[ألبير ممّي : تناقض بين فكر مناهض للاستعمار والتزام بالصّهيونية]
Albert Memmi : la contradiction entre une pensée anti-coloniale et un engagement sioniste
Albert Memmi, figure importante du mouvement anti-colonial, est décédé à Paris, le 22 mai dernier à l’âge de 99 ans. Il était né en 1920 à Tunis qu’il quitta définitivement après l’indépendance de la Tunisie en 1956 pour s’installer à Paris. De nombreux hommages lui ont été rendus depuis son décès. Mais quasiment tous ont omis d’analyser et souvent même de mentionner une facette importante de sa personnalité, à savoir son engagement sioniste. Comment l’auteur du « Portrait du colonisé, précédé d’un Portrait du colonisateur » a-t-il été incapable de voir la nature coloniale et raciste du sionisme ? Son engagement sioniste l’a amené à rejeter sa nationalité tunisienne. Dans « Tunisie An I » (Editions CNRS, Paris, pages 133-134), Albert Memmi écrivait « Ainsi la Tunisie entre définitivement dans le concert des nations arabes: il n’y a plus de place pour nous. Car il nous est impossible désormais d’accepter faire partie d’une nation ennemie d’Israël. » Il rapportait dans cet ouvrage une conversation sur les juifs de Tunisie avec Vladimir Pozner, journaliste soviétique qui lui disait: « Je ne comprends pas, à vrai dire, comment on peut être né dans un pays, en parler la langue, en avoir la nationalité, sans en faire partie. » Memmi lui répondait : « Le problème est bien posé ainsi. Je l’ai aussi accepté parce que, d’une certaine manière, c’est juste. »
Dans une interview parue dans Jeune Afrique en 2004, à la question « Qu’est-ce qui, d’après vous, enlise le conflit israélo-palestinien ? », Albert Memmi répondait « Un manque de volonté. Dans Juifs et Arabes, je soulignais que s’il n’y a pas eu, dans l’Histoire, un royaume ou un État palestinien, maintenant celui-ci existe et impose sa présence. La conscience palestinienne est là, alors faisons avec ! L’existence d’un État palestinien est la seule solution. Que les Arabes acceptent pour leur part l’existence d’un État d’Israël comme tel. Et fassent de la place aux minorités arménienne, juive, copte ou kabyle qui vivent parmi eux. Il faut dire aussi que le conflit n’a pas l’importance qu’on lui donne dans le monde arabe. Il sert simplement de fuite en avant pour les Arabes. Ce que je vais dire peut paraître scandaleux. Sauf que c’est la vérité. Quatre mille morts, Palestiniens et Israéliens compris, c’est dérisoire par comparaison avec ce qui s’est passé au Rwanda, au Biafra ou encore aux 150 000 Algériens tués au cours des dernières années. Les Arabes ne font qu’envoyer les Palestiniens au charbon. »
Albert Memmi a été fait docteur honoris causa de l’Université Ben Gourion du Néguev en 1999. Un colloque international a été organisé en son honneur à l’Institut Van Leer de Jérusalem, du 2 au 4 novembre 1998, dont les actes ont été préfacés par Shimon Pérès. Claude Sitbon, un des organisateurs de ce colloque, a publié en mars dernier un portrait d’Albert Memmi dans lequel il rappelle qu’il a adhéré au mouvement de jeunesse sioniste Hachomer Hatsair. Il rapporte un entretien entre Memmi et le chef du Département de Français de l’Université Hébraïque de Jérusalem, qui était venu en France pour recruter des professeurs de langue et de littérature françaises. Memmi raconta à Sitbon que le projet l’intéressait vraiment: « Monsieur Duff me demanda si j’étais sioniste, je dis que oui; la conversation glissa sur le côté social et brusquement il se révéla anti-Hachomer Hatsair et anti-démocratique. Je m’énerve, je lui réponds, il s’énerve aussi et voilà mon engagement par terre… J’ai raté une des meilleures occasions de ma carrière et même de ma vie. »
Daniel Gordon a, lui aussi, publié un portrait en 2018, intitulé « Albert Memmi: From Anti-Colonialism to Laïcité (by way of Zionism) » (Albert Memmi: de l’anti-colonialisme à la laïcité (par le biais du sionisme)).
TACBI a sollicité deux textes sur la contradiction entre la pensée anti-coloniale d’Albert Memmi et son engagement sioniste. Le premier article intitulé « Albert Memmi : les contradictions de la condition coloniale » (Albert Memmi: Contradictions of the colonial condition), est écrit par David Lloyd, Professeur d’anglais à l’Université de Californie à Riverside, qui travaille sur la culture irlandaise et sur la théorie postcoloniale et culturelle, et membre fondateur de la Campagne américaine pour le boycott académique et culturel d’Israël (USACBI). La version originale de cet article paraîtra en anglais dans Mondoweiss. La traduction française est déjà disponible sur notre site web (voir ci-dessous) et la traduction arabe le sera bientôt. Le second article est en cours de rédaction par Gil Hochberg, Professeure de littérature hébraïque et comparée et d’études du Moyen-Orient au Centre d’études palestiniennes de l’Université Columbia à New York, qui a déjà écrit sur Memmi dans son livre « In Spite of Partition: Jews, Arabs, and the Limits of Separatist Imagination » (Malgré la partition: Juifs, Arabes et les limites de l’imagination séparatiste). Ce texte sera bientôt disponible sur notre site web ainsi que ses traductions arabe et française.
La Campagne tunisienne pour le boycott académique et culturel d’Israël (TACBI)
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Albert Memmi : les contradictions de la condition coloniale
par David Lloyd
Memmi lui-même n’était pas plus immunisé qu’aucun d’entre nous à être habité par une contradiction. Un juif arabe qui nie la possibilité d’une telle identité, blamant une hostilité musulmane pour un effacement qui a aussi été un élément crucial de la politique sioniste ; un théoricien anti-colonial brillant qui a défendu jusqu’au bout la colonie israélienne ; « un sioniste de gauche » qui a reconnu que l’occupation d’Israël était politiquement et moralement mauvaise, alors même que ses propres écrits impliquent que sa logique était inévitable ; un sujet colonial français qui a déclaré que « sa vraie patrie n’était pas le pays lui-même, mais la langue française », décrivant son oeuvre « comme une tentative de … réconciliation entre les différentes parties de moi-même ». A la fin, il a habité ce qu’il identifiait si bien comme une « situation historique impossible » et si cela a culminé dans son propre virage vers la droite, comme un colonisateur qui s’est accepté, nous pouvons trouver la logique de cette trajectoire dans sa propre analyse inégalée des relations coloniales. Qu’il doive lui-même tomber victime des contradictions de la condition coloniale qu’il saisissait si clairement n’enlève rien de la pertinence constante de son œuvre pour l’actualité de l’état auquel il a fini par prêter allégeance.
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