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il n’est pas très tentant pour un prétendant au Palais de l’Elysée de mener campagne en annonçant cinq années de vaches maigres

L’élection présidentielle de 2012 ne ressemble à aucune autre. Elle constitue en effet typiquement ce que l’on peut appeler une élection de crise, c’est-à-dire une élection majeure organisée au beau milieu de la crise monétaire, financière, donc économique et sociale la plus grave depuis celle des années trente, il y a maintenant huit décennies.

On dira que l’élection présidentielle de 1981 se situait, elle aussi, au moment où la crise pétrolière avait des effets désastreux sur le chômage et sur l’inflation. À l’époque, la crise ne faisait cependant que commencer, et l’on pouvait croire qu’elle serait de courte durée, puisque liée aux dérèglements ponctuels des prix de l’énergie. D’ailleurs, l’élection de François Mitterrand avait eu lieu sur un fond d’espérance, même si la suite l’a cruellement démenti.

Cette fois-ci en revanche, rien de tel. Les Français ont parfaitement compris la gravité de la crise actuelle. Ils savent que l’avenir du système monétaire européen est en jeu, que le Vieux Continent est aujourd’hui dans sa totalité en grande difficulté, que la mondialisation, de toute façon irrépressible et irréversible, pose brutalement la question de la compétitivité des entreprises européennes. Ils constatent que la croissance est plus faible que dans les autres continents, ils en voient les conséquences sur l’emploi. Ils n’ignorent pas que le niveau de la dette rend impérieuse et urgente la diminution des déficits publics. Bref, ils voient bien que la France se trouve en pleine tourmente économique, comme le reste de l’Europe — même si, à force de rigueur et de constance, l’Allemagne se défend mieux -, que chaque jour, la crise des dettes souveraines peut s’embraser en Espagne, comme demain en Italie voire en France. Le vote d’aujourd’hui et celui du dimanche 6 mai ont donc lieu dans des conditions absolument atypiques.

Le paradoxe, inquiétant, est que jusqu’ici, la crise, omniprésente dans les esprits, n’a pas tenu du tout la place qu’elle mérite au sein de la campagne. Il serait faux de dire qu’elle a été absente. Elle a cependant été constamment enjambée par certains candidats ou candidates, comme s’il était possible et même imaginable de la contourner. Elle a été sous-estimée, comme escamotée dans les débats, y compris par les candidats les plus sérieux. On a discuté férocement de la viande halal ou du permis de conduire, on a polémiqué ardemment sur l’absurde réglementation figeant l’audiovisuel pendant les cinq dernières semaines de la campagne ou à propos de l’interdiction d’entrer sur le territoire de quelques prêcheurs intégristes indésirables.

En revanche, entre les utopies et les controverses, il n’y a pas eu la place pour un véritable débat sur la crise et les moyens d’en sortir. Les prises de position de François Hollande et de Nicolas Sarkozy sur les modifications de la politique monétaire européenne, sur les instruments de relance de la croissance et de la réindustrialisation n’ont été abordées qu’à travers le prisme le plus réducteur, celui de la critique politicienne. Sur le fond, on jurerait que tout le monde était d’accord pour éviter une discussion sérieuse et sans doute dérangeante. La presse internationale n’a d’ailleurs pas manqué de souligner sans indulgence ce consensus implicite français pour éviter de parler de ce qui est désagréable, même au moment le mieux fait pour cela, celui de la campagne présidentielle. L’Hexagone a été dépeint comme le pays du déni de la crise.

En fait, tout se passe comme si candidats et candidates pensaient les Français incapables d’affronter la réalité : contresens psychologique majeur, d’une part parce que les citoyens subissent ou observent les effets concrets de la crise sur le chômage, le pouvoir d’achat, la croissance, l’austérité budgétaire frappant les services publics, d’autre part parce que les innombrables reportages sur la tragédie grecque, sur les malheurs irlandais ou portugais, sur les épreuves espagnoles et sur les effets italiens ne peuvent que les convaincre de la gravité de la situation. Il est vrai qu’il n’est pas très tentant pour un prétendant au Palais de l’Elysée de mener campagne en annonçant cinq années de vaches maigres. On peut cependant se demander si la déception des Français face à la campagne ne s’explique pas en partie par le sentiment qu’on n’ose pas leur dire véritablement les choses telles qu’elles sont. Il peut en naître une méfiance supplémentaire vis-à-vis de l’offre politique actuelle.
Le taux inhabituellement élevé d’indécision enregistré dans les sondages fait penser que les pieuses omissions de la campagne n’ont pas abusé les Français

On saura ce soir ce qu’aura été le taux d’abstention. Les spécialistes se montrent en tout cas tous pessimistes et redoutent à l’unisson une nouvelle baisse de la participation. De même, le taux inhabituellement élevé d’indécision enregistré dans les sondages fait penser que les pieuses omissions de la campagne n’ont pas abusé les Français, mais les ont au contraire inquiétés et irrités. Il n’est jamais agréable pour des citoyens d’avoir le sentiment que les candidats qui se présentent à leurs suffrages jugent la situation trop grave pour l’exposer aux électeurs. Il faut au moins espérer vivement que la campagne de l’entre-deux-tours sera sur ce point plus franche, plus authentique, donc plus crédible et finalement plus démocratique.