Come to Palestine- poster travel 1938

Conclusions de la mission d’un groupe d’Ensemble en Palestine

La commission internationale d’Ensemble ! a organisé une mission en Palestine du 20 au 30 octobre dernier. Le but était de se faire une opinion sur la situation actuelle en Palestine afin de préciser le positionnement de notre mouvement sur cette question en rencontrant les forces militantes (partis, syndicats, associations…), des personnalités de la société civile en Cisjordanie et sur le plateau du Golan (l’accès à Gaza étant quasiment impossible) et des forces progressistes en Israël (associations anticolonialistes, associations de défense des Palestiniens de 1948…). Cette mission nous a permis de prendre une série de contacts, de rencontrer et de débattre avec des militant-e-s de terrain de défense des droits du peuple palestinien. Ces rencontres, assorties de nos propres observations, contribuent à une meilleure compréhension de la situation politique, des avancées de la colonisation et de la stratégie israélienne de contrôle et de domination systématique et permanente de la population et du territoire palestinien.

Pendant cette mission nous avons ainsi pu rencontrer : un militant de l’AIC au Centre pour la Paix de Bethléem ; un membre du PHG à Ramallah, un contact de MA’AN, Fadma Barghouti, un militant du FPLP au siège de la TV el-Wattan, avoir un débat en soirée avec Michel Warschawski ; à Naplouse/Nablus visite de la ville et rencontre avec HRS ; visite du camp d’Aqabat Jaber, rencontre avec un villageois de Jiftlik ; un membre de Golan for Development Of The Arab Villages) à Majdal Shams ; un juriste de l’association Adalah et des Druzes israéliens à Haïfa ; UAWC à Hébron/Al-Khalil, puis visite de la vieille ville et rencontre avec une Palestinienne de la zone H2 subissant la violence des colons ; visite de villages bédouins du Néguev/en-Naqab en particulier Um al-Hiran, avec un militant de l’association Dukium ; des membres de l’association DeColonizer à Tel Aviv, puis Pierre Cochard, Consul général de France à Jérusalem et parallèlement le camp de Dheisheh à Bethléem ; un militant du FPLP) à Ramallah. Une rencontre avec l’association « les brodeuses de Bethléem et sa région » a dû être annulée, les forces israéliennes ne la laissant pas passer.

Toutes ces rencontres ont été instructives et nous ont permis de mieux appréhender la situation.

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Ces rencontres, assorties de nos propres observations du terrain, contribuent à une meilleure compréhension de la situation politique. Disons de prime abord que ce qu’on a vu dépasse tout ce qu’on a pu imaginer. Le contrôle administratif et militaire de tous les aspects de la vie quotidienne des Palestiniens est total. Un sentiment d’urgence se dégage de notre séjour.

L’accélération de la confiscation des terres, l’augmentation continue en nombre et en taille des colonies reliées entre elles par un réseau routier de plus en plus dense réservé aux colons, protégé par des soldats et étroitement surveillé, a transformé le territoire de Cisjordanie en cantons éparpillés. Villes et villages palestiniens limités dans leur développement spatial étouffent en raison de leur encerclement par les colonies. L’eau est confisquée et détournée des nappes phréatiques se trouvant sous le sol de la Cisjordanie au profit des colons et des villes israéliennes. Les Palestiniens sont obligés d’acheter l’eau qu’Israël leur vend à un prix trois fois plus cher que celui des Israéliens dont le revenu est 16 fois plus élevé. Le Golan syrien a été annexé pour des raisons stratégiques et pour ses ressources en eau. L’approvisionnement en électricité est totalement contrôlé par Israël permettant d’étrangler les Palestiniens à volonté.

Le temps des Palestiniens est confisqué, les check-points les empêchant de maîtriser les durées de leurs activités, de circuler normalement, d’aller au travail, à l’université, à l’hôpital, de rencontrer famille et ami-e-s, ou de visiter Jérusalem/Al-Qods située à quelques kilomètres ou quelques dizaines de kilomètres de chez eux. Et que dire des menaces sur leurs vies aux abords de ces barrages, car ils peuvent être exécutés, même quand ils ne sont pas armés, par les soldats les suspectant de terrorisme. Les violences sont récurrentes en particulier dans les camps de réfugié-e-s allant jusqu’à les transformer en camps d’handicapé-e-s (on tire sur les jambes des mineurs). Les soldats peuvent entrer dans les maisons la nuit, kidnapper les enfants, interroger sans avocat et sans que l’on sache celles et ceux qui reviendront.

Les prisons se remplissent, les peines administratives pouvant aller de “6 mois à 2000 ans”. Le système judiciaire militaire israélien est un instrument très nocif de l’occupation. Les grévistes de la faim sont ignorés, les corps des morts, rarement restitués, sont enterrés dans des cimetières dits des chiffres (les numéros des prisonniers). En témoignent, dans les camps de Balata et de Dheisheh ainsi que dans la ville de Naplouse/Nablus, les murs tapissés d’images de martyrs et de celle de Handala (qui signifie plante amère en arabe, comme le goût de la Nakba), petit personnage du dessinateur palestinien Naji al-Ali assassiné à Londres en 1987 par le Mossad.

L’occupation est omniprésente, flicage permanent, caméras de surveillance visibles dans les bâtiments et les rues, et même dans des mosquées (comme à Hébron/Al-Khalil), miradors sur les routes, présence du Mur de séparation qui a servi à confisquer les meilleures terres agricoles de Cisjordanie, répression brutale, recrutement de collabos. La situation est particulièrement difficile à Jérusalem où les occupations de maisons palestiniennes dans la Vieille Ville et ses faubourgs (Silwan, Sheikh Jarrah…) se multiplient et où l’accès des Palestiniens à l’Esplanade des Mosquées est de plus en plus difficile alors qu’inversement les colons armés paradent dans les quartiers palestiniens et les ultraorthodoxes juifs de Méa Shéarim (Jérusalem-Ouest) se rendent en vagues compactes avec femmes et (nombreux) enfants au Mur des Lamentations juste avant le début du shabbat, sans un regard pour les Palestiniens dont ils traversent les quartiers.

Et que dire de la situation de Hébron/Al-Khalil, ville partagée en deux à cause de la présence au centre-ville de 400 colons d’ultra-droite -protégés par plusieurs milliers de soldats- qui continuent à déverser leurs ordures sur les Palestiniens et tentent par tous les moyens (violence, propositions mirifiques d’achat de leurs maisons -des millions de dollars…) de les faire partir. La situation est également particulièrement grave dans toute la zone C qui couvre 62% de la Cisjordanie et est entièrement administrée par Israël, notamment dans la vallée du Jourdain où se conjuguent développement de l’agriculture coloniale, expulsions de populations de Bédouins et destructions d’infrastructures et de maisons.

Quant aux Palestiniens en Israël qui sont de fait des citoyens de seconde zone, ils subissent des discriminations très graves. Dans le Néguev/en-Naqab, des destructions de plusieurs dizaines de villages de Bédouins (qui sont sédentarisés depuis plus d’un siècle mais qu’Israël persiste à appeler ainsi pour les détacher de leur terre) ont lieu pour construire des colonies. C’est le cas des villages d’al-Araqib, détruit et reconstruit par ses habitant-e-s plus d’une centaine de fois, d’al-Atir où il est prévu d’étendre la forêt et d’Um al-Hiran d’où il est possible de voir sur les hauteurs, les engins de chantier en train de construire un nouveau village déjà appelé al-Harin, qui sera peuplé de colons. Ce 18 janvier le village a été détruit. La police était venue en nombre pour “sécuriser” sa destruction, anticipant la légitime révolte populaire. Le député palestinien d’Israël et leader de la Liste Unifiée (coalition des partis palestiniens d’Israël et troisième force politique du pays) Ayman Odeh était venu apporter son soutien aux villageois. Il en repartira blessé par un tir policer. Pire, deux morts sont à dénombrer : un villageois palestinien et un policier israélien.

A ce jour plus d’une cinquantaine de lois discriminatoires à l’encontre des arabes dans le droit civil israélien existent et sont consultables sur le site d’Adalah. Les militant-e-s rencontré-e-s aussi bien Adalah que DeColonizer ont insisté sur le caractère biaisé des textes législatifs israéliens, les textes apparemment « neutres » pouvant systématiquement être interprétés dans un sens favorable à la colonisation ou aux expulsions.

L’Autorité palestinienne est complètement discréditée par sa collaboration avec l’occupant, sa corruption galopante, son autoritarisme forcené et l’absence de démocratie. Les élections locales prévues pour octobre ont été reportées par la Cour Suprême palestinienne sans que cela n’entraîne de protestations autres que formelles, même de la part du Hamas. Le Fatah en Cisjordanie et le Hamas à Gaza risquent bien de sortir tous les deux affaiblis de ces élections locales et, selon un militant d’une ONG française qui a pu se rendre quelques jours à Gaza, le Hamas pourrait perdre le contrôle de ce territoire, au profit du Jihad islamique. Les organisations de gauche (FPLP, FDPLP, PPP) restent divisées malgré des tentatives de rapprochement en 2016 à des fins électorales. Ce processus est actuellement au point mort. A noter la création en cours d’un parti écologique.

La situation politique reste complètement bloquée par l’attitude du gouvernement israélien d’extrême-droite qui développe la colonisation et mène une politique d’apartheid en Cisjordanie, maintient un blocus inhumain de la Bande de Gaza et multiplie les mesures discriminatoires à l’encontre de la minorité palestinienne vivant en Israël.

Le bilan de notre mission est que la situation des Palestiniens (et aussi des citoyen-ne-s israéliens tels que les Bédouins du Néguev/en-Naqab) ne fait que s’aggraver. Tout le monde est d’accord pour dire que le processus d’Oslo en tant que tel est mort depuis longtemps car la colonisation se poursuit de façon inexorable. L’ensemble de nos interlocuteurs-trices, y compris Fadma Barghouti, s’accordent pour dire que les jeunes ne croient plus guère à la solution à deux États. Par ailleurs les affiches que nous avons vues un peu partout commémorant la Nakba témoignent de la détermination des Palestiniens à faire valoir leur droit au retour.

En toute fin, la solution à deux Etats ou un État reste un choix des Palestiniens mais tous nos interlocuteurs-trices ont insisté sur la nécessité de la reconnaissance par Israël de la Nakba et, partant, du droit au retour, dont le principe doit être intangible, même si ses modalités sont éventuellement négociables.

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Depuis cette mission les constats faits sur place n’ont fait que s’aggraver avec une constante surenchère entre le ministre d’extrême droite Bennett et le premier ministre de droite extrême Netanyahou. De plus la situation ne peut qu’empirer avec l’élection de Trump aux USA qui risque de provoquer une régression – y compris par rapport à la relative et récente semi victoire diplomatique obtenue à l’ONU en fin de mandat Obama – comme le montrent sa position sur la grâce du soldat assassin d’Hébron/Al-Khalil, les premières nominations comme celle du futur ambassadeur des USA David Friedman qui soutient les positions ultra sionistes ou son intention de déménager l’ambassade des USA à Jérusalem.

Au total on peut insister sur les quelques points qui suivent :

Le sentiment d’impuissance et l’absence de stratégie et de conduite à tenir à court terme amènent les Palestiniens à n’avoir comme perspective que la résistance au jour le jour ;

Le discrédit des institutions notamment de l’Autorité palestinienne et des organisations politiques, que ce soit le Fatah ou le Hamas ;

L’extrême fragmentation de la gauche ;

La détermination des palestiniens à faire valoir leur droit au retour ;

L’importance de la campagne BDS.

Rien dans la situation actuelle n’incite donc à l’optimisme ; c’est pourquoi notre soutien au peuple palestinien, dans toutes ses composantes (en Cisjordanie, à Gaza, en Israël et pour les réfugié-e-s), reste une nécessité absolue. Seule l’action militante amplifiée, généralisée, en France comme à l’échelle de l’UE et au niveau international, peut amener -à terme- les élu-e-s à faire pression sur l’État israélien pour qu’il accepte les revendications du peuple palestinien.

A l’issue de cette mission, les conclusions du groupe Palestine quant au soutien à avoir envers la cause palestinienne présentées lors de la réunion du Conseil National des 19 & 20 mars 2016 ont été confirmées par notre séjour.

Rappel des 3 axes de soutien à développer :

* Faire connaître la situation en Palestine, développer des jumelages et des coopérations directes avec villes, villages, coopératives, centres sociaux, coopératives de production, favoriser les missions d’entraide et de connaissance mutuelles, favoriser la venue de représentant-e-s de la résistance palestinienne et des anticolonialistes israéliens.

* Développer la campagne BDS (Boycott, Désinvestissements, Sanctions) dans ses trois dimensions liées. C’est par la sensibilisation populaire au boycott que l’on peut peser sur les décisions des entreprises pour qu’elles soient obligées de cesser leurs investissements et plus encore sur nos gouvernants pour qu’ils entrent dans la logique des sanctions politiques et économiques. L’organisation de l’activité sur cette question constitue un des moyens pour formaliser la lutte de soutien au peuple palestinien. Le boycotte culturel, universitaire et sportif ne vise pas à cesser toutes les relations avec les Israéliens mais à refuser les relations avec les institutions israéliennes en tant qu’elles tentent de se présenter comme une « vitrine » de « la seule démocratie du Moyen Orient ». Il faudrait de plus développer le boycott économique (banques, entreprises…) et des actions de coopération scientifique susceptible d’avoir des retombées militaires.

* Poursuivre la pression sur les élu-e- s, notamment pour des campagnes spécifiques telles que celles demandant la suspension de l’accord d’association économique entre Israël et l’Union européenne initiée par le CNPJDPI et le collectif « Trop c’est Trop » avec la participation de la plateforme des ONG pour la Palestine et BDS France ainsi que celles demandant l’abrogation de la circulaire Alliot-Marie / Mercier.

Paris le 14-01-2017. Jacky Chataignier, Jacques Fontaine, Henri Mermé et Noufissa Mikou