CR d’audience devant la Cour d’Appel de Versailles – 14/11/2012

Alima Boumediene-Thiery c/ barreau du Val d’Oise

Il s’agissait bien entendu de « l’interdiction professionnelle » faite à Alima par ces Messieurs-dames de Pontoise, en l’occurrence le refus de l’admettre dans leur giron comme avocate, pour des raisons inavouées mais faciles à expliquer.

Mais à rocambolesque histoire, audience hors normes, vous allez voir.

Tout d’abord, précisons qu’Alima arrivait soutenue par les personnalités comme Henri Leclerc, Pdt d’honneur de la LDH et d’une notoriété incontestée dans la profession et dans les médias ; de Roland Weyl (95 ans), avocat ayant pratiqué la profession depuis 60 ou 70 ans (je ne sais plus, c’est unique !), déporté vers les camps d’extermination nazis (et un excellent militant que certains d’entre nous connaissent), enfin de Stéphane Hessel qu’il est inutile de présenter. Jean-Guy Greilsamer représentait l’UJFP.

La plaidoirie de son avocat, Didier Liger, avec qui j’ai échangé des informations et des références sur la culture du boycott, était plus que brillante : extraordinaire. Ce fut un régal pour les militants qui ont permis, aux côtés de quelques membres de la profession, de remplir la salle en soutien à la très courageuse militante pour les droits des Palestiniens. Gilles Paruel, l’ancien bâtonnier du Val d’Oise qui lui faisait face s’en est trouvé en piteuse posture, la salle riant fréquemment aux phrases ajustées et acérées de Didier Liger.

D’abord, ce sont les qualités intellectuelles de l’ex-sénatrice EELV et ex-députée européenne qui ont été détaillées : une flopée de diplômes ahurissante, certains succès étant obtenus au cours de la même année universitaire. Ses origines très modestes (elle a grandi dans le bidonville d’Argenteuil) ont été citées. Son conseil a rappelé de manière magistrale que nombre d’anciens ministres et parlementaires avaient été admis dans tel ou tel barreau avec beaucoup moins de compétences juridiques. Alima, elle, possède les 2 qualités. Le décret instituant l’admissibilité par simple passé de personnalité politique ayant été annulé durant les rebondissements de cette affaire, il restait à notre camarade les qualités essentielles pour exercer ce métier, qualités dont nombre d’avocats inscrits ne peuvent se vanter. Il a été reproché au barreau du 95 de s’appuyer sur des citations en justice (Pontoise, justement) qui n’ont débouché sur aucune condamnation et de jouer en quelque sorte la carte « présumée coupable », choquante pour un représentant des avocats. Il faut dire qu’Alima n’a jamais été convoquée par le barreau pour défendre sa candidature (refus implicite), sauf lorsqu’elle a saisi la Cour d’Appel (organe compétent en la matière) et que les dates d’audience prévues ont été repoussées à deux reprises. Quel embarras ! Et le respect de la procédure contradictoire ?

Mais certaines accusations ont été abandonnées par les inquisiteurs en cours de route. Ils ont gardé un bien étrange motif d’absence de probité, désintéressement et modération pour maintenir leur refus de cette candidature. Pour ce faire, le (faux) témoignage de Me Christelle Monconduit a été précieux : celle-ci, employeur d’Alima, a prétexté une rapide dégradation des relations avec elle alors qu’elle lui a renouvelé deux fois son contrat !

Comme si cela ne suffisait pas, Didier Liger, s’appuyant sur un déontologue réputé de la profession, André Damien, a relevé le fait que le barreau du 95 s’était appuyé dans ses justifications sur un seul article de « presse » émanant d’un site d’extrême-droite : Atlantico (tiens, tiens…). Bel exemple de modération, s’il en fut ! Pour couronner le tout, la jurisprudence en Cour de Cassation a été citée à l’appui. Il a également cité Benoist Hurel, secrétaire général adjoint du syndicat de la magistrature : http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article4190 qui dénonçait vertement le refus d’inscription de la juriste surdouée.

Mais le fond de l’affaire a été abordé après la forme : Alima Boumediene-Thiéry a participé à des actions de boycott, dont une au Carrefour de Montigny-les Cormeilles à laquelle je participais aussi (déguisée en bagnard, de même qu’Omar Slaouti, elle avait été « jugée » entre les gondoles par un tribunal expéditif et moqueur). Je peux attester que nous avions fait acte de retenue et de modération en ne faisant que placer de nombreux produits dans deux ou trois caddies en dénonçant à voix haute leur origine frauduleuse et inacceptable. Evidemment, le véritable motif réside là. La critique pacifique de la politique insoutenable d’un Etat a été avancée et bien défendue.

Plaidoirie sans surprise du bâtonnier qui a soutenu que ce « militantisme au demeurant respectable n’était pas conforme au principe de modération ». Comprendre donc qu’un avocat ne peut participer à une opération de boycott, qualifiée de « commando » pour l’occasion.

L’avocate générale a plaidé dans le même sens, mais, surprise, le président en habit d’hermine s’est montré bienveillant. En aîné protecteur, il a échangé quelques mots avec Alima sur son enfance matériellement difficile puis a annoncé, après quelques minutes de suspension, que la Cour, bien que l’affaire eut été plaidée contradictoirement, ne mettait pas en délibéré : du jamais vu. Eh oui, car il a demandé au bâtonnier de trouver un accord avec la recalée en laissant entendre que sinon, l’affaire reviendrait en audience le 19/12 et serait jugée… à l’avantage de la plaignante !

Méfiance tout d’abord d’Alima et de son avocat : que signifiait « arrangement » et à l’avantage de qui cela pouvait-il tourner ? Finalement, débriefing à l’extérieur puis au restau et questionnement, enfin consensus dans l’interprétation de cette sage et habile décision : la Cour d’Appel soutient la plaignante qui a les qualités notoires pour plaider ; les Juges de la Cour d’Appel n’ont, apparemment, pas voulu condamner leurs confrères du Val d’Oise et déconsidérer le barreau tout entier, ce qui eut fait désordre ! Les Juges ne s’entretuent pas !

Prochain épisode qui risque d’être croustillant (et je ne peux pas dévoiler pourquoi) : la convocation à Pontoise d’Alima, où il faudra bien que le barreau change son fusil d’épaule.