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Point de vue / Histoire
Les tristes ordonnances d’août 1942
Il y a cinquante-neuf ans, le pouvoir nazi ordonnait l’incorporation de force des Alsaciens et Mosellans dans l’armée allemande. Historien, juriste et élu, Jean-Laurent Vonau, qui vient de publier un livre sur le Gauleiter Wagner (éditions La Nuée-Bleue), analyse les conséquences dramatiques de ces textes.
Le mercredi 26 août 1942 par un titre laconique sur quatre colonnes : « l’obligation militaire est introduite en Alsace ! », le journal des Dernières Nouvelles de Strasbourg ( Strasburger Neuerste Nachrichten), aux mains des nazis, informait la population alsacienne que l’incorporation de force était entrée en application. Ce fut le plus horrible et le plus grand crime de guerre que l’Alsace eut à subir. Un crime dont on mesura seulement après-guerre la portée et qui, par son ampleur notamment, s’apparente pleinement à un crime contre l’humanité.U
Un viol collectif des consciences
Vingt et une tranche d’âge furent concernées. Il y eut pour la seule Alsace 100 000 hommes incorporés soit 1/8 e de la population totale. Près de la moitié de la population masculine dût ainsi revêtir l’uniforme de l’ennemi, et porter les armes contre son pays, sa patrie d’origine la France et ses Alliés. On opéra ainsi un viol collectif des consciences. On arracha par la force du vainqueur de la campagne de 1940, ces hommes à la nation française, et on provoqua leur immersion contre leur gré, dans le peuple allemand. Cette conduite odieuse fut réalisée au mépris total du droit international car juridiquement l’Alsace demeurait française malgré l’armistice signé le 22 juin 1940.
Pour masquer cette réalité, une seconde ordonnance datée du 24 août 1942 conférait ipso facto la nationalité allemande aux recrues dans la Wehrmacht ou dans les Waffen-SS à partir du jour de leur incorporation. Il en était de même de leur famille proche (épouse, enfants) – mais en fait sans que la France ne renonce à leur nationalité… Cette attribution n’avait donc aucune valeur juridique. Le gouvernement de Vichy protesta mollement devant la commission d’armistice à Wiesbaden pour ces agissements ; la France Libre fit savoir par ses émissions à la BBC qu’elle ne reconnaissait pas l’annexion dont l’Alsace-Moselle faisait l’objet et que la contrainte ôtait toute portée juridique à ces ordonnances.
Néanmoins cette situation s’imposa aux Alsaciens qui durent en supporter les conséquences. On estime qu’environ 12 000 parvinrent soit à se cacher, soit à fuir la région et à se réfugier en Suisse ou en France au-delà des Vosges, bien qu’on fermât les frontières et qu’on interdît les passages par une garde renforcée.
L’incorporation de force fit malheureusement 30 000 morts si on y inclut les Mosellans qui connurent également le même sort, soit plus de 10 % de la population masculine. Toutes les familles alsaciennes furent donc concernées. De ce fait, l’Alsace et la Moselle sont les seules régions françaises où, la liste des morts concernant la guerre 39-45 est souvent aussi longue que celle des victimes de la Première Guerre Mondiale voire plus…
La responsabilité de cette situation incombe pleinement au Gauleiter Robert Wagner. Par son fanatisme, son orgueil et son désir constant de vouloir plaire à son Führer, il harcela les autorités du Reich et de la Wehrmacht pour obtenir l’application de ces mesures. Nous savons aujourd’hui à quel point Hitler était réticent à cette action et même que le Generalfeldmarchal Keitel chef suprême de la Wehrmacht y était opposé. Pendant plus d’une année Wagner fit le forcing pour aboutir au modèle construit en son temps par Bismarck pour forger l’unité allemande, à savoir souder dans une nation tous les éléments épars « par le fer et par le sang » versé. Wagner estimait en effet, que les Alsaciens, par le combat commun livré « contre le bolchevisme », s’intégreraient totalement dans la nation allemande. L’incorporation de force était donc pour lui un moyen politique indispensable pour atteindre cet objectif : faire des Alsaciens des Allemands et si possible des Allemands nazis. C’est donc bien pour briser la résistance de la mentalité alsacienne, pour obtenir une immersion dans la nation allemande, confrontée à la tragédie de la guerre, que les Malgré-Nous connaîtront ce sort.
Mais Wagner alla encore plus loin : il décida lui seul de l’incorporation des tranches d’âge qui avaient déjà effectué leur service militaire dans l’armée française avant 1939 ; il versera également d’office certaines classes dans les Waffen-SS faisant ainsi par exemple « don de la moitié de la classe 1926 », au Reichsführer SS Heinrich Himmler… Toutes mesures non autorisées par Hitler…
Il faudra encore de nombreux travaux de recherches pour éclaircir les points obscurs qui subsistent. Mais il faudra surtout opérer de grands efforts pédagogiques pour faire comprendre à tous les Français ce qu’était l’incorporation de force. Ce crime devra un jour figurer dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, au même titre que l’interdiction d’enrôler des « enfants soldats » car il est issu de la même volonté maléfique qui consiste à annihiler le discernement, à altérer la conscience, la dignité humaine, à nier la liberté d’action qui appartient à tout individu.
Un colloque international
Aussi l’année prochaine dans le cadre du 70 e anniversaire de l’incorporation de force, le conseil général du Bas-Rhin avec l’université de Strasbourg organisera un colloque international pour mieux cerner ce phénomène sur le plan européen. Il s’agira de mieux connaître et de comparer la situation dans les autres pays annexés par l’Allemagne durant la Seconde Guerre Mondiale comme la Pologne, la Belgique, le Luxembourg, la Roumanie, la Tchécoslovaquie… De même il est prévu de réaliser une grande exposition sur ce thème pour mieux comprendre les spécificités propres à chaque nation. Puisse ainsi le sort partagé avec nos voisins nous rapprocher davantage et nous conduire vers une Europe plus fraternelle, mieux partagée, dans la paix retrouvée et désormais garantie.
J.L.V.
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