A la “Une” d’Urba-Rom, une tribune que nous devions publier dans le Monde mais qui a finalement été refusée par l’équipe de direction, non pas pour des raisons relatives aux idées exprimées par les auteurs que pour le fait d’avoir, pour illustrer le traitement de la “question rom” par les médias…, pris l’exemple de l’édition numérique du Monde (LeMonde.fr)! Nous laissons aux lecteur le soin de juger par eux-mêmes.
Quartier de la Plaine Saint-Denis, 1998 : autour du Stade de France récemment inauguré, des familles roumaines et bulgares vivent en squats et en bidonvilles. Mais les sièges sociaux des grands groupes comme SFR ont progressivement succédé aux habitats précaires. C’est donc désormais dans les rares friches urbaines ou aux confins du Grand Paris que sont relégués les Roumains, Bulgares et Polonais venus travailler à la Plaine, sur les grands chantiers ou dans le secteur informel (travail au noir, mendicité, récupération). À Paris comme ailleurs, la « reconquête urbaine » des anciennes marges contraint les moins fortunés, migrants ou non, à se loger à distance croissante des centres d’activité économique ou à se satisfaire d’un habitat précaire.
Ces Roumains et ces Bulgares vivant en bidonville et que l’on appelle désormais « Roms » seraient ainsi près de 16 000 sur l’ensemble du territoire français, soit une (infime) partie des 3,6 millions de mal-logés et des 133 000 sans domicile fixe officiellement recensés. De ces « Roms », il est pourtant très régulièrement question : du 1er janvier 2012 au 1er octobre 2013, le Monde.fr a publié 379 articles sous son onglet « société/immigration et diversité » et 30% (113) de ces articles ont été consacrés aux soi-disant « Roms ». Environ 16 000 personnes occupent donc 30% de l’attention du Monde.fr sur les questions d’immigration. Rappelons qu’il y a plus de 100 000 Roumains en France et 2,7 millions d’étrangers. Pourquoi privilégier ainsi le traitement ethnique de l’immigration roumaine et bulgare aux dépens du cadre habituel de la nationalité ? Comment, par ailleurs expliquer une telle disproportion entre le nombre effectif des migrants pauvres et leur traitement médiatique ?
Cette disproportion vient sans doute, en partie, d’une hyper visibilité de la grande pauvreté au cœur des métropoles. Un bidonville, une femme mendiant sur les Champs Elysées ou à la Défense influencent davantage la communication politique que toutes les statistiques sur la précarité dans les quartiers périphériques. En outre, cette visibilité de la « pauvreté étrangère » se trouve renforcée par les évacuations régulières des lieux de vie : la mise en circulation forcée de petits groupes forge, à l’échelle locale et dans les médias, l’impression d’une invasion permanente. Le caractère cyclique de l’actualité « rom » produit ainsi les clivages nécessaires au spectacle politique et les médias se nourrissent de ces emballements avec l’assurance d’obtenir un débat animé.
Manuel Valls prétend ainsi évacuer les bidonvilles et reconduire les personnes hors du territoire national ; il affirme par ailleurs vouloir évaluer la capacité des personnes à s’intégrer à l’aune des modes de vie. Dans les faits, nombre de mairies refusent de scolariser les enfants et les actions locales en faveur de l’hébergement et de l’insertion ne concernent qu’une petite minorité des habitants des bidonvilles, et ce même si l’État a fait du relogement des personnes une priorité avec la circulaire du 24 août 2012. Ainsi, la démission de l’État est flagrante, en tout cas en ce qui concerne la protection des personnes : le silence de la ministre des Affaires sociales est assourdissant et il est bien difficile d’identifier la politique qu’entend mener la ministre de l’Égalité, des Territoires et du Logement dans les « campements roms »….. Où en est on par ailleurs la coordination des initiatives locales d’insertion? Quel est le bilan du Délégué Interministériel à l’Hébergement et à l’Accès au Logement, chargé par Matignon du dossier « Rom » ? La séquence lamentable à laquelle nous venons d’assister pose ainsi de vraies questions non seulement sur la récurrence prévisible d’une « question rom » désormais au cœur de la stratégie de légitimation politique à gauche comme à droite, mais aussi sur les modalités effectives du travail interministériel et sur l’articulation des différents niveaux de pouvoir.
De notre point de vue, un autre enjeu de la « question Rom » concerne le nivellement européen de la valeur travail. Près de quatre millions de Roumains sont aujourd’hui expatriés : le salaire médian en Roumanie stagne autour de 350 euros par mois, et aucun mécanisme de rattrapage n’a été prévu lors de l’entrée du pays dans l’UE en 2007. À cela s’ajoutent des régimes différenciés de mobilité selon les statuts socio-économiques des citoyens communautaires. Il existe par conséquent une Europe à plusieurs vitesses, laquelle décide manifestement de dissimuler la question de la précarité qu’elle engendre derrière une fausse polémique sur la place d’une « minorité » fantasmée dans l’UE. Il est vrai qu’un débat sur les inégalités sociales ou sur le rééquilibrage des salaires et la construction d’une Europe des droits sociaux serait plus complexe à mener et nécessiterait davantage de volonté politique ou tout simplement de courage de la part des institutions européennes et des États-Membres que de discourir sur les « Roms » !
Grégoire Cousin, Ludovic Lepeltier-kutasi, Olivier Legros, Martin Olivera, Tommaso Vitale, membres de Urba-Rom, Observatoire européen des politiques publiques en direction des Roms/tsiganes, ainsi que Ilsen About historien, Thomas Aguilera politologue, Bruno Cousin sociologue
Aucun commentaire jusqu'à présent.