autel de la chapelle de l’aumônerie.

Otto Dix (1891-1969) travailla à sa Madona hinter Stacheldraht dans l’atelier du peintre colmarien Robert Gall. Déjà auteur de trois triptyques (La Grande ville à Stuttgart, La Guerre à Dresde, ainsi qu’une fresque triple détruite par les SS), il la peignit en trois volets sur contreplaqué selon la technique du tempera. L’ensemble mesure, cadre compris, 111 centimètres sur 164. Le panneau central représente la Vierge au Christ devant un réseau de barbelés, celui de gauche, St-Pierre agenouillé, mains enchaînées, celui de droite St-Pierre, le pied entravé.

Le triptyque ne rejoignit jamais son aumônerie : le commandant préféra le suspendre dans son propre appartement. Dix en peint alors une seconde version, mais cette fois seulement le panneau de la Madone. Quant au triptyque, il reste dans la famille du militaire. On le croyait perdu. C’est Henrik Hanstein, grand admirateur de Dix et propriétaire de l’hôtel des ventes Lempertz à Cologne, qui l’a retrouvé en France après une longue enquête. L’expert Fritz Löffler, ami de longue date de Dix, l’a authentifié. Mis aux enchères en décembre dernier [1987], il a été acquis 500 000 marks par le Sénat de Berlin (ouest) qui le destine à l’église catholique Maria Frieden de Tempelhof.

Otto Dix s’était explicitement inspiré des maîtres rhénans Cranach, Grünewald et Althoffer… pour la composition. Pourquoi alors cette peinte à Colmar n’est-elle pas revenue à Colmar où elle aurait constitué un émouvant écho, au-delà des siècles, au retable d’Issenheim ? Au musée Unterlinden, on se contente de cette explication officielle : « Nous étions au courant, mais l’œuvre n’offrait aucun intérêt historique. En outre, elle a été vendue très chère ».

La réalité est bien plus simple. Personne n’était au courant des investigations de l’Auktionator, qui a passé l’œuvre en fraude à la frontière ! Au Musée national d’art moderne du Centre Pompidou à Paris, on explique de source très informée [en fait Fabrice Hergott, me précise l’auteur] : « C’est une déplorable affaire. L’œuvre n’a pas été déclarée, elle nous est passée sous le nez. Si nous avions su, nous l’aurions aussitôt achetée pour Colmar. Un peu plus tôt, nous pouvions la faire interdire, ou exercer un droit de préemption. Nous avons épuisé tous les moyens possibles; mais il était trop tard. »

Sur la valeur de l’œuvre, Beaubourg infirme ainsi l’argument du Musée Unterlinden : « Dix n’eut certes pas de production continue. Il était très dilettante, changeant de genre tous les cinq ans, capable de passer du futurisme le plus dur au traditionalisme le plus transi, un peu comme Chirico… mais dans le cas du triptyque, il s’agit d’un très bon Dix, peut-être pas de tout premier plan, mais dans l’excellente moyenne. S’il a été vendu en dessous de sa valeur, c’est simplement parce qu’il n’est pas de la veine caricaturale, plus à la mode. Dix s’est beaucoup inspiré de l’école rhénane, pendant la guerre surtout, ou de Dürer dont il reprit un moment les principes de signature et de datation fractionnant le millésime en deux. »

Il reste à se demander pourquoi nul n’a renchéri à Cologne pour emporter une aussi bonne affaire : ni l’État, ni l’Alsace. Il reste à se demander encore pourquoi nul dans l’hexagone ne lit la revue allemande « art » qui, dans tous les kiosques, annonça (sans évoquer la fraude douanière d’ailleurs) bien à l’avance la nouvelle.

Jean Vermeil »

Sur tout ceci, les Dernières Nouvelles d’Alsace du 6 octobre 2016 osent ce mâle condensé :

« Le tableau n’a jamais été exposé dans la chapelle, car le camp a été détruit avant qu’il ne fût terminé. On perd sa trace jusqu’en 1987, quand il a été racheté par le Sénat allemand et déposé en 1988 dans l’église, etc. » [souligné par moi].

Oh, éthique journalistique ! La liberté de la presse ne serait qu’un produit lacrymal pour Alep ou Medelin. Il fait si bon dans les bureaux de la Nuée-Bleue… Bien jouées, les ruines pathétiques qui font « perdre la trace » d’une œuvre inachevée et pourtant achevée et fauchée par son commanditaire. C’est une V. F. (Version franchouille ?) qui fait ainsi pleurer Margotschen, mais ce pourrait être son chef S. H. dans ce service kulturel où on se soucie surtout de carrière…

Il y a pourtant de bonnes archives aux DNA, mais il faut s’en souvenir et ne pas se mettre à la botte des communiqués et de Wikipédia. Sinon les pompons de la suffisance scribouillarde, reste à savoir à qui profite le crime. On dirait qu’Unterlinden ravale l’histoire (son histoire) en même temps que ses murs. Voici qui est scientifique… Au mieux, cet info me sera piquée sans me citer, comme l’affaire des berges de l’ESCA qui est partie de la Feuille de chou et s’est résolue dans un splendide chèvre-chou municipal… D’ailleurs, on peut ne pas citer ses sources, c’est la loi : la presse en charentaises est une presse sérieuse, voyons. Mais cette fois, il faudra demander la permission à Vermeil et ne pas oublier de le citer. Un jour qu’il était presque abordable, il ma raconté ses cadavres…

Freddy Grossgosch