Shmuel Trigano feuille2chouphoto

Shmuel Trigano était hier soir à la salle Hirschler de la Communauté israélite de Strasbourg, invité par deux associations maçonnes juives, pour traiter de ce qu’il nomme “nouvel antisémitisme“.

La salle était pleine, la moyenne d’âge élevée. On y participait d’ailleurs…

Son exposé, assez long, et qui l’aurait été encore plus si l’un des présidents ne lui avait fait passer un petit billet pour qu’il ne prolonge pas plus, avait cette particularité de mêler deux registres, habituellement séparés, l’un historico-sociologique, parfois acceptable, l’autre, beaucoup moins rationnel, qui relevait de la croyance en un dieu créateur d’un peuple juif de toute éternité, en butte à l’hostilité des autres nations.

Il a suffisamment fait peur au public, en un tableau apocalyptique, pour qu’à la fin, répondant à la question, mais alors, que faire, -Was tun?- si la situation est si mauvaise, après avoir renvoyé chacun à sa décision en son âme et conscience, et renvoyé dos à dos, les juifs orthodoxes, an-historiques, et les juifs assimilés, il a clairement laissé entendre qu’il fallait partir, quitter la France, et l’Europe. Pour où? L’État juif bien sûr, à moins que, comme ma voisine on ne préfère, si on n’est pas trop pratiquant, le Canada?

Le nouvel antisémitisme serait très répandu dans les médias. L’anti-israélisme, ou antisionisme en ferait partie. Très présents, selon ses dires, à l’extrême-gauche, chez les islamistes (confondus avec l’Islam) et en Israël dans la population arabe et même les universitaires israéliens. Il y aurait une véritable diabolisation du juif et de l’État du même nom.

Et le plus pervers serait que cette diabolisation se ferait au nom de la condamnation verbale de la Shoah. Un “philosémitisme déclaratoire” cacherait une obsession antijuive.

On assiste, selon le conférencier à un “abaissement d’Israël” en même temps qu’à une “crise de la démocratie européenne“.

Il fait un tableau effrayant, sans aucun chiffre, d’une vaste (?) immigration arabe à son apogée. Jihad partout, sans qu’il ne distingue les sens divers du terme qui peut renvoyer aussi bien à l’effort du musulman pour pratiquer sa croyance, qu’à un combat armé contre les infidèles. Aucune nuance n’est faite: tous les musulmans sont des ennemis.

La preuve? Mohammed Mérah a déclaré vouloir venger les enfants de Gaza. Pourtant, dit-il benoitement: “les juifs (yehoudi, juifs et/ou Israéliens) n’ont jamais agressé les musulmans.“, oubliant que l’État israélien, depuis 1948, agresse le peuple palestinienet les musulmans du monde entier en occupant leur lieu saint à Al Qod.

Il distingue trois vagues de haine antijuive, l’antijudaïsme chrétien, l’antisémitisme moderne, depuis le 19e siècle, et l’antisionisme, post-moderne…Il s’agit d’une hostilité contre les juifs comme groupe.

Il fait un vaste tour d’horizon, de la féodalité à l’époque contemporaine, en passant par la monarchie et la Révolution française, pour montrer que, du fait de l’individualisme moderne, il n’est plus possible d’exister comme peuple ou nation juive en Europe. Il semble rsté bloqué à l’époque triomphante des nationalismes du 19e siècle qui a pourtant mené aux catastrophes du 20e..

Il ne le dit pas explicitement mais on comprend qu’il y a un peuple juif essentiel depuis l’origine, et que doit exister une nation juive, donc un État, Israël, auquel tous les juifs appartiennent qu’ils soient là-bas ou en diaspora. Et on s’étonne, après ça, que ce qu’il appelle “antisémitisme“, se développe!

C’est précisément cette assimilation entre Israéliens et Juifs du monde qui est la cause de la montée d’une judéophobie, ancienne ou nouvelle. C’est le sionisme et les actions armées de l’État d’Israël, qui produisent ce “nouvel antisémitisme” Mais bien entendu, ce n’est pas ce qu’il conclut.

Au contraire, il parle de l’État d’Israël, comme d’une “résurgence” du passé immémorial. A l’opposé de Shlomo Sand, pour qui il n’y a pas de peuple juif, puisque cette religion a été prosélyte et que les juifs d’aujourd’hui sont loin de tous descendre d’une souche commune, il affirme la continuité mystérieuse et la permanence intemporelle de ce “peuple” qui a une mission particulière à remplir. Ce serait la raison aussi de la haine perpétuelle des autres nations.

Juif séfarade,du Maghreb, au profond ressentiment, il n’a pas de mots assez durs pour les Arabes et l’Islam. Il compare les 600 000 “Arabes” (Palestiniens) chassés en 1948 aux 900 000 juifs chassés des terres arabes après la création de l’État d’Israël.

C’est tout juste s’il n’affirme pas que les six millions de morts ont été victimes des Arabes! En tout cas, c’est à eux de payer la note, manifestement, maintenant que l’ex peuple paria a été intégré dans la magnifique civilisation “judéo-chrétienne“, afin de combattre les amis d’Allah, au côtés de Tsahal.

Les goyim en voudraient au “peuple secret” et à sa continuité supposée. Les juifs sont des exilés, même en terre d’Israël (il devrait signaler ça à la droite et à l’extrême-droite israéliennes qui exaltent le sol et la Uzi, sinon le sang…

Nous serions un peuple-église (assemblée) dans l’attente messianique, et au contact de la transcendance. Dans l’histoire juive, pas de hasard! Tout obéit à un plan divin. Comme disait Leibniz, au 18e siècle, par la bouche de Voltaire: “Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes“.

L’ennemi, c’est la modernité post-révolutionnaire qui empêche les juifs d’avoir une existence nationale. Les sociétés d’ancien régime, les monarchies, l’Empire ottoman, ou austro-hongrois permettaient l’existence nationale des peuples, donc des juifs; l’époque contemporaine ou post-moderne l’interdit. N’ont de droits que des individus.

Le peuple juif ne peut donc vivre en démocratie. Napoléon a rendu obligatoire l’appartenance au Consistoire. L’Abbé Grégoire a souhaité la fin des juifs et des patois. Après le printemps des nationalités, dans la seconde moitié du 19e siècle, il n’est plus possible de garder son caractère national. Les identités collectives n’ont plus de place dans les nations citoyennes. Il ne dit rien des nations ethniques comme l’Allemagne et…Israël.

D’où, l’antisémitisme, puis au 20e siècle le génocide des Juifs.
Israël, c’est la “réparation de la Shoah“. Il omet de rappeler que le projet sioniste date du 19e siècle et que l’État-nation juif, en retard ‘un siècle, s’est construit dans la seconde moitié du 20e, alors qu’après la décolonisation, les cadres nationaux volent en éclat sous les coups de la marchandisation mondiale et de la construction européenne ici.

Cela l’entraîne à de vives attaques contre l’Union européenne, qualifiée d’empire sans empereur, alors qu’il oublie le Parlement européen élu au suffrage universel.

A l’opposé exact de Shlomo Sand, qu’il caricature d’un mot par un “bon débarras” à cause du titre de son livre “Comment j’ai cessé d’être juif”, il prétend que “le peuple juif devient nation israélienne”. Quid des Russes, des Palestiniens, des Asiatiques, des Africains en Israël, avec leur tampon ethnique sur leurs papiers? Comment l’État juif peut-il devenir l’État de tous ses citoyens? Il ne le peut. C’est pourquoi Sand veut démissionner de sa judéité. Mais les rabbins et l’Etat l’en empêchent, sauf s’il se convertit à une autre religion.

Pour la diaspora, on a affaire, selon Trigano, à un “sionisme sans alya“, autrement dit, par procuration; et ce sont les pires!. Se rend-il compte que ce genre d’affirmation, en assimilant les juifs du monde à ceux de l’État sioniste, est précisément la cause principale du développement de ce qu’il nomme nouvel antisémitisme, et qui n’est, en général, sauf exception pour de vrais antisémites traditionnels, qu’un anti-israélisme du fait de l’oppression et de la colonisation.

Vers la fin, précipitée, de son pensum, il se livre à une invraisemblable charge, à la fois, contre l’Europe et contre de grands intellectuels, dont Derrida, Bourdieu, Foucault, accusés avec leur déconstruction, ou leur anti-humanisme, ou autre différance ou dissémination, de détruire le sujet et de remplacer le réel par de pures constructions.

Il en irait de même pour la théorie du genre pour laquelle il n’y a plus de sexes naturels, mais des constructions volontaristes. La nation est déconstruite en territoires, les réseaux et autres rhizomes, qu’il a oubliés d’ajouter dans sa liste, prolifèrent, la démocratie participative favorise la dictature des minorités intellectuelles, qui propageraient une sorte de post-marxisme, post-moderne qui serait l’idéologie des classes défavorisées dont ils sont issus.

En conclusion, après le débat, une vision du monde complètement pessimiste et terrorisante pour les juifs qui n’auraient de salut qu’en Israël au sein de la nation juive, protégée par ses têtes nucléaires.

On n’invente rien!

A noter que, selon une détestable coutume établie depuis fort longtemps, et qui en dit,long sur l’éthique juive aujourd’hui, à Strasbourg, mais ça doit être pareil à Paris, avec les “intellectuels du CRIF“,sans même parler de ce pauvre rabbin Bernheim, moraliste faussaire, inscrit en troisième position pour intervenir, selon les règles du débat académique, connu partout, à l’exception de la CIS, (et l’exception dans l’exception que constitue la SHIAL), on a, comme d’habitude, en ces lieux où figure pourtant à l’entrée, la belle sentence, selon laquelle, toute la torah se résume en ceci qu’on ne doit pas faire à autrui ce qu’on ne souhaite pas qu’il nous fasse, été interrompu grossièrement par les vociférations de plusieurs personnes des deux premiers rangs, puis, après la fin de la séance, copieusement insulté, surtout de la part que quelques femmes déchaînées autant qu’incapables d’articuler le moindre argument à l’affirmation de ma proximité spirituelle pratique dans le Boycott Désinvestissement Sanctions, avec Michel Warschawski, fils du rabbin Max (zal) à qui je dois, initialement, toute ma judéité, laïque, athée et antisioniste.

Réparons immédiatement un oubli fâcheux dont le rappel nous situera en très bonne compagnie. Trigano a rappelé à l’auditoire qu’il avait préalablement chauffé un peu, que dans l’histoire juive, au cours des siècles, il y a toujours eu ce qu’il a nommé des “catholiques” c’est à dire des universalistes.

Le premier, le juif Paul, créateur du christianisme, le second Spinoza, rejeté par un herem de la communauté d’Amsterdam, puis Karl Marx, et sa “Question juive” dont, Dieu merci, il n’a pas eu le temps d’affirmer un antijudaïsme, contesté par Daniel Bensaïd et quelques autres, enfin Sigmund Freud soi-même.

On était en plus mauvaise compagnie avec Shmuel Trigano!

Schlomo ben Jacov