La Feuille de Chou a demandé à Bernard Wittmann de réagir à l’ignorance sarko-française concernant les “Malgré-nous”.
Merci à B. Wittmann!
Touche pas nos Feldgrau alsaciens!
En Alsace, la manipulation de l’histoire fait partie d’une certaine « normalité » ; chez nous, plus qu’ailleurs, elle est un enjeu politique majeur. Mais voilà que le bidouillage de notre passé est repris au plus haut niveau de l’État. C’est grave ! En effet, dans son discours du 11 novembre, le président Sarkozy, pour évoquer le cas des Feldgraue alsaciens de la première guerre mondiale, a employé le terme de «Malgré-nous » !
Or, ce terme, s’il est totalement juste et légitime appliqué à nos soldats de la dernière guerre, ne l’est absolument pas pour les 380 000 soldats alsaciens-lorrains, dont 250 000 Alsaciens, de l’armée impériale de 1914-1918 qui ont effectué loyalement leurs obligations militaires dans l’armée du pays dont ils étaient les citoyens.
En effet, en 1871, aux termes de l’article premier du traité de paix de Frankfurt, la France cédait l’Alsace-Lorraine « à l’Empire allemand qui possèdera ces territoires à perpétuité, en toute souveraineté et propriété » ! Cette situation fut alors reconnue et entérinée par la communauté internationale. De plus, en 1914, après près d’un demi-siècle d’appartenance à l’Empire, qui fut une période faste pour le pays, il est bon de le souligner, l’intégration des Alsaciens-Lorrains était en voie de réalisation.
Très peu d’entre eux songeaient encore à un retour à la France qui n’était généralement plus qu’un souvenir en Alsace. Pour preuve : aux élections de mai 1911 pour le Landtag, la coalition de tous les partis francophiles ne rassembla que 3,2% des voix, soit moins de 10 000 suffrages ! C’était alors le poids du « parti français » en Alsace !
D’ailleurs, les Alsaciens ne voulaient pas de cette guerre. Ils étaient solidaires de l’Empire, mais sans pour autant éprouver de l’animosité contre la France : « les 250 000 enrôlés (alsaciens) dans l’armée allemande acceptent leur condition par loyalisme et par sentiment du devoir au drapeau » écrit, fort justement, Bernard Vogler.
Pour preuve, à l’ordre de mobilisation, tous rejoignirent leur caserne. Seuls quelques milliers (la propagande française avancera le chiffre de 17 650) se porteront engagés volontaires en France, encore s’agissait-il pour la plupart « d’engagés » douteux car recrutés parmi les otages alsaciens (dont l’armée française s’était emparée en 1914 lors de ses premières percées) et dans les 153 camps répartis en France où étaient internés les civils alsaciens et les étrangers indésirables (Hansi et Wetterlé faisaient partie des « sergents-recruteurs »).
Et durant la guerre, les Feldgraue alsaciens se battront pareillement que les autres soldats Allemands ; ils compteront dans leurs rangs, proportionnellement, autant de tués (50 000), de blessés et de prisonniers que dans le restant de l’armée impériale. Quant à ceux qui furent engagés sur le Front Ouest, et il furent quelques dizaines de milliers contrairement à ce que prétendra la propagande française, à peine quelques centaines d’entre eux firent défection en passant du côté français.
En 1918, les autorités françaises, conscientes de la germanophilie qui régnait alors parmi nos Feldgraue et craignant les incidents, leur interdira le retour en Alsace. Aussi décidèrent-elles de les parquer de l’autre côté de la frontière jusqu’à l’achèvement complet des cérémonies de la Libération, orchestrées dans les différentes villes alsaciennes sous l’autorité des gendarmes et de l’armée françaises.
En Alsace, la « Révolution de Novembre », dont les racines puisent dans le mouvement révolutionnaire allemand, avait donné naissance aux Conseils ouvriers et soldats (Soldaten- und Arbeiterräte) qui avaient montré leur orientation clairement germanophile (notamment en interdisant les drapeaux tricolores et en exigeant un plébiscite).
Et même après 1919, nombreux furent les anciens Feldgraue qui garderont la nostalgie du Reichsland et l’exprimeront (à peine libérés, on les obligea à suivre des stages de « rééducation patriotiques» en France de l’intérieur, officiellement pour qu’ils apprennent le français).
Après 1920, beaucoup iront ensuite grossir les rangs des mouvements communiste (qui demandait la séparation avec la France) et autonomiste naissants.
Alors, et sans porter de jugement de valeur sur leur attitude, leur appliquer le terme de « Malgré-eux », est une manipulation grossière de l’histoire, un détournement de sens, un travestissement flagrant de la vérité historique.
Évidemment, nos Feldgraue, qui n’étaient autres que nos grands-pères, posaient problème à la France car leur histoire n’était pas en conformité avec le grand « roman national » patriotique qu’on voulait forger.
On usera alors d’un autre bidouillage pour contourner cette vérité en disant que derrière leur uniforme Feldgrau « battait un coeur français » ! Et pour conforter cet énorme bobard, à partir de 1920, le clan des activistes francophiles conduits par Hansi, l’abbé Wetterlé et quelques autres, usa un court temps du terme « Malgré-nous » ; mais cet emploi fut tout à fait marginal et faisait beaucoup sourire, ce qui fait qu’il ne fut plus employé par la suite, même dans les milieux les plus francophiles.
Plus récemment, pour présenter le Mémorial de Schirmeck, nos historiens « officiels » déterreront à nouveau ce terme pour mettre en conformité nos Feldgraue avec la mythologie de l’Alsace française qu’on voulait y raconter afin de mieux l’insérer dans le récit patriotique de la France (présentée comme une éternelle continuité toute d’unité).
Cette histoire-là s’affranchit évidemment de toute approche « véritative » et s’inscrit dans une démarche purement politique pour servir l’unité nationale (l’attachement indéfectible de l’Alsace à la France) et montrer la grandeur et la permanence de la nation ! Et pour servir ce dessein, on n’est pas à un bobard près ! Mais à défaut de ne pas respecter l’histoire, qu’on respecte au moins nos morts !
Bernard Wittmann
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