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À partir d’une analyse juridique de la législation en matière de discriminations indirectes, Tammouz Al-Douri met en perspective la situation française avec celle des États-Unis, ce qui lui permet à la fois de sortir des clichés sur l’affirmative action aux États-Unis et de faire comprendre le caractère incomplet de la législation française.

D’introduction récente en France, l’approche prônée par la discrimination indirecte se trouve à première vue aux antipodes de ce que l’on nomme communément le « modèle républicain » français. Ce dernier est utilisé dans le débat public pour désigner l’attachement du régime politico-juridique à l’ « intérêt général », expression de la « volonté générale », à opposer aux intérêts particuliers qui mineraient l’ « unité républicaine ». Dans la sphère publique, les individus sont sommés d’abandonner leur particularisme, ce qui les définit socialement, ainsi que tout ce qui les distingue d’un autre individu. Ils deviennent, par cet abandon, des « citoyens ». Dans ce modèle républicain théorique, la loi, et plus généralement la norme qu’elle soit de source législative ou non, est l’ « expression de la volonté générale » et « doit être la même pour tous » (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, art. VI). C’est le caractère abstrait, universel de la loi et de la citoyenneté qui est la garantie de ce que l’on nomme l’ « égalité républicaine ». Les citoyens, tous identiques, sont tous égaux devant une loi qui s’applique à tous de la même manière. Ce modèle républicain conçoit et réprime les discriminations directes : elles sont des défaillances résiduelles, des fautes individuelles qui trahissent la République. Mais les discriminations indirectes, les plus massives, produites par la norme apparemment neutre et universelle, lui posent problème. Elles le gênent. Car comment concevoir qu’une pratique neutre, ne mentionnant ni le sexe, ni la race, ni aucun autre critère prohibé, puisse constituer une discrimination ? Comment concevoir que l’universel puisse être discriminant ? Elles le menacent également car les discriminations indirectes témoignent de l’injustice que l’égalité formelle peut engendrer et constituent un argument en soi pour les revendications d’égalité réelle des groupes discriminés. Elles mettent un nom sur le sentiment d’injustice et la frustration que peuvent éprouver les victimes face à un ensemble de normes qui leur est présenté comme neutre. Mais surtout, elles qualifient juridiquement les discriminations qui sont produites à grande échelle, de manière intentionnelle ou non, sous couvert de neutralité et ouvrent la voie vers une action en justice pour y mettre fin.

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