Le Pas-le-Choix-Business

Le lycée ORT expose un remarquable travail franco-allemand sur le système concentrationnaire du Struthof et ses satellites. Mais il a fallu l’officiel de trop pour transformer le vernissage en tentative de récupération.

Le camp du Struthof a une caractéristique principale : il fut politique, sans un juif — sinon le transit des cadavres pour la collection perverse du docteur Hirt. C’est pourtant le Lycée ORT, impeccable vitrine du judaïsme élégant, qui s’est chargé de coordonner le travail de trois lycées français et douze allemands. Ces jeunes ont rapporté, par leurs photographies, leurs dessins et un beau travail d’archive, la folie d’une nébuleuse de près de soixante-dix succursales du camp de concentration du Struthof. On y travaillait d’un même épuisement dans les champs ou dans les tunnels secrets…

L’exposition s’intitule « Natzweiler » mais cette germanisation du nom d’un village français d’Alsace ne tient pas à un abus des partenaires allemands, tous de la meilleure bonne volonté. Non, il reprend dans une certaine complaisance l’intitulé world-nazi du camp : il y a aussi de la préséance dans l’abject, pour ne pas parler de supériorité. Et tant pis pour les habitants de Naztzwiller.

Tout l’exercice du vernissage de l’exposition, fin janvier, fut à cette enseigne. Ne pas parler du judaïsme qui n’eut pas lieu, mais tout enrober dans un non-dit juif opérant une douce confusion : présence du consul d’Israël, témoignage d’une survivante judéo-polonaise passée par un satellite excentré du camp… Et même un kol-nidré sirupeux au violoncelle alors que la musique concentrationnaire goy existe, de Messiaen à Belifante… Là, on pouvait encore se dire que ce travail était porté par des connaisseurs, ceux qui ont le plus morflé. Ainsi se sont succédés, sereins, plusieurs discours et même en langue croisée, la professeure allemande en français et sa consœur française en allemand.

Ce n’était sûrement pas assez : il y en a qui voudraient bien faire des attentats de Paris ou de Toulouse des drames exclusivement antisémites — voir leurs plaques de marbre ségrégationnistes — alors que toute la nation a trinqué, et même nos compatriotes musulmans. Alors est apparu, sorti des plis du drapeau allemand (sic) faisant bouquet en fond de décor avec l’européen et le français, un représentant départemental du CRIF (ou quelque chose dans ce mirlitonesque) portant un tas de livres à « officiellement » offrir aux lycéens : Maus, du génial mais mal placé Spiegelman, plutôt que le souriant Sfar à la laïcité farouche et si délicieusement juive… Même pas emballés, les livres, on avait fait dans la précipitation et le catimini… A la remarque que tous ces livres étaient en français, le cacique aux petits-pieds, qui n’y avait franchement pas pensé, a répondu un vague : « Ce n’est pas très grave, on verra… ». On aimerait bien que tous les Français aient accompli la moitié du travail de la faute de nos chers voisins. Ils étaient treize lycées et nous trois, cela se passe de commentaire…

Victimes de ce pas-le-choix-business, les gens de l’ORT faisaient des yeux tout ronds. Ils n’y étaient vraiment pour (presque ?) rien. Allons, il restait leur merveilleux riesling cachère pour noyer ça… ensemble !

Freddy Grossgosch

http://www.strasbourg.ort.asso.fr/+La-memoire-des-camps-annexes-du-KL-Natzweiler-Struthof+