Les gazettes d’Utopia publient régulièrement les infos sur le procès qui leur est intenté par l’Association Culturelle Juive des Alpilles (audience le 15 février) et le procès qu’Utopia intente à Yann Moix pour injures pour sa chronique dans le Figaro (audience plus tard).
Mialhe, notre camarade de Midi Pyrénées, signe dans la dernière gazette de Bordeaux (je ne connais pas les dates de sortie des gazettes d’Avignon, Toulouse ou St Ouen l’Aumône) une page très Claire.

A. Rosevègue, co-président de l’Union Juive Française pour la Paix

A propos de la chronique de Yann Moix

Faute de temps, quand on m’a signalé, peu après sa parution, la chronique de Yann Moix attaquant Utopia, je n’y ai pas prêté grande attention. La relisant aujourd’hui, je suis partagée, comme beaucoup, entre la colère et la tristesse.
Je reprends le centre de ce texte : « Le mot ‘milice’ collé au mot ’juif’, ce n’est pas un oxymore, c’est une honte. C’est définir, évacuant Auschwitz d’un coup d’adjectif non seulement mal placé mais déplacé, un concept qui donnerait aussitôt vie, dans la foulée, à de jolis avatars comme des nazis juifs, des fascistes juifs, des hitlériens juifs ».
Et comment pourrait-il ne pas exister de milices juives ou des juifs fascistes ? Est-ce que les Juifs ne sont pas des êtres humains ?
Il n’est nullement besoin d’en appeler à un nouveau concept. En 1926 déjà, Gershom Scholem signait, avec d’autres intellectuels juifs, une pétition, adressée à la puissance mandataire, contre la création d’une milice juive en Palestine, arguant qu’il fallait tout faire pour « combattre l’esprit guerrier et militariste » dans les rangs sionistes et « dénoncer les slogans trompeurs qui vantent l’héroïsme et l’honneur national » (citation extraite de Un juif allemand à Jérusalem de M.R. Hayoun). Depuis, bien sûr, cet espoir s’est définitivement envolé puisqu’à la fin de l’année 1947, la « principale milice clandestine sioniste » s’installait à la Maison rouge de Tel Aviv où, en mars 1948, fut « mis la dernière main à un plan de nettoyage ethnique de la Palestine » (citation extraite de Le nettoyage ethnique de la Palestine de I. Pappé).
Mais, surtout, utiliser le nom d’un camp d’extermination nazi à ce point à la légère, pour le petit plaisir de faire glisser les mots les uns sur les autres, alors là, vraiment, c’est une honte.

Ensuite, avant de comparer, dans une autre partie du texte que je ne reprends pas, l’idée de lobotomisation des élèves dans les écoles israéliennes avec les textes de Robert Brasillach, il faut peut-être écouter les israéliens parler de leur propre système scolaire. Il n’est qu’à lire Tom Segev (Le septième million) pour voir que dès la naissance de l’Etat, on apprenait à l’école que dans le pays il y avait deux races : la race des dieux, qui étaient nés sur place, et une race inférieure : celle des Juifs qui venaient de la Diaspora. Sans compter les travaux menés actuellement en Israël sur ce qui est véhiculé dans les manuels scolaires à propos des Palestiniens et, plus généralement, des Arabes.
Il n’y a pas une « essence juive » qui serait forcément distincte d’une « essence nazie ». Il y a des êtres humains avec leurs histoires, leurs cultures et le risque, toujours, de vouloir se débarrasser de toute altérité. Prendre une posture qui consiste à dénoncer de l’antisémitisme là où il n’y en a pas n’évite aucunement de se laisser entraîner dans ce travers et, surtout, ne combat pas le racisme là où il est. C’est une posture aveugle qui nous met en grand danger.
A lire le texte d’A.M.F. dans la Gazette n° 162, j’aimerais insister sur un point. Il me semble qu’il faut souligner que, quand le CRIF est intervenu en 2004, tentant de faire pression sur Utopia pour que le cinéma annule la venue de Leila Chahid à Toulouse pour le film Ecrivains des frontières, Utopia a répondu en programmant trois autres films sur le même sujet en plus d’Ecrivains des frontières. C’est-à-dire que face à ces tentatives de pression, il est possible de ne pas acquiescer. Mais, pour cela, il est nécessaire de penser. Ce que fait Utopia.
C’est un peu curieux, parfois, de voir comment certains évènements relatifs à la Palestine sont déprogrammés par souci de ne pas déplaire. C’est à se demander si leurs organisateurs ont une incertitude quant à savoir si eux-mêmes sont antisémites ou non. Mais, après tout, il est vrai qu’il n’y a pas eu, après la seconde Guerre mondiale, et qu’il n’y a toujours pas, de questionnement sur le refus de l’altérité qui se présente sous la forme d’un racisme ou d’un autre. Sans doute est-ce pour cela, d’ailleurs, qu’on se préoccupe si peu de l’islamophobie actuelle.

Après la seconde Guerre mondiale, il a été convenu qu’il était malséant de dire ouvertement du mal des Juifs mais il n’a pas été décidé de réfléchir vraiment à la difficulté, pour l’être humain, d’accepter l’altérité du monde, l’altérité des autres et l’altérité de soi-même. Alors, bien sûr, il ne reste qu’à se réfugier dans des postures, croyant que ça pourrait nous garantir d’être du côté du Mal. Mais il n’existe aucune garantie en cette matière, il n’existe que le choix entre l’aveuglement et la pensée.
Merci, en tout cas, au cinéma Utopia d’être parmi ceux qui aident à lutter contre la lobotomisation du monde, et en particulier contre la lobotomisation du judaïsme.
Claire Mialhe, membre de l’UJFP.