Propos de Nicolas Lebourg recueillis par Amélie Mougey, entretien préparatoire au Désintox de Libération du 7 octobre 2013.
Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les premiers mouvements qui se sont réunis au sein du Front National et leur ligne politique ?
Nicolas Lebourg : Le Front National est un projet porté par le mouvement néofasciste Ordre Nouveau, fondé en 69 et dissous par l’Etat en 1973. C’est un mouvement qui tente de mener tout ensemble le combat dans la rue, lors d’affrontements violents avec l’extrême gauche, et dans les urnes. Pour ce dernier, il comprend qu’il faut ce que l’on nommerait aujourd’hui une dédiabolisation. Résultat le projet de création d’un FN à côté d’ON, projet porté par le nationaliste-révolutionnaire François Duprat, est adopté au congrès de 1972. Ce fut difficile : au début il n’y a que le groupuscule de l’ancien responsable de la propagande du PPF de Jacques Doriot qui accepte. De même les premières personnes contactées pour devenir le président du FN et servir ainsi de vitrine refusent l’offre (ainsi de Dominique Venner, qui s’est suicidé l’an passé dans Notre-Dame). Finalement ce fut Jean-Marie Le Pen. Non sans douleur : Le Pen et Ordre Nouveau commencent chacun à monter des sections dans leur coin. L’un des rares points d’accord est justement la ligne : il s’agit de faire la campagne la plus à droite depuis la vague Poujade, mais sans reprendre le positionnement ouvertement néofasciste d’Ordre Nouveau.
Peut-on parler sans ambages de l’OAS ou de Ordre nouveau ou autre comme de mouvements d’extrême droite? Sur quels critères se base-t-on ?
L’OAS c’est délicat, car on est dans une situation spécifique, où des individus peuvent faire un choix dicté par les contingences. Il est vrai que, comme le FN, c’est un compromis nationaliste : on y trouve toutes les tendances des extrêmes droites.
Ordre Nouveau se définit comme « nationaliste-révolutionnaire » et ne fait pas de mystère que cela signifie néofasciste dans le cadre de l’après-guerre. Le mouvement se veut très subversif mais dans ses sections on lit quand même plutôt Maurras, il y a une petite difficulté à accorder le ressenti révolutionnaire avec des idées qui le soient autant. D’où l’importance de la violence physique, qui donne chair à ce révolutionnarisme mais finit par mener à la dissolution. Se retrouvent à ON tous les items qui font l’extrême droite : représentation de la nation comme un organisme, utopie de régénération, dégagement des « élites véritables » en lieu et place de la « démoploutocratie », etc.
Au sujet des résistants, le FN cite parfois Michel de Camaret, compagnon de la Libération. Mais y avait-il des résistants impliqués lors des années fondatrices du FN ?
Au FN, on aime rappeler que Georges Bidault fut un des fondateurs du parti. Bidault amenait certes peu de forces militantes avec son groupuscule, mais, en tant qu’ancien président du Conseil National de la Résistance durant l’Occupation, puis de la structure du même nom produite par l’OAS, il représentait une caution et une imagerie de première importance. Las, Bidault s’en va au bout d’une semaine. Il demande toutefois à l’un de ses proches, l’ancien Waffen SS Pierre Bousquet de demeurer.
La mention d’un héritage de la Résistance peut-elle être légitime ?
A l’époque la question est entendue par Victor Barthélémy, ancien bras droit de Jacques Doriot qui a rejoint le FN et en est un temps le secrétaire-général : au FN on prend les patriotes quel que fut leur engagement durant la Seconde guerre mondiale. Il faut comprendre que le parti à l’époque est d’abord mû par l’anti-communisme, la question de la participation au Front de l’Est par exemple ne peut pas être vu comme aujourd’hui alors qu’il y a l’URSS et un PCF important.
Quelle était la composition du premier bureau politique du FN ?
Au début, le FN dispose de trois co-présidents : Le Pen, François Brigneau (ancien de la Milice qui représente Ordre Nouveau) et Guy Ribeaud, un proche de Bidault. Les trois tendances ainsi définies (Bidault, Le Pen, Ordre Nouveau) doivent également se partager au tiers le futur bureau national, où Alain Robert (ON) doit occuper le secrétariat-général et qui, dans la tradition du fascisme français, verrait chaque poste de cette direction collégiale correspondre à un secteur d’activité. Bon, Bidault parti il faut réorganiser tout cela.
Comme personne ne se fait confiance et qu’à deux tendances c’est plus compliqué qu’à trois, les postes sont doublés : un lepéniste / un ON, et il n’y a qu’un président : Jean-Marie Le Pen. On retrouve François Brigneau (ON), vice-président ; Alain Robert (ON), secrétaire général ; Roger Holeindre (lepéniste) secrétaire général adjoint ; Pierre Bousquet (qui représente le journal Militant), trésorier ; Pierre Durand (lepéniste) trésorier adjoint. Duprat est relégué au Comité Directeur mais il a en charge le même poste qu’à Occident et Ordre Nouveau : la propagande. C’est lui qui aura ce coup de génie, quand il sera numéro deux, de remplacer le discours anticommuniste par une péjoration sociale de l’immigration.
Comment ces personnes se définissaient-elles : vraie droite, extrême droite ou autre ?
Le parti se définit comme de « droite nationale, sociale et populaire ». C’est déjà beaucoup : personne ne se revendique de droite à cette époque. Et personne n’a jamais accepté le qualificatif d’extrême droite. Ils représentent l’extrême droite française dans ces variantes : le national-populisme pour les lepénistes, le néo-fascisme pour les jeunes d’ON, Bousquet a adopté cette variation du nazisme qu’on appelle le « nationalisme-européen » et qui n’abandonne pas grand chose sur la question juive mais renonce à l’inégalité raciale et à l’impérialisme entre peuples européens.
Dans l’échange ci-dessous qui de votre point de vue est le plus éloigné de la vérité, et pourquoi ?
Jean-Michel Apathie : “Votre parti a réuni dans les années 70 toutes les chapelles de l’extrême droite. Non ?
Marine Le Pen : « Non, non, pas du tout, il a réuni des résistants »
Jean-Michel Apathie : « Vos origines historiques c’est bien l’extrême droite vous en convenez »
Marine Le Pen : « Non, pas du tout.»
Si l’on prend les deux interlocuteurs au pied de la lettre peut-on malgré tout donner raison à Marine Le Pen ?
Le problème c’est que, dans les propos de Jean-Michel Apathie, on oppose Résistance et extrême droite. Or il y a aussi force personnes d’extrême droite dans la Résistance. Ensuite, lui et Marine Le Pen s’emmêlent dans ce dialogue de sourds pour une seule raison : ils réduisent l’extrême droite à sa tendance radicale, ils ont à l’esprit les fascistes, les collaborationnistes. C’est tout simplement que oui les origines du FN sont à l’extrême droite, non le FN ne relève pas pour autant du fascisme et de l’extrême droite radicale. Une bonne part de cette polémique provient de cette synecdoque : on confond l’extrême droite et l’extrême droite radicale.
Sur la question de la fondation et des débuts du Front National lire cet ouvrage et voir ce webdocumentaire.
http://tempspresents.com/2013/10/13/nicolas-lebourg-origines-du-front-national/
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