Avec le blocus, le conservatisme monte, tout comme le chômage, la pauvreté, la dépression et la violence domestique

http://www.guardian.co.uk/world/2012/jul/30/women-gaza-life-changed

Angela Robson guardian.co.uk,

Lundi 30 juillet 2012 15.30 EDT Azza al-Kafarna: « Les femmes se couvrent plus car elles ont peur » Photograph: Simon Rawles

Eman, 23 ans est vêtue de noir et voilée d’un jilbab et vit dans une bicoque qui s’effondre à la limite de la ville de Gaza. Elle a quitté l’école à 10 ans et sept ans plus tard, elle était mariée, avec un bébé-fille. Un égout ouvert coule devant sa porte d’entrée. Quand il pleut, des ordures coulent dans sa cuisine. « Avant le blocus, mon mari gagnait bien sa vie en travaillant en Israël, » dit-elle. « Avec le blocus, tout ça a stoppé. Quand il ne trouve pas un travail et que nous n’avons rien à manger, il me le reproche. Il est comme un animal fou. Je reste tranquille pendant qu’il me frappe. Ensuite, il pleure et dit, que s’il avait un boulot, il ne me battrait pas ». Il y a cinq ans que le Hamas a pris le contrôle de la Bande de Gaza et qu’Israël a renforcé le siège du territoire. Beaucoup d’hommes se sont retrouvés sans emploi d’un jour à l’autre et ce sont les femmes qui ont fini par faire les frais de la frustration de leurs maris. En plus de s’attacher à leur rôle traditionnel de s’occuper des enfants, le blocus a forcé un grand nombre de femmes à devenir les soutiens de famille, tout en restant avec leur mari dont beaucoup souffrent de dépression. La violence contre les femmes a atteint un niveau alarmant. Une étude de décembre 2011 du Bureau central palestinien des statistiques, PCBS, a révélé que 51% de toutes les femmes mariées à Gaza ont subi la violence de la part de leurs maris dans les 12 mois écoulés. Deux tiers (65%) des femmes interrogées pour l’enquête par PCBS ont dit préférer garder le silence sur la violence chez elles. Moins de 1% a dit qu’elles allaient chercher de l’aide. Mona, mon interprète de 22 ans est étonnée quand je demande plus tard quel soutien existe pour des femmes comme Eman. « Si son mari, ou en fait quelqu’un dans la famille, apprenait qu’elle en a parlé, elle serait battue ou tuée. Quand à des endroits où des femmes peuvent courir pour trouver la sécurité, je n’en connais aucun. » A première vue, Eman a peu en commun avec Mona, sauf leur âge. Cette dernière vient de sortir de l’université, parle couramment l’anglais et porte une blouse en soie jaune-canari et des jeans serrant avec un grand sac à main élégant. Jusqu’à il y a quelques années, des femmes comme Mona étaient la norme à Gaza et pratiquement personne ne questionnait leur choix de vêtement et leur indépendance. Aujourd’hui, avec le blocus qui écarte 1,6 millions de Palestiniens du reste du monde, le conservatisme domine fortement la vie quotidienne. Il a aussi conduit à un chômage en flèche parmi les hommes – plus de 45% de gens en âge de travailler sont sans emploi, un des plus élevé du monde. « Les défis du chômage, la peur de la violence et les restrictions de mouvement peuvent souvent signifier que les femmes et les enfants sont la fin ultime de la frustration des hommes, » dit Ghada al-Najar de Oxfam Gaza. « Il existe beaucoup de raisons pour lesquelles la violence domestique est en augmentation, y compris le traumatisme psychologique, le sentiment d’être piégé, et une pauvreté rampante ». Azza al-Kafarna est une militante des droits des femmes de Gaza et gestionnaire de la nouvelle agence Ramattan, qui s’est ré-ouverte récemment après trois ans de fermeture par le Hamas. Agée de près de cinquante ans, elle fait partie d’une minorité de femmes qui teste les limites de la liberté par les vêtements et le comportement. Elle refuse de porter un foulard et quand nous nous rencontrons dans un restaurant à la plage de la ville de Gaza, elle porte un pantalon ajusté et une blouse cerise. En montrant par la fenêtre un groupe de femmes en jilbabs noirs et foulards se promenant lentement le long de la plage, elle jette les mains en l’air. « Pouvez-vous croire que jusqu’aux années 1980, on portait des maillots de bain sur cette plage ? » Les femmes se couvrent elles-mêmes davantage, pas nécessairement parce que le Hamas le leur dit, mais parce qu’elles ont peur, » dit-elle. Cela date de l’Intifada de 1987. Si une femme ne se couvrait pas, elle était critiquée ou on lui jetait des pierres. Ce n’est pas comme cela maintenant mais la vie est vécue comme incertaine. Le voile pour certaines femmes est peut-être un bouclier physique contre le monde. Il peut aussi, ironiquement, être une des rares choses sur laquelle elle a l’impression d’avoir un contrôle. » Pourtant, ceci n’est pas une simple histoire de libertés perdues contre sa volonté. Al-Essi Mohammed est une mère de sept enfants qui vit à Al-Zarqa, un faubourg pauvre de la ville de Gaza. Vêtue d’un niqab et d’un foulard, avec les yeux à peine visibles, elle dit qu’elle accueille favorablement le code vestimentaire le plus conservateur. « Porter le niqab me remplit de confiance. Il me protège de tout ce qui est mauvais. Couvertes on peut marcher en sécurité, avec notre respect intact ». Naramin Farah, une artiste de Gaza, dit que les préoccupations les plus pressantes auxquelles les femmes sont confrontées dans l’enclave côtière sont les problèmes pratiques journaliers causés par le blocus : les soins de santé et l’éducation en diminution, des fournitures de carburants insuffisantes pour cuisiner, le manque d’eau propre et les aliments pour enfants. « Il y a de fortes pressions sur la femme palestinienne pour qu’elle reste aux côtés de leur mari, pour qu’elle le soutienne, pour être part de lui, » dit-elle. « Mais maintenant que les hommes ne sont plus les pourvoyeurs, les rôles sont renversés. Les femmes prennent plus de responsabilités économiques, mais peu ont un titre légal pour la maison ou la terre. » Plus tôt, cette année, Naramin Farah a quitté son mari car il était « totalement contre » qu’elle continue à peindre. « Tellement de portes ont été fermées aux femmes palestiniennes à Gaza. C’est comme sortir d’une prison uniquement pour trouver une autre porte close. Il y a beaucoup d’obstacles – l’occupation, le blocus, la division interne palestinienne. Je ne suis pas représentative des Palestiniens, mais comme femmes, on doit se sentir libres. Au moment où ce n’est plus possible, on doit agir dessus, faire quelque chose ». Certains noms ont été changés dans cet article pour protéger les identités des femmes.