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Strasbourg Roms et intégration. « Avec mes collègues, on forme une bonne équipe »

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Bianca S., Rom de Roumanie, est en France depuis cinq ans et demi. La jeune femme, aujourd’hui salariée chez Emmaüs à Mundolsheim, a connu, avant cette embauche, toutes les galères des campements sauvages et de la rue. Témoignage.

« On est venus en France, il y a cinq ans et demi, avec mon mari et ma fille aînée, qui a 7 ans aujourd’hui », raconte Bianca dans un français simple mais volubile. Il y a trois ans, la famille s’est agrandie avec la naissance d’un petit garçon. « Dans la région de Timisoara, d’où je viens, tout le monde disait que la France offrait une vie meilleure. C’est pour cela que nous sommes venus. Ça a été très dur. »
« C’était un miracle de recevoir cette lettre »

Sans jamais détailler ni s’attarder sur ses conditions de vie avec des enfants en bas âge et sans aucune ressource, Bianca explique : « On a d’abord été sur un terrain sauvage à Koenigshoffen : puis la mairie nous a proposé de nous installer à l’Espace 16 » (*). «J’ai participé, avec un groupe de femmes, à un atelier couture pour présenter un patchwork géant au Conseil de l’Europe », poursuit la jeune femme de 25 ans. « J’ai suivi des cours de français avec une association. »

Arrive ensuite, avec l’implication du collectif Latcho Rom, une proposition de travail par Emmaüs. « Il y a eu un an de démarches avec la préfecture : j’avais fini par perdre espoir, alors c’était un miracle de recevoir cette lettre d’autorisation, de pouvoir sortir de nos problèmes… ».

« Travailler, ça n’a pas été compliqué, ni dur. Je me suis habituée rapidement. J’adore mon travail et, avec mes collègues, on forme une bonne équipe. » Son directeur à Emmaüs, Thierry Kuhn,

ajoute : « Bianca est non seulement une formidable vendeuse, mais elle est aussi un vrai moteur pour les autres. »

Dans son parcours d’insertion, la jeune femme a été également hôtesse de caisse dans un supermarché, hors de la structure d’Emmaüs, donc. « Ils sont très contents de moi », annonce-t-elle, tout sourire en forme de rapport de stage. « Grâce à mon contrat, je ne suis plus à la rue [sous-entendu à faire la manche, ndlr]. On a une meilleure situation. Nos enfants sont scolarisés et on s’en occupe bien. Ma fille me ramène de très bonnes notes. Je suis fière d’elle. » Avec son premier salaire, Bianca est « entrée pour la première fois dans un grand magasin pour faire les courses en famille ». « On a pris tous les produits qu’il nous fallait et des vêtements pour les enfants. » Dans l’intonation, juste le bonheur de… la normalité.
« Des gens m’ont aidée quand j’étais par terre »

Lorsqu’on demande à la jeune femme si elle a gagné en estime d’elle-même, elle se dit plutôt « contente » que fière. « Je veux dire surtout un grand merci aux gens qui m’ont entourée, qui m’aidaient quand j’étais par terre. Il y a une dame âgée, en particulier, ce n’est pas ma mère, mais aujourd’hui, je l’appelle maman. Lorsque je suis en congé, je retourne la voir, je discute avec elle. J’ai gardé le contact avec ces gens que j’aime. »

Au fait, que pense Bianca des préjugés, y compris au sein du gouvernement, sur l’impossibilité d’intégration des Roms, en particulier dans le monde du travail ? « Je ne suis pas d’accord, quand on dit que nous ne voulons pas travailler. Etre au chômage, c’est de la souffrance, la même pour les personnes Rom et les autres. Non ? »

(*) Espace d’insertion, rue du Rempart, avec des caravanes, des douches et sanitaires, des machines à laver. Et surtout un suivi social, des cours de français, un accent porté sur la scolarisation des enfants. Le projet, financé par la Ville de Strasbourg, a vu le jour à l’automne 2011.
par Marie-Sophie Kormann, publiée le 03/11/2013 à 05:00

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Une année complète pour signer un contrat

Thierry Kuhn, directeur d’Emmaüs à Mundolsheim, revient sur le combat de tout un collectif pour obtenir le seul contrat de Bianca.

« Notre première préoccupation, dans la structure, est que les gens ne peuvent s’en sortir qu’à partir du moment où ils sont dans un dispositif d’accès à l’emploi », démarre le patron d’Emmaüs Mundo. « Mais à l’époque où nous avions fait passer un entretien à Bianca, les Roumains et les Bulgares n’avaient pas droit à un contrat d’insertion en France. » « Bianca étant motivée, j’ai poussé la logique jusqu’au bout et j’ai fait une promesse d’embauche pour la jeune femme, ce qui devait débloquer, en théorie, la situation. »

La promesse d’embauche envoyée en préfecture avec une demande d’autorisation est repartie à la DIRECCTE (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi). « Cette dernière nous a opposé un refus administratif », se souvient Thierry Kuhn. « Le contrat ne pouvait être signé sans titre de séjour, le titre de séjour ne pouvait être obtenu sans travail »… Bref on nageait en pleine bureaucratie kafkaïenne.

« On est passé alors, avec le collectif Latcho Rom, au lobbying politique et juridique », poursuit le directeur d’Emmaüs. « Nous avons multiplié les coups de fil à la préfecture, les courriers de soutien, les argumentaires. »
Une procédure de simplification mise en place

Heureusement, le 26 août 2012, puis le 30 janvier suivant, deux circulaires officielles encouragent finalement les contrats d’insertion pour les populations roumaines et bulgares, et les considèrent même, pour le coup, comme des outils adaptés.

« Il a fallu ensuite coordonner la DIRECCTE, la préfecture et Pôle Emploi, pour poser enfin, en avril dernier, le contrat à la signature face à notre recrue »… « Notre mission est de rappeler, prouver, montrer que chacun a sa place : à Emmaüs, on a considéré que nous avions l’obligation morale d’aboutir à ce contrat. »

Thierry Kuhn est doublement ravi de cette embauche : « Ça se passe très bien, cette jeune femme est rayonnante, elle apporte cette énergie à toute l’équipe ici. » Et permet à la structure d’insertion d’insister sur sa conviction : « Potentiellement, cette réussite peut marcher avec chacune des personnes dans ce type de situation. »

Aujourd’hui, grâce aux assouplissements administratifs et à la mission Roms de la Ville de Strasbourg, une procédure de simplification administrative a été mise en place, et on peut obtenir ce type de contrat en 15 jours. Quatre nouveaux contrats ont d’ailleurs été signés dernièrement à Mundolsheim pour des Roms : ils effectueront du tri ou conduiront les camions de l’entreprise. « Pour la quarantaine d’autres salariés, qui viennent d’horizons très différents, ces personnes sont comme elles : des hommes et des femmes en recherche d’emploi, qui ont passé un entretien concluant pour leur contrat et s’intègrent à l’équipe sans subir ni apporter de préjugés », souligne Thierry Kuhn.

« En plein Mois de l’économie sociale et solidaire, cet exemple montre que nos structures sont en capacité de monter des activités utiles à tous, créatrices d’emploi et… de richesse », s’enthousiasme encore le patron militant. « Aujourd’hui, Bianca contribue à la fois à la sauvegarde de l’environnement et au PIB de la France. »
par MSK, publiée le 03/11/2013 à 05:00