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Personne n’ignorait, à l’issue du cortège parisien du 17 mars et de la répression brutale des manifestants qui tentaient de se réunir en assemblée à Tolbiac, les moyens policiers et judiciaires qui seraient engagés pour casser le mouvement contre la « loi travail » : coups de matraques et de flashballs, gazages, arrestations, et toute une litanie de procès pour violence, outrage et rébellion. En plus de 2 mois de mouvement social, ce sont ainsi des milliers d’étudiants, de lycéens, de grévistes ou de simples manifestants qui ont expérimenté l’une ou l’autre de ces formes de traitement arbitraire.

Cependant, ces dernières semaines ont vu la répression s’intensifier et s’enrichir de tactiques inédites. Parmi elles, l’ouverture d’instructions criminelles pour « tentatives d’homicide volontaire  sur personne dépositaire de l’autorité publique ». C’est le motif pour lequel un lycéen nantais est  maintenu en détention provisoire, depuis la mi-mai, suite à une manifestation où un policier avait été pris à parti et tabassé.
Cette très grave accusation est désormais utilisée à l’encontre de 5 personnes soupçonnées d’avoir participé à une manifestation interdite contre les violences policières, pendant laquelle une voiture de police avait été incendiée sur le quai de Valmy.

Alors que les poursuites contre les policiers impliqués dans la mise à mort ou la mutilation de citoyens sont très rares, ou presque systématiquement abandonnées, le saccage d’un véhicule de police – dont les occupants échappés n’auront souffert, finalement, que de « légères contusions » – enclenche ici une procédure prétendant se finir aux assises. Gageons qu’aucun magistrat n’ouvrira d’enquête pour tentative d’homicide dans le cas du jeune homme atteint à la tempe par une grenade de désencerclement le 26 mai. Et toujours plongé dans le coma.

Si la qualification de « tentative de meurtre » pour l’incendie de la voiture paraît extravagante, le principal tort des inculpés semble d’avoir été ciblés et surveillés par les services de renseignement, qui fonctionnent alors à la manière d’une police politique. Dans cette affaire, l’identification des mis en examen a reposé sur un témoignage anonyme s’avérant être celui d’un policier de la direction des renseignements de la préfecture de police, dont le nom et la fonction apparaissent dans le dossier.

Comme dans d’autres cas où le parquet s’appuie sur des « notes blanches » transmises par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), il s’agit d’attester l’appartenance des personnes interpellées à des groupes politiques jugés dangereux – en raison, par exemple, de leur implication supposée dans la contestation de rue.

Après tout, puisque ces procédures ne sont commandées que par un souci de réprimer le mouvement contre la loi Travail dans son ensemble, et non par l’examen rigoureux des faits, il n’est pas surprenant que les preuves manquent. Les affirmations d’agents des renseignements devenus « témoins anonymes » suffisent alors à construire un dossier, afin de désigner des coupables idéaux à jeter en pâture à l’opinion.

La vacuité des dossiers contre les quatre personnes interpellés a conduit la justice, la semaine dernière, à remettre en liberté trois d’entre eux, dont un étudiant de Paris 8. La décision du parquet de faire appel de ces libérations, ainsi que la récente arrestation d’une 5e personne accusée d’avoir participé à l’assaut contre la voiture (mise en examen à son tour pour tentative de meurtre), s’accordent avec  la détermination du gouvernement à criminaliser coûte que coûte le mouvement social, et à donner satisfaction aux revendications les plus régressives des syndicats policiers. Après le passage en force au 49-3, et à la veille de l’Euro 2016, le gouvernement cherche à enterrer une bonne fois pour toutes l’opposition à laquelle il est confronté depuis le mois de mars, notamment dans la rue. Le renseignement policier est convié à participer à cet effort, comme il avait été sollicité pour museler l’opposition écologiste au moment de la COP21, ou plus récemment pour interdire de manifester certains militants rennais et parisiens.

Conscients du danger que la banalisation de ces pratiques policières fait peser sur la vie publique du pays, et refusant que l’existence de tant de jeunes gens puisse en être irrémédiablement affectée, nous appelons à déceler, traquer et rendre public les agissements et les abus de cette sorte de police politique. Nous demandons l’abandon des charges de « tentatives d’homicide volontaire » contre tous les inculpés de Nantes et de Paris, et incitons à soutenir les personnes ciblées par la répression du mouvement contre la loi Travail.

Premiers signataires :
Etienne Balibar, philosophe; Ludivine Bantigny, historienne, université de Rouen; Antonia Birnbaum, professeure de philosophie, Université Paris 8;  Florence Bouillon, département de sociologie, Paris 8; Anne Clerval, géographe, Université de Marne-la-Vallée; Vanessa Codaccioni, professeure de sciences politiques, Université Paris 8; Marie Cuillerai, professeure, université Paris 7; Sonia Dayan-Herzbrun, professeure émérite à l’université Paris Diderot; Stéphane Douailler, professeur de philosophie, Université Paris 8; Jules Falquet, sociologue, Paris 7; Fabrice Flipo, Institut Mines-Telecom; Laurent Jeanpierre, professeur de science politique, Université Paris 8; Mathilde Larrère, historienne, Paris Est Marne la Vallée; Eric Lecerf, professeur de philosophie, Université Paris 8; Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire; Frédéric Lordon, philosophe; Patrice Maniglier, Université Paris-Ouest Nanterre; Frédéric Rambeau, Université Paris 8; Jacques Rancière, philosophe; Matthieu Renault, professeur de philosophie, Université Paris 8; Juliette Rennes, enseignante-chercheuse, EHESS; Guillaume Sibertin-Blanc, universitaire, Toulouse; Etienne Tassin, Université Paris 7; Eleni Varikas, professeur émérite, Université Paris 8; Patrice Vermeren, directeur du département de philosophie de l’Université Paris 8; Sophie Wahnich, historienne.