Citation Maozedong

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Hortefeux, le ministre indigne de la République

17 Décembre 2010 Par

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  • Il faut prendre le temps de relire ce que le ministère de l’intérieur dit, dans une plaquette officielle, de lui-même et de son ministre :

    « Depuis deux siècles, le ministère de l’intérieur est le cœur de l’administration. (Il est) l’outil privilégié de l’Etat pour garantir aux citoyens l’exercice des droits, devoirs et libertés réaffirmés par la Constitution de la Cinquième République, dont le préambule se réfère aux principes fondamentaux de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Ses compétences concernent la vie quotidienne des citoyens : sécurité publique, sécurité civile, libertés publiques, élections, collectivités locales.» (La plaquette officielle est à lire ici.)

    Un délinquant récidiviste est donc aujourd’hui au cœur de l’Etat, en charge de nos libertés et de notre sécurité. Ce n’est pas seulement angoissant. C’est évidemment anormal et dangereux, pour nous, pour l’Etat et pour nos institutions.

    Le 10 septembre 2009, nous demandions la démission de Brice Hortefeux pour avoir tenu des propos racistes lors d’une réunion publique de militants UMP (lire notre article ici). Il devait être condamné quelques mois plus tard pour injures raciales (le ministre a fait appel). Le voici depuis ce vendredi condamné à nouveau, cette fois pour atteinte à la présomption d’innocence (là encore, il fait appel). Racisme, mépris profond de la justice. Brice Hortefeux n’est pas le dix-huitième secrétaire d’Etat aux voies fluviales. Il est ministre de l’intérieur. Celui qui, plus que tout autre, doit symboliser l’Etat, sa compétence, sa qualité, son impartialité, son écoute.

    Cette nouvelle condamnation n’est pas une anecdote. Elle n’est pas que la condamnation d’un propos de circonstance d’un ministre croyant faire un petit coup politique en sacrifiant sur la place publique un magistrat. Un fonctionnaire qui ne fait même pas l’objet de poursuites à ce jour! Elle est la condamnation d’une stratégie constante d’un ministre et d’un pouvoir sacrifiant les droits des citoyens et méprisant ce socle de la démocratie: une justice indépendante, impartiale, égale pour tous.Il y a une semaine, le ministre de l’intérieur se mettait en travers d’un jugement prononcé par le tribunal correctionnel de Bobigny, condamnant sept policiers pour faux témoignages (lire notre article ici). «Condamnations disproportionnées», rétorquait aussitôt le ministre, se souvenant sans doute que Nicolas Sarkozy, quelques années plus tôt, s’en était également pris à ce même tribunal. «Je persiste et signe», confirmait ensuite le ministre, couvrant ainsi des policiers dont les délits auraient pourtant été susceptibles d’envoyer un homme innocent en prison (et à perpétuité!).

    • «Au plus grand bénéfice des délinquants »

      Le propos suscita un tel tumulte que François Fillon devait rappeler à l’ordre son ministre. Ce vendredi, les deux syndicats majoritaires dans la magistrature et dans la police (L’Union syndicale des magistrats, USM, et le Syndicat national des officiers de police, Snop) signent, fait exceptionnel, un appel commun (à lire ici). Ce qu’ils écrivent équivaut à une troisième condamnation du ministre Hortefeux : «Il n’est plus possible que des polémiques stériles et des critiques inopportunes, fondées sur de purs calculs politiques, sapent constamment l’autorité de l’Etat, au plus grand bénéfice des délinquants.»

      Donc, ce n’est plus possible. Déjà l’an dernier, nous avions expliqué comment chez nos voisins européens, les ministres démissionnent aussitôt impliqués dans un scandale (lire notre article ici). Pas par ce «moralisme purificateur» dont aiment se moquer intellectuels et responsables politiques de droite. Mais sur un constat simple: un ministre mis en cause affaiblit tout le gouvernement. Alors que dire d’un ministre condamné, puis condamné encore!

      «Jurisprudence hypocrite»: c’est par cette formule que François Fillon avait balayé une règle qui cahin-caha s’installait progressivement dans notre République, celle qui voulait qu’un ministre mis en examen démissionne. On l’appelle jurisprudence Jospin (la démission de Dominique Strauss-Kahn mis en examen dans l’affaire de la Mnef puis ayant bénéficié d’un non-lieu). Elle remonte en fait à Pierre Bérégovoy, lorsque son ministre Bernard Tapie a dû quitter le gouvernement, mis en examen dans l’affaire VA-OM. Elle fut systématisée par Edouard Balladur qui y perdit trois ministres: Michel Roussin, Gérard Longuet, Alain Carignon.

      François Fillon va-t-il s’enferrer et conserver son ministre-délinquant? Sans doute, tant Brice Hortefeux demeure un homme-clé du système sarkozyste: celui qui, depuis le poste de commande de l’intérieur, est à même de mettre toutes les ressources de l’Etat au service de la campagne électorale du président sortant; celui qui, avec Claude Guéant, connaît le mieux l’appareil policier et préfectoral et assure une tutelle vigilante sur la DCRI, ces services de renseignement récemment pris la main dans le sac, sur l’affaire des surveillances de téléphones de journalistes.

      Dès 2007, lorsque sonne l’heure de la victoire pour les sarkozystes, Brice Hortefeux, fidèle parmi les fidèles, se voit en droit de revendiquer ce ministère de l’intérieur, dont il rêve depuis longtemps. Il est envoyé en mission dans ce nouveau «ministère de l’immigration et de l’identité nationale», dont il justifie et l’intitulé et les actions. Le voilà défendant jusqu’au bout la mise en place de tests ADN (qui, finalement, ne verront jamais le jour) et il se vante d’atteindre 29.796 expulsions ou retours volontaires en 2008.

      En 2009, après cinq mois de figuration au ministère du travail (lire ici notre article : Hortefeux, ministre virtuel), l’ami de toujours de Nicolas Sarkozy atteint son nirvana et décroche la Place Beauvau. Il y avait fait ses premiers pas en 1986, dans l’ombre déjà de Nicolas Sarkozy qui était alors conseiller du ministre Charles Pasqua. Il retrouve ce ministère en 2002, comme conseiller de Sarkozy ministre, puis devient ministre délégué aux collectivités locales en 2005, toujours sous la tutelle de Sarkozy.

    «Là où il y a justice, il y a danger»

    Fin connaisseur de ce ministère, Brice Hortefeux ne peut donc rien ignorer des états des lieux qui peuvent être dressés dans la police comme dans l’appareil judiciaire. Sa stratégie poursuit celle mise en œuvre par Nicolas Sarkozy depuis 2002: survaloriser les opérations sécuritaires à grand spectacle; organiser une tension ou un affrontement permanent avec l’appareil judiciaire; fusionner les deux problématiques immigration-insécurité.

    Dans Confessions d’un sarkozyste repenti, son livre publié en novembre dernier, le militant UMP Amine Benalia-Brouch, cible des propos racistes du ministre en septembre 2009, raconte cette anecdote. Un mois avant le procès de Brice Hortefeux, le jeune UMP est convié à le rencontrer pour la seconde fois. «Le ministre est inquiet avant son procès. Je lui fais remarquer que je vois mal le premier flic de France être condamné. Là, il me fait une réponse que je n’oublierai jamais:‘’Vous savez, monsieur Bénalia-Brouch, là où il y a justice, il y a danger”.»

    Danger également pour le ministre, les sans-papiers. Interrogé en novembre 2007 par M6 sur le fait de savoir s’il y aura «toujours des sans-papiers sur le territoire français», il répond: «Ben, si vous rêvez d’une société idéale dans laquelle il n’y aurait que des citoyens honnêtes, propres (…), la vérité c’est que c’est un combat permanent.» Ce lundi, le ministre a une de fois de plus réuni tous les préfets pour exiger d’«amplifier» les expulsions d’étrangers en situation irrégulière pour atteindre de 28.000 reconduites à la frontière.Ce vendredi soir, les partis de gauche demandent la démission du ministre (lire ici et ici). Que disent les autres formations politiques? Nous ne sommes pas là dans les petites polémiques entre camps politiques. Nicolas Sarkozy parlait en 2007 d’une «République exemplaire». Quel est l’exemple donné par un ministre condamné à deux reprises et demeurant en charge de la police et de notre sécurité ? Celle d’une République délinquante.