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La récente agression contre la bande de Gaza a une nouvelle fois démontré la folie destructrice et meurtrière dont est capable de faire preuve l’État d’Israël lorsqu’il s’agit d’écraser le peuple palestinien, ses organisations et ses aspirations nationales. Près de 2.200 morts, plus de 11.000 blessés, des dizaines de milliers de bâtiments partiellement ou totalement détruits, plus de 500.000 déplacés (soit 30% de la population)… Des chiffres qui donnent le tournis, a fortiori si l’on pense à l’exiguïté de la petite bande côtière, une nouvelle fois victime d’une « offensive » qui n’est rien de moins qu’un massacre. Un cessez-le-feu a finalement été obtenu à la fin du mois d’août, dont les termes et les conditions indiquent que s’il est inapproprié de parler de « victoire » des Palestiniens, nous avons assisté à une défaite politique et militaire de l’État d’Israël.

Julien Salingue a notamment coordonné avec Céline Lebrun Israël, un État d’apartheid (2013) et publié tout récemment La Palestine d’Oslo. Ce texte est initialement paru dans la revue Inprecor.

Faux prétextes et vrais objectifs

Beaucoup se sont interrogés sur le timing de cette nouvelle agression, afin de comprendre les objectifs réels de l’État d’Israël, au-delà du sempiternel prétexte des tirs de roquettes depuis la bande de Gaza, déjà invoqué lors de la précédente campagne de bombardements en novembre 2012. À l’époque déjà, Israël affirmait intervenir dans le seul but de « protéger » ses habitants des tirs de roquettes. Or, avant le début de l’offensive de 2012, aucun Israélien n’avait été tué par une roquette depuis plus d’un an. L’histoire se répète : Gaza a subi cet été un déluge de fer et de feu alors que la dernière fois qu’un Israélien était mort en raison d’un tir de roquette remontait à… novembre 2012, lors de la précédente opération israélienne.

Il ne s’agit pas de rentrer dans des décomptes macabres, mais de rappeler certains faits : depuis 7 années que le Hamas a pris le contrôle de Gaza, et avant la dernière agression, 17 Israéliens avaient été tués par des tirs de roquettes, dont 10 pendant les opérations « Plomb durci » (hiver 2008-2009) et « Pilier de défense » (novembre 2012). En d’autres termes, plus de la moitié des victimes des tirs de roquettes ont été tuées pendant les opérations israéliennes, et le chiffre de 17 doit être rapporté à celui de plus de 2.000, le nombre de Gazaouis tués durant la même période… Un déséquilibre à l’image de la réalité des rapports de forces militaires, qui rend d’autant plus scandaleux les discours sur les « menaces » et les « violences » dont serait victime un État d’Israël qui ne ferait que « se défendre ».

Les vraies raisons de l’agression sont à chercher ailleurs.  Il s’est agi en premier lieu, pour Netanyahou, d’une opération de politique intérieure. À la tête d’une coalition regroupant la droite, l’extrême droite et les colons, Netanyahou a choisi, une fois de plus, la brutalité pour satisfaire des partenaires et un électorat qui se rejoignent dans leur haine des Palestiniens. Après la découverte des corps des trois jeunes Israéliens disparus à proximité d’une colonie de Cisjordanie et la multiplication des exactions contre les Palestiniens, Netanyahou a choisi de répondre aux appels à la haine en allant frapper la population de Gaza, à qui il est pourtant totalement fantaisiste d’attribuer la mort de trois Israéliens à proximité d’Hébron…

L’opération visait en deuxième lieu à détourner l’attention internationale qui, au cours des semaines précédentes, s’était concentrée sur la Cisjordanie, Jérusalem et Israël, avec la multiplication des appels à la haine et à la vengeance, et les passages à l’acte : de l’horrible mort du jeune Mohammed Abou Khdeir (brûlé vif) au passage à tabac, par la police, de son cousin Tareq, en passant par les ratonnades menées par les colons, les dizaines d’actes criminels alors perpétrés montraient, à qui refusait de le voir, le vrai visage de la violence et du racisme de l’État d’Israël, dont la responsabilité première en incombe bien sûr aux dirigeants israéliens eux-mêmes, et ce malgré leurs hypocrites déclarations condamnant, du bout des lèvres, les exactions commises contre les Palestiniens.

 

Briser l’unité nationale palestinienne ?

Un troisième facteur est à prendre en compte, qu’il ne s’agit toutefois pas de surestimer : l’accord de « réconciliation » signé à la fin du mois d’avril par le Hamas et l’OLP, et la mise en place d’un gouvernement « d’entente nationale » au début du mois de juin. Cet accord, quand bien même il est hautement défavorable au Hamas (nous y reviendrons), était intolérable pour l’État d’Israël, dans la mesure où il contribuait à normaliser le Hamas sur la scène politique régionale, mais aussi internationale, a fortiori après la reconnaissance, par l’Union Européenne et par les États-Unis, de la légitimité d’un gouvernement formellement soutenu par les deux principales composantes du mouvement national palestinien.

L’une des constantes de la politique israélienne à l’égard des Palestiniens est en effet la volonté des autorités coloniales (dans la grande tradition du colonialisme) de choisir elles-mêmes les représentants du peuple colonisé, et donc les interlocuteurs éventuels pour d’hypothétiques négociations. Du boycott de l’OLP, désignée comme une « organisation terroriste », durant les années 1970 et 1980 au refus de reconnaître les résultats des élections de janvier 2006 (remportées par le Hamas) en passant par la mise hors-jeu de Yasser Arafat au début des années 2000, les gouvernants israéliens ont en effet toujours voulu imposer aux Palestiniens de « choisir » des « représentants » qui correspondent aux aspirations d’Israël, et non aux intérêts des premiers concernés.

Le président Mahmoud Abbas était à ce titre l’interlocuteur idéal pour Israël, pour au moins deux raisons, apparemment contradictoires : l’homme est réputé depuis des décennies pour sa « modération » et sa capacité à accepter des « compromis » qui ressemblent davantage à des compromissions, en d’autres termes il est prêt à renoncer à défendre l’essentiel des droits nationaux des Palestiniens en l’échange de quelques avantages matériels et symboliques ; depuis la victoire du Hamas en janvier 2006 et la guerre Fatah-Hamas à Gaza à l’été 2007, Abbas n’exerce aucun pouvoir et n’a aucun contrôle sur la bande de Gaza, et ne peut donc se prévaloir du soutien de l’ensemble des Palestiniens des territoires occupés.

Tendances capitulardes et faible légitimité sont aux yeux d’Israël les principales qualités du président de l’Autorité Palestinienne (un président dont le mandat a expiré depuis plus de cinq ans…), dans la mesure où elles permettent à la puissance occupante d’entretenir l’illusion d’un hypothétique « processus négocié », qu’Abbas cautionne régulièrement en se rendant à des négociations sous patronage états-unien, tout en sachant parfaitement que le même Abbas est dans l’incapacité d’imposer à la population palestinienne un quelconque « accord de paix » qui équivaudrait à une capitulation. Abbas est une pièce essentielle dans le dispositif de transformation, par Israël, du provisoire en permanent : « Oui, nous occupons, nous colonisons, nous expulsons, nous enfermons, mais tout cela ne durera pas, la preuve : nous négocions avec la représentation palestinienne ».

L’accord de réconciliation, aussi fragile fut-il, a en partie changé la donne : Mahmoud Abbas aurait en effet pu se prévaloir d’une légitimité nouvelle et, élément essentiel, le Hamas aurait été, symboliquement, associé aux négociations et, partant, reconnu comme un interlocuteur potentiellement légitime sur la scène internationale. Une situation intolérable pour Israël, qui refuse qu’une organisation palestinienne qui n’a pas refusé de déposer les armes et qui est fortement implantée dans la société de Gaza et de Cisjordanie puisse acquérir une quelconque stature de représentant légitime des Palestiniens aux yeux des pays de la région, mais aussi des pays occidentaux. D’où l’offensive de cet été, dont l’un des objectifs majeurs était de pousser le Hamas à la faute et de jeter, une fois de plus, le discrédit sur le mouvement de la résistance islamique en le faisant apparaître comme une « organisation terroriste ».

 

Forcer les contradictions du Hamas

La signature par le Hamas de l’accord de réconciliation en avril dernier doit en effet être comprise comme une inflexion significative dans l’orientation et la stratégie du mouvement. Les termes de l’accord lui étaient en effet très défavorables et le « gouvernement d’union nationale » qui s’est mis en place quelques semaines plus tard ressemblait à s’y méprendre au gouvernement jusqu’alors en place à Ramallah : « Le cabinet d’entente n’est ainsi que la continuation du cabinet unilatéral et illégal qui l’avait précédé (mêmes premier ministre, vice-premiers ministres, ministre des affaires étrangères, de l’économie, du plan, de la santé, et des affaires de Jérusalem)  ; comme avant la «  réconciliation  », le cabinet, et tout particulièrement le premier ministre, ne sont que des marionnettes de la présidence dénuées de toute investiture législative »[1].

Ce net recul du Hamas est à comprendre à la lumière des récentes évolutions régionales et de la prise de conscience, par le mouvement de la résistance islamique, de son isolement grandissant et des risques que lui faisait courir son incapacité à améliorer un tant soit peu les conditions de vie des habitants de Gaza. Alors que l’année 2012 avait été une véritable bénédiction pour le Hamas, les dynamiques régionales depuis l’été 2013 lui ont été très défavorables et l’ont contraint à accepter un accord avec Mahmoud Abbas, sous patronage égyptien. Souvenons-nous en effet que, dans la dynamique des (mal nommés) « printemps arabes », le Hamas avait acquis un statut inédit : le boycott du mouvement, décrété par la très grande majorité des États arabes suite aux élections législatives de 2006, avait fait long feu : en janvier 2012, Ismaïl Haniyyah, Premier Ministre du gouvernement de Gaza, était ainsi accueilli par le nouveaux responsables tunisiens ; en juillet, il était officiellement reçu par le Président égyptien fraichement élu Mohammad Morsi, une rencontre inenvisageable durant l’ère Moubarak, assortie d’un considérable allègement du blocus côté égyptien ; la visite en grande pompe de l’Émir du Qatar à Gaza à la fin du mois d’octobre était le dernier événement consacrant la nouvelle centralité régionale de l’acteur politique Hamas.

Mais les évolutions de la situation en Tunisie, le putsch contre Mohammad Morsi à l’été 2013, la répression massive contre les Frères Musulmans qui s’en est suivie, le pourrissement de la situation en Syrie, ainsi que les errements du Qatar, un nain politique qui se rêvait géant diplomatique, ont considérablement érodé cette centralité, révélant par là même son caractère précaire. Le renforcement du blocus de Gaza consécutif à l’accession au pouvoir du Maréchal Sissi, le tarissement des aides financières venues d’un Iran peu satisfait des positions anti-Assad adoptées par le Hamas, ainsi que le refus de l’AP de Ramallah de payer les salaires des fonctionnaires embauchés par le Hamas à Gaza, ont mis le Hamas dans une situation périlleuse : « Le risque d’explosion sociale contre [les autorités de Gaza] devenait une hypothèse vraisemblable, le blocus ne pouvant éternellement l’exonérer de toute responsabilité, alors même qu’aucun bouleversement de la conjoncture diplomatique n’était à attendre à court terme »[2].

Telles sont les raisons qui ont conduit un Hamas exsangue à accepter une « réconciliation » qui n’en était pas vraiment une, dans la mesure où l’accord contenait essentiellement des dispositions techniques (fusion des fonctions publiques, retour de la Garde présidentielle à Gaza, organisation d’élections générales, etc.) mais en aucun cas un programme politique. Cette « réconciliation » a été le fait de deux acteurs affaiblis et contestés sur la scène politique palestinienne. N’oublions pas en effet que lors du dernier scrutin organisé en Cisjordanie, à savoir les élections municipales de l’automne 2012, la défaite de Mahmoud Abbas a été quasiment totale, et ce malgré le boycott du Hamas : faible intérêt (peu de candidats, 80 villes sans aucune liste), faible participation (à peine 50%, contre 73% lors du précédent scrutin), et surtout défaite de la plupart des candidats du Fatah soutenus par la direction Abbas (en général battus par des dissidents du Fatah, comme à Naplouse, Jénine ou Ramallah).

La « réconciliation » est donc en réalité assimilable à « une sorte de cessez-le-feu entre deux frères ennemis décidés à surseoir sur la scène palestinienne à toute métamorphose définitive tout en sachant s’adapter aux bouleversements de la scène régionale et internationale »[3]. Pour le Hamas, il s’agissait notamment de renoncer (provisoirement ?) à l’exercice (et à l’usure) du pouvoir dans les structures de l’Autorité Palestinienne, d’opérer un recentrage vers ses activités plus traditionnelles (réseau associatif, gestion des mosquées) tout en sortant de l’isolement et en redevenant un élément incontournable de la scène politique palestinienne. Une attitude pragmatique de la part du mouvement de la résistance islamique, qui a su tirer le bilan de l’expérience Mohammad Morsi et de sa propre expérience au pouvoir, qui l’a mis en contradiction vis-à-vis de sa propre base, davantage convaincue de la nécessité de poursuivre la résistance contre Israël que de (co-)gérer un appareil d’État fantoche.

Cette inflexion notable était inacceptable pour l’État d’Israël, qui ne peut tolérer un Hamas en voie de normalisation et enclin au compromis, pas plus qu’une « unité » palestinienne, aussi formelle soit-elle. L’offensive de cet été était donc essentiellement dirigée contre le Hamas, avec l’arrestation de centaines de militants et de dizaines de cadres en Cisjordanie et une offensive d’ampleur contre l’appareil militaire du Hamas à Gaza, destinées à affaiblir les structures du mouvement et à pousser le Hamas à reprendre le chemin qu’il avait abandonné depuis près de deux ans, celui de la résistance armée. L’État d’Israël pouvait ainsi espérer faire d’une pierre deux coups : mettre provisoirement le Hamas hors jeu et contraindre Mahmoud Abbas à renoncer à toute entente avec une organisation « hostile à la paix » : « L’offensive israélienne ne répond donc absolument pas à une quelconque radicalisation des Palestiniens ou du Hamas. Au contraire, c’est une offensive contre les concessions faites par le Hamas et contre la réconciliation palestinienne »[4].

 

Une défaite politique et militaire d’Israël

Le moins que l’on puisse dire est qu’Israël n’a pas atteint ses objectifs, ou alors très partiellement et de manière collatérale. Le Hamas ne sort pas affaibli, mais plutôt renforcé par cette nouvelle offensive, au cours de laquelle il a notamment démontré des capacités militaires inédites. Malgré l’impressionnant déploiement israélien, avec notamment le rappel de 60.000 réservistes et le développement d’une puissance de feu que Gaza n’avait jamais connue, y compris lors des offensives de l’hiver 2008-2009 et de l’automne 2012, le Hamas (et les autres organisations de la résistance palestinienne) ont, dans une large mesure, « tenu bon ». Les tirs de roquettes, quand bien même ils n’ont occasionné que très peu de pertes à Israël, n’ont jamais cessé, et surtout l’invasion terrestre israélienne s’est soldée par la mort de plus de 60 soldats, incapables de neutraliser les groupes armés et de réellement contrôler les quartiers envahis. Le « cessez-le-feu » a donc été signé alors qu’Israël n’avait absolument pas atteint ses objectifs militaires.

Qui plus est, malgré les terribles dommages matériels et humains causés par l’agression israélienne, les habitants de Gaza ne se sont pas majoritairement désolidarisés des combattants armés, comme en témoignent notamment l’affluence lors des obsèques des trois commandants militaires du Hamas assassinés à la mi-août par Israël ou les appels répétés de personnalités et organisations de la société civile de Gaza soutenant le droit des Palestiniens à avoir recours à la lutte armée. Autre indice : contrairement à ce qui s’était passé à l’hiver 2008-2009, Mahmoud Abbas et ses proches ont été dans l’impossibilité de dénoncer le Hamas ou de lui faire porter la responsabilité de la tragédie qu’a connue Gaza cet été. C’est l’union nationale qui a primé, et on a même pu voir un certain nombre de diplomates palestiniens représentant les autorités de Ramallah s’exprimer sur des chaines de télévision occidentales pour affirmer leur soutien à l’ensemble des organisations palestiniennes, y compris le Hamas, et à la lutte armée.

Quand bien même les griefs contre le Hamas étaient nombreux de la part de la population gazaouie, celle-ci a su faire la part des choses : « Il y a eu une accumulation de rancœurs contre le Hamas, ce qui se comprend parfaitement. Les gens ont attribué leur malheur et leur misère à la présence du Hamas, surtout après le retournement égyptien. Pour les Gazaouis, l’Égypte est fondamentale. Et savoir que leurs gouvernants sont la nouvelle bête noire du régime du Caire n’est pas chose aisée. En revanche, les Gazaouis voient aussi très bien que l’offensive israélienne a eu lieu au moment même où le Hamas entamait le tournant que tous souhaitaient. C’est-à-dire la réconciliation et un changement de cap, sur une ligne plus modérée, pour sortir de l’asphyxie qui est leur lot depuis si longtemps »[5]. Une « modération » qui s’est d’ailleurs incarnée dans les termes mêmes du « cessez-le-feu » finalement obtenu à la fin août.

 

Pas de victoire pour les Palestiniens

Les exigences palestiniennes en ce qui concernait le cessez-le-feu témoignent en effet de l’absence de toute « radicalité » dans le camp palestinien. Quelles étaient ces demandes ? La levée du blocus, évidemment, qui passe notamment par l’ouverture des frontières avec Israël et avec l’Égypte, la réhabilitation du port et de l’aéroport de Gaza (détruit et fermé depuis la fin de l’année 2000), l’extension à 10 kilomètres de la zone de pêche au large de Gaza. Comme l’a souligné la juriste Francesca Albanese, qui a travaillé durant 8 ans pour l’ONU, « aucune de ces revendications n’est nouvelle. Les Nations Unies, entre autres, ont régulièrement exigé la levée du siège, siège illégal selon la législation internationale, comme une condition nécessaire pour mettre fin à la situation humanitaire désastreuse dans la Bande. Faciliter les mouvements des marchandises et des gens entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza avait déjà été stipulé dans l’Agrément sur le Mouvement et l’Accès (AMA) signé entre le gouvernement d’Israël et l’Autorité Palestinienne en 2005. Même la construction d’un port et la possibilité d’un aéroport à Gaza avaient déjà été stipulées dans l’AMA, alors que leur réalisation effective n’a jamais suivi. La demande d’élargissement de la zone de pêche autorisée est inférieure à celle envisagée en 1994 dans les Accords d’Oslo et elle faisait déjà partie de l’arrangement du cessez-le-feu en 2012 »[6].

Rien de « maximaliste » ou de « radical » dans de telles exigences, qui correspondent tout simplement au minimum vital pour la population de Gaza, et qui sont reconnues comme légitimes par l’ensemble des organismes internationaux. Ce sont ces revendications qu’Israël a refusé d’entendre, démontrant une fois de plus que ce que la puissance occupante refuse au nom de sa prétendue sécurité n’est pas la satisfaction des droits nationaux des Palestiniens (eux aussi consacrés par le droit international) mais l’établissement des conditions de la satisfaction de leurs besoins les plus élémentaires : circuler, se loger, se soigner, se nourrir convenablement, s’éduquer. D’où l’exaspération de la population de Gaza et des organisations de la résistance palestinienne, et ce sentiment diffus chez les habitants de l’enclave, et ce malgré la violence de l’agression, tel que le résumait Raji Sourani du Palestinian Center for Human Rights (PCHR) : « Plutôt mourir que revenir à la situation antérieure ».

Nulle intransigeance donc de la part des Palestiniens, mais au contraire une certaine modération puisque nulle organisation n’a demandé la satisfaction de l’ensemble des droits nationaux des Palestiniens (fin de l’occupation civile et militaire, droit à l’autodétermination et droit au retour des réfugiés) en échange d’un cessez-le-feu, mais seulement des droits basiques et un peu d’oxygène. L’intransigeance est à situer, une fois de plus du côté de l’État d’Israël, qui a démontré à qui voulait l’oublier qu’il poursuit, au nom de sa soi-disant « sécurité », une entreprise méticuleuse de destruction de la société palestinienne afin de l’empêcher de pouvoir revendiquer collectivement ses droits. Tel était l’un des objectifs inavoués de l’agression contre Gaza : renvoyer la petite bande côtière à l’âge de pierre afin que les préoccupations de la population ne soient pas liées à la lutte pour la fin de l’occupation mais à la lutte pour la reconstruction et la survie.

Difficile donc, dans de telles conditions, de parler de véritable « victoire » pour les Palestiniens, qui n’ont obtenu satisfaction que sur une partie de leurs revendications, pourtant déjà modérées, avec un allègement partiel du blocus, une extension de la zone de pêche et des discussions à venir sur le port et l’aéroport de Gaza. Aucune garantie, en somme, d’une véritable levée du blocus et d’une amélioration significative des conditions de vie des Palestiniens de Gaza. Il ne s’agit bien évidemment pas d’être jusqu’au-boutiste et de défendre une stratégie du « tout ou rien », et l’on ne peut que se réjouir du fait que les Gazaouis ne soient plus sous les bombes. Force est toutefois de constater que les célébrations organisées par le Hamas suite à la signature de la trêve et les discours enflammés de ses dirigeants sur « l’immense victoire de la résistance palestinienne » sont en grand décalage avec la réalité, ce que les Gazaouis ne manqueront, et ne manquent déjà pas, d’observer.

 

Et maintenant ?

Les développements consécutifs à l’agression israélienne de cet été confirment que les dynamiques fondamentales n’ont guère changé : l’annonce, début septembre, de la saisie de 400 hectares de terres en Cisjordanie par les autorités israéliennes indique que ces dernières n’ont en aucun cas renoncé à poursuivre l’entreprise coloniale sioniste, et souhaitent même l’accélérer ; l’incapacité du Hamas et de Mahmoud Abbas à s’entendre concrètement sur la mise en pratique de l’accord de « réconciliation » confirme que ce dernier était très formel et précaire ; la multiplication des manifestations (sévèrement réprimées) en Cisjordanie et à Jérusalem indique, dans la foulée de celles qui ont eu lieu cet été, que la stabilisation totale du dispositif d’occupation demeure un objectif impossible à atteindre, et ce malgré la collaboration ouverte des forces de sécurité palestiniennes de Cisjordanie.

Alors même que l’administration états-unienne prétendait, il y a moins d’un an, « relancer le processus négocié » en vue de la signature d’un accord global et durable entre Israël et les Palestiniens, l’offensive contre Gaza, la plus meurtrière de ces dernières décennies, confirme qu’il est vain de prétendre « négocier » avec Israël, et que tous ceux qui acceptent les règles du jeu du « processus de paix » agissent, consciemment ou non, contre les intérêts nationaux des Palestiniens, en maintenant l’illusion d’une paix possible avec la puissance occupante. Les Palestiniens n’ont pas besoin d’un pseudo-gouvernement « d’union nationale » et d’accords techniques et ponctuels entre les principales organisations palestiniennes, quand bien même ceux-ci peuvent être interprétés comme des éléments positifs par ceux qui luttent contre le poison de la division. Les attributions et les pouvoirs d’un tel gouvernement sont en effet ceux que l’État d’Israël veut bien lui attribuer, et il est dès lors vain de penser qu’il pourrait être un point d’appui pour construire un réel rapport de forces contre le pouvoir colonial.

Ce que la récente séquence à Gaza et, dans une moindre mesure, en Cisjordanie, a montré, c’est que les Palestiniens n’étaient jamais aussi forts et unis que lorsqu’ils combattent de concert les forces d’occupation. La seule « unité nationale » durable ne peut se faire que sur un programme et une stratégie de lutte et de résistance, et non sur la répartition des rôles et des postes au sein d’un pseudo-appareil d’État, l’Autorité Palestinienne, dont le rôle n’est pas d’organiser la lutte nationale palestinienne mais de la canaliser et, si nécessaire, de la détruire. L’AP est en effet une structure qui a été conçue, lors des Accords d’Oslo, pour neutraliser la résistance et la population palestiniennes, et pour donner l’illusion d’une autonomie et d’interlocuteurs légitimes pour « négocier ». Elle a depuis trouvé sa propre raison d’être et nombreux sont ceux qui, au Fatah d’abord, puis au Hamas après sa prise de contrôle de Gaza, ont choisi de sacrifier les intérêts des Palestiniens sur l’autel des avantages matériels et moraux que confèrent la gestion d’un pseudo-appareil d’État.

Ceux qui ont cru, comme certains au Hamas, pouvoir transformer l’AP « de l’intérieur », savent désormais ce qu’il en est : le problème n’était pas tant celui d’individus peu scrupuleux et enclins à la collaboration que celui d’une pseudo-autonomie qui n’est que la poursuite de l’occupation par d’autres moyens. Nombre de voix lucides en Palestine s’élèvent aujourd’hui : l’heure est la reconstruction de la résistance (création de structures militantes unitaires à la base, d’un commandement unifié de la lutte, de syndicats indépendants de l’AP, de coopératives agricoles, de comités de village…) et non à la lutte stérile pour le contrôle d’un pseudo-appareil d’État prêt à signer un accord entérinant la cantonisation et voué à n’être qu’un sous-traitant des basses œuvres de l’armée israélienne, ou à être liquidé s’il ose revendiquer des droits pour les Palestiniens.

Les événements de cet été indiquent que la crise du « processus de paix » et du mouvement national palestinien vont se poursuivre, à mesure que la parenthèse d’Oslo (et de l’illusion d’une « autonomie » conduisant à une paix durable négociée) va se refermer. De nouvelles crises et confrontations sont à prévoir, dont la forme et l’issue sont incertaines, a fortiori dans la mesure où elles seront en grande partie tributaires des évolutions du processus révolutionnaire régional. Si la première condition pour la construction d’un nouveau rapport de forces contre Israël est en effet la rupture avec le logiciel d’Oslo et l’élaboration de structures et de stratégies permettant la reconstruction du nationalisme palestinien, il serait toutefois inopportun d’oublier que seul un nouveau rapport de forces régional, permettant aux Palestiniens de sortir de leur tête-à-tête avec un État d’Israël soutenu par l’ensemble des pays occidentaux, pourra permettre d’imaginer un avenir plus radieux.



[1] Jean-François Legrain, Le leurre de la « réconciliation » entre le Fatah et le Hamas, Orient XXI, 2 juillet 2014.

[2] Idem.

[3] Idem.

[4] Gilbert Achcar, « Une offensive contre la réconciliation palestinienne », Politis, 24 juillet 2014.

[5] Idem.

[6] Francesca Albanese, « Le silence assourdissant autour de la proposition du Hamas d’une trêve de 10 ans », Agence Médias Palestine, 11 août 2014.

 

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date: 14/10/2014 – 09:56

Julien Salingue