Geispolsheim, le 10 avril 2010

Jeudi dernier, le chemin d’accès au CRA de Geispolsheim était fermé par une barrière gardée par des gendarmes.

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La visite du groupe de solidarité VIGICRAGE avait été annoncée sur ce blog et au rassemblement de soutien à l’étudiante russe Eléna Ten, libérée, mais assignée à résidence, jusqu’à la fin de ses examens.

http://la-feuille-de-chou.fr/?p=8247

Ce samedi 10 avril retour au CRA, vers 10h45, sans tambour ni trompettes.

Barrière levée à l’entrée du chemin qui mène au centre.


Nous croisons le commandant du centre qui nous souhaite aimablement une bonne journée.

Nous demandons à rencontrer Messieurs Yusupof et Rudnitskii, Biélorusses, arrêtés ensemble. Lors de notre première visite Monsieur Yusupof était resté complètement muet et ne communiquait très brièvement que par écrit et en anglo-russe.

Au parloir les gendarmes nous présentent les deux hommes. M. Yusupof continuant à se montrer complètement mutique nous nous entretenons avec Monsieur Rudnitskii.

Tous deux Biélorussiens, beaux-frères, ils ont fui leur pays en 2008, suite à des menaces dont ils ont été la cible pour avoir voulu témoigner d’exactions dont ils ont été témoins.

Leur aventure ferait un excellent roman-feuilleton et un film,, mais hélas, tout est vrai.

Ils importaient des véhicules dans leur pays.

Ils sont un jour témoins involontaires d’une agression dans une coopérative biélorusse. En se rendant au commissariat, ils se font barrer la route par les agresseurs d’avant. Ils prennent peur.

Ils voient un inspecteur de police M. Maatveev. Ils ont affaire, semble-t-il, à un groupe criminel tchétchène. Ils se rendent à Minsk, la capitale de la Biélorussie, et partent en camion vers l’Europe, sans savoir la destination.

Arrivés en camion « plombé » à Lille, ils se sont retrouvés à Calais. Leur but n’étant pas du tout l’Angleterre. Contrôle, CRA pendant quinze jours. Ils sont relâchés dans la nature, direction Paris, où ils errent pendant plusieurs mois.

N’arrivant pas à se faire entendre, la police ne leur fournissant aucun renseignement ils se dirigent vers la Belgique. Ils y déposent une demande d’asile. La Belgique suivant les règles d’arrivée dans l’Union Européenne (le 1er pays qu’ils pénètrent est celui de la demande d’asile) les renvoie en France.

Ils apprennent la mort de l’inspecteur et la disparition de leur oncle.

De nouveau errance à Paris. La police pour prendre leur demande d’asile en considération exige une domiciliation!

Ils décident de se rendre en Hollande, espérant y trouver un meilleur accueil. Renvoi en France.

De nouveau Paris. Ils vivent dans les gares, dans les trains, sur des voies de garage. Arrêtés ils sont envoyés à Metz, puis Épinal, puis dans un CHRS à Gérardmer. Leur demande d’asile est enfin prise en considération.

Après ces périples, ils sont tous deux en mauvaise santé. M. Yusupof souffre de troubles psychiques. Il tombe dans complet mutisme. Il passe un mois dans un hôpital psychiatrique, sans signe de rétablissement. M. Rudnitskii souffre quant à lui d’un écrasement discal, qu’il n’arrive pas à faire soigner malgré des demandes insistantes.

Pour obvier à ce refus de soins, ils vont en Suisse. M. Rudnitskii y est soigné très attentivement pendant plus d’un mois pour son écrasement discal. Les soins terminés ils sont renvoyés en France.

Pendant leur séjour en Suisse, ils ont été convoqués à l’Ofpra pour audition, mais n’ont pas reçu le courrier. Étant absents, leur demande à été rejetée. Quand ils apprennent leur convocation: le délai d’appel est expiré. A Gérardmer ils reçoivent leur OQTF, le 20janvier 2010.

Ils sont interpellés fin mars.

Direction Geispolsheim, Centre de Rétention Administrative.

Le 8 avril, ils sont conduits au consulat biélorusse à Paris, pour s’entendre signifier que leur laissez-passer pour la Biélorussie à été accordé à la France (aller et retour Geispolsheim -Paris en avion).

Curieusement, dans le témoignage par écrit que nous avons pu consulter, leur séjour en Suisse et les raisons qui les y ont conduites ne sont pas notées « cet épisode n’a aucune importance» leur dit-on.

L’avocate, Me Marie Juras, résume les risques qu’ils encourent s’ils sont expulsés en Biélorussie, en se référant à la Convention européenne des droits de l’homme, selon laquelle ils s’exposent à des “traitements inhumains et dégradants“, (en bon français, des tortures) en cas de retour.

Et pourtant, d’un moment à l’autre, ils s’attendent à être reconduits en Biélorussie, en avion, la France est généreuse dans ces cas là…

M. An. et JC.M