Invité(s) :
Eric Fassin, professeur à l’Université Paris-8 Vincennes-Saint Denis (Département de science politique et Centre d’études féminines et d’études de genre), Chercheur à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS, CNRS / EHESS) 
Patrice Maniglier, docteur et agrégé en philosophie, maître de Conférences à Paris Ouest Nanterre et membre du Comité de Rédaction des Temps Modernes

Dernière partie de La Grande Table avec le sociologue Eric Fassin, professeur de sciences politiques à Paris VIII, qui a signé avec Aurélie Windels, Carine Fouteau et Serge Guichard un ouvrage paru aux éditions de La Fabrique en février 2014 et intitulé “Roms et riverains. Une politique municipale de la race”.

Patrice Maniglier, philosophe est auteur d’un article publié dans le numéro de janvier-mars 2014 de la revue Les Temps modernes consacré aux Roms en Europe. Son article s’intitule “Il n’y a pas de question rom”. Il est aujourd’hui aux côtés de Caroline Broué et de Ludovic Piedtenu pour interroger notre invité.

Aujourd’hui, le Premier ministre Manuel Valls est cité à comparaître devant le Tribunal correctionnel de Paris par l’association La voix des Rroms. Il est accusé de provocation à la discrimination, à la haine et à la violence à l’égard d’un groupe de personnes, et cela en raison de leur appartenance à une ethnie, une race. En cause : ses propos rapportés dans la presse en mars 2013, et sur France Inter le 24 septembre 2013, où il avait déclaré que “les occupants de campement ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu’ils sont entre des mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution”, avant de préciser qu'”ils ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qu’ils sont évidemment en confrontation”. Il avait ajouté : “nous le savons tous, la proximité de ces campements provoquent de la mendicité et aussi des vols, et donc de la délinquance” et il avait conclu “les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie”.

Cette actualité, étonnamment passée sous silence dans les médias, est emblématique, selon notre invité, des politiques d’essentialisation menées à droite comme à gauche à l’égard des Roms.

Eric Fassin et Patrice Maniglier

Eric Fassin et Patrice Maniglier CLEMENCE MARY © RADIO FRANCE

“Eric FASSIN : Cette actualité est emblématique d’une volonté de ne pas voir ce qui se passe, à savoir qu’une politique de la race est mise en place par l’état français, visant une population en particulier. Nous en avions pris conscience, dès le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy en 2010, et suite à la protestation de la commissaire européenne Viviane Reding contre la politique de la France contre les populations roms. De fait, cette catégorie est une catégorie raciale, qui n’existe pas dans le droit français.

Quand on parle des Roms, on désigne ceux qui vivent dans les bidonvilles, et qui ne sont d’ailleurs pas tous Roms. Parler de la “question rom” c’est en fait parler de la politique publique menée à leur égard.

La politique de la race, n’étant pas elle-même raciste, provoque du racisme chez les riverains, ceux qui habitent à côté. Ce terme de “riverain” a été lancé par Sarkozy, au moment du débat sur la prostitution, soulignant que cela “gênait” les riverains. Or, tous les riverains ne sont pas exaspérés, ni tous les exaspérés des riverains. De même, beaucoup de riverains, au niveau local, défendent la population rom.

La France traite les immigrés assez mal en général. Si les Roms sont plus mal traités que d’autres, c’est qu’étant européens, on ne peut les renvoyer chez eux, ça ne fonctionne pas. On leur rend donc la vie invivable.”

http://www.franceculture.fr/emission-la-grande-table-2eme-partie-y-a-t-il-une-question-rom-2014-06-05