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Tribune libre

 

LES SOINS DÉLÉTÈRES                                                                                                                      21février 2017

 

Cela fait quarante-huit ans déjà que l’homme a posé pour la première fois le pied sur la lune. Depuis, la technologie, les traitements contre le cancer et autres maladies mortelles ou fortement invalidantes ont bien progressé. Les questions de la défense des femmes, des enfants, des étrangers et des homosexuels sont régulièrement abordées dans les médias, et des luttes sont engagées, – même si dans ces domaines qui touchent à l’individu en position de faiblesse, beaucoup de choses sont encore à faire… Qu’en est-il alors de la psychiatrie ???

 

Aujourd’hui, en France, on dénonce des scandales dans de nombreux domaines, politiques, financiers, sanitaires, environnementaux… Et pourtant il en reste un dont on ne parle jamais : la maltraitance en psychiatrie. Il existe encore aujourd’hui dans notre pays une caste qui aurait bien besoin de descendre de son piédestal : je veux parler des sacro-saints psychiatres, vénérés dans les médias. Les émissions médicales grand public proposent très souvent des témoignages « ultra sérieux » sur nos chers «médecins de l’âme ». Personne ne remet en question leur « science » pourtant profondément imparfaite et même parfois nocive…

 

En effet, les psychiatres « nous » prescrivent – et nous sommes nombreux ! – des médicaments psychotropes, trop souvent, à mauvais escient et sans précaution aucune, sans en connaître réellement l’impact ni les nombreux effets secondaires, à commencer par les antidépresseurs, dont l’effet destructeur peut induire ou accentuer les risques de tentatives de suicide. N’est-ce pas là le comble de l’ironie ?

 

Les neuroleptiques (ou antipsychotiques), moins connus du grand public, – médicaments tabous dans les médias et pourtant très couramment prescrits, que l’on appelle pudiquement « calmants » -, servent à lutter contre les psychoses. Ce sont des médicaments très lourds aux nombreux effets secondaires (prise de poids, apathie, dépression, frigidité ou impuissance, difficulté à se concentrer, ralentissement intellectuel, insomnies, regard fixe, problèmes de foie, forte accoutumance…etc…). Ils sont prescrits d’emblée et presque systématiquement aux personnes dépressives qui arrivent à l’hôpital psychiatrique et n’en ont sans doute pas besoin. Est-ce pour permettre aux « soignants » de garantir la « paix » dans l’hôpital ? Le personnel désire-t-il endormir les malades au moyen d’une camisole chimique, de façon à pouvoir déguster tranquillement son café aux heures de pause – et en dehors des pauses ? Est-il vraiment pertinent alors de parler, comme on le fait souvent, d’un sous-effectif de l’équipe médicale ? N’est-ce pas plutôt un problème d’investissement du personnel ?

 

La plupart des infirmiers en psychiatrie sont parachutés là, par hasard, à défaut de travailler dans un autre service. En outre, depuis quelques temps, il n’existe plus de formation spécifique en psychiatrie pour les étudiants infirmiers, ce qui à mon avis est une aberration. L’approche thérapeutique d’une personne fragilisée ou délirante n’est pas du tout la même que celle d’une personne saine d’esprit, malade uniquement corporellement (même si l’esprit et le corps restent bien évidemment liés…)

 

La maladie mentale est encore peu connue et fait peur, même à ceux qui sont censés la soigner, et une grande partie du personnel psychiatrique préfère se blinder contre la douleur des patients, plutôt que se laisser gagner  par l’empathie et le désir de comprendre la folie de l’autre, sa différence, simplement parce que nombre d’entre eux manquent d’humanité et ne sont pas faits pour exercer ce métier. Ils n’en ont ni le cœur, ni les épaules…

J’ai été choquée par un reportage tourné à l’hôpital Mondor à Créteil et diffusé à la télévision en février de cette année, où l’on présente les patients comme des animaux dans un zoo, sans se poser la question de savoir s’ils sont ou non des êtres humains. Est-ce dans le but de créer un fossé entre le malade psychique et la personne lambda, – je veux parler du téléspectateur -, de rassurer la masse, par effet de contraste, sur son bon état de santé mentale. ? Dans ce documentaire, alors que les soignants sont interviewés à plusieurs reprises, aucun patient n’est écouté ni questionné, on ne lui permet pas d’exprimer son mal au grand public, comme si sa parole était sans importance…

Une jeune interne avoue n’être jamais émue par ses patients. Elle confie par contre avoir un jour été sensible à la douleur des parents d’une de ses malades. Ne peut-on vraiment être touché que par les gens soi-disant normaux, qui sont hors de l’hôpital et ont, eux, le droit d’être entendus ? Les fous n’ont-ils pas eux aussi droit à la commisération ?

J’ai lu un livre formidable sur les soins palliatifs, écrit par une psychologue, Marie de Hennezel, qui témoigne de son humanité et de son empathie envers ses patients en fin de vie. Contrairement aux idées reçues, elle affirme que le fait de s’impliquer émotionnellement auprès des malades lui permet non seulement d’être gratifiée par le fait de donner, mais aussi de beaucoup recevoir en échange. N’est-ce pas ça l’humanité ? Pourquoi n’en est-il pas ainsi dans les hôpitaux psychiatriques ? Les médecins n’ont-ils pas eux aussi quelque chose à apprendre des patients ? Ces derniers sont-ils vraiment irrécupérables, bons à jeter à la poubelle ?…

Pourquoi la quasi-totalité des personnes ayant séjourné en psychiatrie en dressent-elles un tableau aussi noir, proche de la prison, alors que c’est un endroit censé soulager et accompagner la douleur psychique ? Pourquoi tant de personnes tentent-elles de s’en échapper ? Veut-on s’évader d’un endroit où l’on est bien soigné ? A-t-on l’habitude de voir des cancéreux déserter leur lieu de soin ?

À l’hôpital civil, à Strasbourg, encore aujourd’hui, les patients sont parqués dans un service minuscule, sans un mètre carré de jardin, n’ont droit ni à la télévision, ni la plupart du temps au téléphone portable (un appel par jour est permis depuis le bureau des infirmiers, avec quelle intimité ?) -, alors que, exceptés la radio et les journaux qui leur sont permis, – les seules ouvertures sur le monde qui leur restent -, rien ne leur permet de s’évader, du moins en pensée, de ce lieu de misère… Et essayez de lire ou de vous concentrer sur une émission radio lorsque vous êtres blindé de neuroleptiques !

Très souvent, on leur interdit même, – notamment aux anorexiques, avec qui l’on exerce un pur chantage -,  le droit aux livres, à la musique, et on ne leur permet de visites qu’à certaines conditions ! Dans quel but ? Pour les couper du monde un peu plus encore ? Pour effectuer, à nouveau, une scission entre le fou et le non-fou ?

Pourquoi les pauses cigarette sont-elles si restreintes ? Qu’y a-t il d’autre à faire en ce lieu quand aucune activité n’est proposée de la journée. ? Les patients sont livrés à eux-mêmes, déambulent dans les couloirs, ou s’abrutissent devant l’unique poste de télévision du service, qui éructe ses insanités toute la journée. À télé unique, programme unique !

L’ensemble des psys se plaît à dire que toutes ces interdictions sont justifiées par la nécessité de développer un « lien social » entre les patients. Or comment voulez-vous communiquer avec des gens aussi détruits et que vous n’avez pas choisis, avec qui vous êtes enfermé vingt-quatre heures sur vingt-quatre? Comment voulez-vous trouver du réconfort parmi des personnes qui vont parfois plus mal que vous et sont incapables de vous écouter, de comprendre votre souffrance, souffrance que même les psychiatres et les infirmiers ne comprennent pas ?

 

Mais le pire n’est pas cela : savez-vous qu’en 2017 il existe encore des cellules d’isolement dans lesquelles on vous laisse croupir, que parfois l’on attache certains patients pendant des jours, voire des semaines, les laissant uriner et déféquer sous eux, alors que ce dernier recours, l’attachement, ne devrait durer que le temps d’administrer un neuroleptique permettant de calmer la personne « agitée », comme « ils » disent.

Dans le reportage dont je parle plus haut, un soignant évoque le fait d’attacher quelqu’un « sans violence ». Or, le simple fait d’attacher quelqu’un est une violence ! Seulement le personnel ne veut pas le reconnaître. Sans doute cela nuirait-il à la bonne image qu’il souhaite préserver de sa pratique. Cela remettrait en question les limites dans l’exercice de son métier… Certains parlent même de la contention comme quelque chose de rassurant, voire de thérapeutique !

Si les gens étaient bien traités en psychiatrie, s’ils n’étaient pas enfermés, incompris, laissés à l’abandon, seraient-ils aussi violents, aussi incontrôlables ? Il est évident pour moi que la plupart du temps le malade n’y est pas traité comme un être humain à part entière, mais uniquement comme un corps qu’il faut protéger. Curieusement, on s’occupe beaucoup de votre sécurité physique en psychiatrie, mais jamais de votre sécurité psychique, sinon jamais l’on n’attacherait les gens aussi longtemps. Tout ce qui compte c’est d’éviter au patient de se suicider à l’hôpital. Après on s’en fout, on n’est plus responsable ! Et cela arrive pourtant très souvent, ce qui montre l’incapacité des « soignants » à « soigner » !

Peu importe votre souffrance psychique. Le personnel serait bien évidemment inquiété par les blessures corporelles, voire la mort d’un patient, au sein même de l’hôpital, mais pas par les dégâts causés sur son psychisme, pas par la détérioration de son âme, tout le monde s’en fout, étant donné que personne n’ose porter plainte ! Tout ce qui compte pour eux est que le patient mange et dorme correctement, comme un légume.

Il est difficile, voire impossible de se retourner contre le personnel hospitalier, de dénoncer un mauvais traitement à la fois physique et psychique comme la contention. Et le fou n’est pas crédible. Il n’a pas de poids ! Redonnons-lui du poids ! Ce temps passé en psychiatrie peut créer des dégâts terribles chez ceux qu’on appelle communément les « fous », dégâts qui s’ajoutent à leur souffrance déjà immense…

 

Savez-vous aussi, – j’en suis témoin, – que certaines cellules sont filmées, à l’insu du patient ? Ne devrait-ce pas être interdit par la loi, pour protéger l’intimité ?

Beaucoup de malades se sentent, par ailleurs, considérés comme des cobayes et non comme des personnes à part entière, avec leurs droits, leurs désirs, leurs chagrins… Les entretiens dans le cabinet du psy sont très souvent faits sans humanité, sans empathie. Les médicaments sont prescrits aléatoirement, un peu comme un chercheur infligerait une décharge électrique à une souris pour en observer le résultat.

 

J’ai été, moi-même, en 1999, cobaye d’un chef de service que je ne citerai pas. Un amphi entier d’étudiants m’a entendu raconter ma vie alors que j’étais délirante. N’est-ce pas une atteinte à la dignité humaine ? Et si un de ces étudiants m’avait rencontré un jour dans la rue, quel jugement aurait-t-il eu à mon égard ?

Qui pourrait se sentir écouté, compris, rassuré dans ces lieux de misère qu’on appelle « hôpitaux » ? Qui cela soigne-t-il ? Le comportement inapproprié, la froideur, le côté parfois méprisant de certains médecins face à la folie qu’ils rejettent en bloc au lieu de s’y intéresser vraiment n’ajoute-t-il pas au traumatisme ?

Trouvez-vous humain de laisser errer – il n’y a pas d’autre mot ! – certains patients des mois, des années, parfois leur vie entière, enfermés, sans autre horizon que les murs du service, parfois sans même jamais mettre le nez dehors ?

Ne serait-il pas temps que tous ces patients –  honteux de leur condition car si mal perçus par la société dans son ensemble – se regroupent pour créer leur force et portent plainte ensemble contre ces abus ? Redonnons une voix aux faibles !

 

Je vous invite à me faire part de vos réactions sur mon adresse mail : charlotteparfois@yahoo.fr