A Strasbourg, pour les Roms migrants, il y a l’ « Espace Hoche », un camp pour Roms, grillagé et surveillé : http://la-feuille-de-chou.fr/archives/63331

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Dans le cadre de stratégies de plus en plus répressives, les États membres de l’Union européenne 
et leurs voisins déploient un nombre croissant de lieux de cantonnement pour migrants. Dans toute l’Europe, des mobilisations s’organisent pour un droit de regard citoyen sur ces zones de non-droit.

Ils sont 42 en France, 31 en Allemagne, 31 à Chypre, 18 au Liban… Ils ne cessent de se multiplier en Europe et à ses frontières. Plusieurs centaines de milliers de migrants y sont régulièrement détenus. Centres de rétention (CRA) ou de détention administrative, zones d’attente, centres d’identification et d’expulsion ou parfois même, comme en Allemagne, prisons de droit commun… les lieux d’enfermement d’étrangers font partie de l’arsenal de l’Europe forteresse. Peu ou mal informé, on se représente difficilement ces zones d’exception où une partie de nos semblables sont privés de liberté. Ils n’ont commis aucun crime.

Pour la plupart, ils fuient et rêvent d’avenir. Loin de la guerre, de la dictature ou de la misère. Ils ont souvent risqué leur vie pour y parvenir. La campagne Open Access Now, menée depuis 2011 par les réseaux Migreurop et Alternatives européennes, lancera, mercredi prochain, sa mobilisation annuelle. Ils revendiquent un accès inconditionnel à ces lieux pour la société civile et les journalistes. « Il faut de la transparence, insiste Laure Blondel, cocoordinatrice de la campagne. Notre mobilisation a deux objectifs : sensibiliser le grand public et les parlementaires pour qu’ils se mobilisent, et donner à voir la réalité sur le terrain. » Qui est enfermé ? Toute personne 
en situation irrégulière et présentant « un risque de fuite » : déboutés d’une demande de protection, étrangers dont le droit au séjour a expiré, personnes arrêtées à la frontière…

Ils peuvent être menacés ou victimes de tortures, apatrides, conjoints ou parents d’Européens, étudiants étrangers ou mineurs isolés. Leurs situations sont toutes différentes, mais pour les architectes des politiques de maîtrise de l’immigration, ce sont des étrangers, donc des indésirables. Depuis mars 2008, à l’exception de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, tous les États membres de l’Union européenne et quelques autres pays sont liés par la « directive retour ». Ce texte fixe la durée maximale de rétention à 18 mois. Mais la période est souvent rallongée au niveau national. En Grèce, au printemps, le Conseil d’État a rendu un avis favorable pour prolonger indéfiniment l’enfermement de ceux qui résisteraient à leur expulsion. Une communication de la Commission européenne a dénoncé par ailleurs, en mars, « des cas flagrants de détention dans des conditions inhumaines ». Dans ces lieux de concentration pour étrangers expulsables, obtenir des soins médicaux, accéder à un juge ou à la simple connaissance de ses droits sont souvent impossibles. La Cour européenne des droits de l’homme (Cedh) a récemment condamné la Belgique pour avoir enfermé une femme atteinte par le sida sans avoir pris « toutes les mesures (…) pour empêcher la dégradation de son état de santé ». Être enfant ou citoyen communautaire ne change rien à l’affaire.

Des associations ayant accès aux CRA français font état de 19 enfants détenus au début de l’année 2014. Elles témoignent aussi de l’enfermement en nombre croissant de ressortissants européens d’origine roumaine et bulgare. Le nombre de Roms placés en détention a quadruplé, en France, entre 2008 et 2012. Des réfugiés sont aussi privés de liberté. En Hongrie, 1 750 demandeurs d’asile ont été détenus entre l’été 2013 et le printemps 2014. En Bulgarie, à Chypre ou à Malte, on les enferme systématiquement. En France, malgré plusieurs condamnations de la Cedh, on continue d’enfermer et d’expulser des déboutés du droit d’asile en cours de procédure de recours. La campagne Open Access 2014 veut lever le voile sur ces réalités. Le 15 octobre, ils rencontreront des parlementaires européens et sortiront un livret intitulé la Face cachée des camps d’étranger-e-s en Europe. Pendant deux mois, ils mèneront différentes actions dont la collecte de paroles auprès de personnes enfermées « parce que la liberté d’expression des migrants eux-mêmes est aussi importante que le droit à l’information pour tous les citoyens », conclut Laure Blondel. Dans l’histoire, combien de criminels contre l’humanité se sont défendus par un : « Je ne savais pas. » Il est urgent de faire connaître aux citoyens européens le sort que leurs États réservent, en leur nom, à des êtres humains en quête d’asile.

Clemence Richard et Claire Rodier, membres de l’Observatoire de l’enfermement : “Expulser sans enfermer : nouvelles méthodes, nouvelles inquiétudes”

“Depuis le début de l’année 2014, l’administration emploie de nouvelles méthodes pour éloigner les migrants présents en France sans les faire passer par un centre de rétention administrative. Le projet du nouveau gouvernement est d’améliorer l’efficacité des formes d’éloignement par la mise en œuvre de plusieurs mesures regroupées sous le terme générique d’« alternatives à la rétention ». La méthode la plus souvent utilisée est l’assignation à résidence : si les personnes disposent de garanties de représentation suffisantes, l’administration peut les assigner à résidence à leur domicile en vue de leur expulsion pour une durée maximale de 45 jours, renouvelables une fois. Les déboutés de l’asile et les demandeurs d’asile en « procédure Dublin » (c’est-à-dire en attente d’être remis aux autorités d’un autre État membre de l’Union européenne par lequel ils ont transité) semblent la cible privilégiée de ces procédures. L’assignation à résidence est également utilisée pour les personnes les plus vulnérables (pour lesquelles un placement en rétention risquerait d’être annulé par le juge) : familles, personnes malades, femmes isolées avec leur enfant… Sous leur apparence plus humaine, ces mesures alternatives mises en œuvre à l’abri de tout regard restent problématiques. Isolées, les personnes ont beaucoup plus de difficulté à accéder à leurs droits (interprète, avocat, possibilité de former un recours…). Les alternatives à la rétention, telles qu’elles sont promues en France, s’inscrivent dans une triple stratégie : évitement du regard citoyen, contournement des juges et réduction des coûts de la rétention. Elle auraient pu s’accompagner d’une réduction du nombre de places de rétention. Il n’en est rien. Il faut veiller à ce que ces mesures « alternatives », plutôt que de se substituer à l’enfermement, ne viennent en réalité renforcer le panel des méthodes coercitives dont dispose l’administration, et compléter le dispositif de la rétention pour contrôler et expulser à moindre coût.”

Eliane Assassi, sénatrice PCF et coauteure d’un rapport sur les CRA : « Il faut en finir avec les centres  de rétention administrative » 

“En France, les centres de rétention administrative (CRA) permettent à l’administration de maintenir, pour une durée limitée et dans des locaux spécifiques, les étrangers en instance d’éloignement du territoire français dont, parfois, des déboutés du droit d’asile. Durant des années les gouvernements de droite ont fait adopter par leur majorité parlementaire de nombreuses lois sur le droit au séjour avec un même objectif : restreindre les droits des étrangers. Le plus souvent en contradiction avec les droits fondamentaux dont doit bénéficier chaque être humain. Même si, à la suite d’une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, intervenue en 2012, la rétention administrative de familles avec enfants mineurs a été limitée, dans notre pays, la rétention administrative dysfonctionne. Trois ans après l’adoption de la loi dite Besson, la commission des Lois du Sénat a adopté un rapport sur les CRA, dont je suis coauteure : « Éviter la banalisation, garantir la dignité des personnes », qui s’appuie sur de nombreuses auditions et des déplacements en métropole et en Belgique. Avec ses limites, ce rapport dresse un bilan de l’application de cette loi et propose des pistes d’amélioration du dispositif juridique actuel à partir d’un bilan jugé particulièrement négatif. Il formule 22 propositions pour replacer la rétention comme ultime modalité d’éloignement forcé et invite au développement d’alternatives. Il propose d’améliorer la conception des locaux, de garantir l’accès aux droits et aux soins des personnes enfermées. Ces propositions qui s’inspirent, entre autres, de remarques du contrôleur général des lieux de privation de liberté, sont un début. Comme un grand nombre d’associations et de formations politiques, dont le PCF, mon combat reste celui de la suppression des lieux d’enfermement spécifiques aux étrangers. Je le rappellerai lors du débat parlementaire sur les projets de loi immigration et droit d’asile qui arriveront prochainement au Sénat pour examen.”

 

Michel Agier*, anthropologue, chercheur à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), et directeur d’études à l’École des Hautes études en Sciences sociales (EHESS) : “Tout un monde de camps”

Depuis une vingtaine d’années, c’est-à-dire depuis la sortie de la guerre froide et l’avènement d’un monde apparemment plus ouvert, les camps se développent. Aux 1 000 centres de rétention d’étrangers dans le monde, s’ajoutent plusieurs milliers de campements de migrants – ce sont des refuges établis dans les interstices urbains ou près des frontières. À ceux-là s’ajoutent encore plus d’un millier de camps dits de « déplacés internes », qu’on trouve en Afrique, au Proche-Orient, en Asie et près des lieux des catastrophes naturelles. Enfin, on compte de 450 à 500 camps de réfugiés « statutaires », c’est-à-dire gérés par des agences onusiennes (le Haut Commissariat de l’ONU pour les Réfugiés − HCR − ou l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens − UNRWA). Combien de personnes vivent dans ces différentes formes de camps aujourd’hui ? S’il n’existe pas de chiffres officiels, on peut évaluer sans risque ce nombre à plus de quinze millions, sans doute plus proche de vingt millions.

Mais s’il est difficile de le savoir, c’est que c’est une réalité elle-même fermée au savoir. Une réalité honteuse, par exemple lorsque le Haut Commissaire des Nations unies pour les Réfugiés, Antonio Gutierrez, déclare, très récemment, « je hais les camps »[1], alors que le HCR en gère des centaines dans le monde, et que cela représente même son activité de terrain la plus importante. Il y a deux aspects dans cette déclaration publique. D’une part certainement une prise de conscience de la part d’un homme politique qui considère sa tâche d’un point de vue humaniste, ou humanitaire, et découvre maintenant ce que nombre d’associations et de chercheurs disent depuis de nombreuses années, à savoir que l’existence même des camps, quels qu’ils soient, est une privation de liberté, un enfermement. D’autre part, cette déclaration est un déni d’une réalité maintenant bien établie, à savoir que les camps sont les lieux à partir desquels des millions de gens ont déjà reconstruit une vie sociale, familiale et culturelle hybride, même s’ils doivent pour cela se mettre en situation irrégulière par rapport aux règles d’enfermement imposées. Avec le temps, les camps se transforment, s’urbanisent, s’installent dans des contextes régionaux.  Les « haïr » aujourd’hui, c’est ne pas reconnaître la responsabilité des institutions nationales et internationales qui les ont ouverts, c’est aussi entretenir un climat de suspicion à l’égard des personnes qui y habitent, les enfonçant un peu plus dans une condition d’étranger radical, marginal et invisible.

À cette invisibilité, s’oppose la célébrité. C’est ce qu’avait écrit la philosophe Hannah Arendt à propos des réfugiés : « Seule la célébrité peut éventuellement fournir la réponse à l’éternelle complainte des réfugiés de toutes les couches sociales : “personne ne sait qui je suis” », écrivit-elle en 1951. On doit élargir cet appel aujourd’hui : il faut ouvrir tous les camps à la recherche comme au monde associatif et journalistique, rendre les camps célèbres, chacun un à un et tous comme dispositif d’encampement à l’échelle globale.”

*Michel Agier vient de publier (sous sa direction, avec la collaboration de Clara Lecadet), Un Monde de camps, à La Découverte (en librairie le 23 octobre). Du 22 au 24 octobre, il organise un Colloque international, « Un Paysage Global de Camps », à l’EHESS et à la Cité de l’architecture, où seront mis en débat la diffusion de la forme-camp à l’échelle mondiale et ses effets sociaux, politiques, urbanistiques ou encore architecturaux. Avec des conférences de Saskia Sassen, Sari Hanafi et Achille Mbembe. http://www.citechaillot.fr/fr/auditorium/colloque/25638-un_paysage_global_de_camps.html

Voir aussi http://info.arte.tv/fr/antonio-gutteres-unhcr-je-hais-les-camps

http://www.humanite.fr/de-leurope-forteresse-leurope-carcerale-554266