http://weekly.ahram.org.eg/2010/1001/intrvw.htm
Noam Chomsky parlant de la vérité et du pouvoir
Une des voix intellectuelles majeures du monde et un critique important d’Israël, Noam Chomsky s’est placé du côté des sans pouvoir dans toute sa carrière, tandis qu’au même moment il rappelait aux puissants des vérités gênantes qu’ils auraient préférer oublier. Il a parlé avec David Tresilian à Paris.
Israël devient extrêmement paranoïaque, dominé par des sentiments ultra-nationalistes, et agit assez irrationnellement, de son propre point de vue. Ils font du tort à leurs propres intérêts. Leur refus de me laisser entrer n’en est qu’un exemple mineur. S’ils m’avaient simplement laissé entrer pour faire mon exposé à Bir Zeit, cela aurait été la fin de l’histoire. En fait, je n’allais même pas parler du Moyen-Orient. J’allais parler des Etats-Unis, et ils le savaient évidemment.
Connu autant pour son travail professionnel en linguistique et en philosophie que pour ses écrits sur la politique et les questions sociales, le Professeur Noam Chomsky était à Paris le week-end dernier à l’invitation du Monde diplomatique et du Collège de France. Divisé entre un séminaire académique organisé par Jacques Bouveresse, qui occupe la chair de philosophie du langage et de la connaissance au Collège de France et une série d’interviews sur les questions politiques pour terminer un meeting public organisé par Le Monde diplomatique, le programme de Chomsky est le témoignage à la fois de son travail et du respect qu’on a pour lui en France.
Né en 1928 et à présent dans les 80 ans, ce programme aurait épuisé un homme deux fois moins âgé. Néanmoins, il semble que Chomsky l’ai accepté sans sourciller et il a répondu au questions de l’auditoire jusque tard dans la soirée aux deux événements, parlant sans s’arrêter parlant pendant des heures dans des exposés de grande envergure sur la politique étrangère américaine, sur le monde politique contemporain et sur la situation dans des régions du monde qu’il a étudié particulièrement, comme l’Amérique latine, le Moyen-Orient et le Sud-est asiatique.
Les inscriptions, et au séminaire du Collège de France centré sur les questions de vérité et de rationalité publique dans une tradition associée au philosophe anglais Bertrand Russell et à l’écrivain George Orwell et diffusé simultanément sur Internet, et au le meeting public qui a suivi étaient largement au-delà des possibilité et son apparition aux deux a été accueillie avec enthousiasme et affection par ceux qui dans certains cas étaient venus de partout en Europe pour être présent.
(…) (citation de ses œuvres).
Chomsky a parlé avec autorité des questions contemporaines, indiquant que son intelligence extraordinaire et son engagement pour le changement social n’ont pas été mis en veilleuse.
(…)
Malgré ce programme chargé, Noam Chomsky a trouvé le temps de parler avec Al-Ahram Weekly sur son opinion sur la situation actuelle au Moyen-orient et sur la politique américaine vis-à-vis d’Israël, de la Palestine et de la région globalement. Le Weekly se sent honoré d’être capable de présenter cette interview dans la version allégée éditée ci-dessous.
Puis-je vous demander une déclaration sur l’attaque par Israël de la Flottille liberté cette semaine alors qu’elle se trouvait dans les eaux internationales, en route pour Gaza ?
Détourner des bateaux dans les eaux internationales et tuer des passagers est évidemment un crime grave. Les éditeurs du Guardian de Londres ont tout à fait raison de dire que si « un groupe de pirates somaliens armés avait assailli six vaisseaux en haute mer, tuant au moins 10 passagers et en blessant beaucoup plus, un corps expéditionnaire de l’OTAN se dirigerait aujourd’hui vers la côte somalienne. »
Il est bon de garder à l’esprit que le crime n’est rien de nouveau. Pendant des décennies, Israël a détourné des bateaux dans les eaux internationales entre Chypres et le Liban, tuant ou kidnappant des passagers, les emmenant parfois dans les prisons israéliennes y compris des prisons secrètes/chambres de torture, les gardant parfois comme otages pendant de nombreuses années. Israël suppose qu’il peut pratiquer de tels crimes en toute impunité car les US les tolèrent et que généralement l’Europe suit l’exemple américain.
Il en va de même du prétexte d’Israël pour son dernier crime : que la Flottille liberté apportait des matériaux qui pouvaient être utilisés pour des bunkers pour missiles. Mettant de côté l’absurdité, si Israël était intéressé à stopper les missiles du Hamas, il savait exactement ce qu’il convenait de faire : accepter l’offre de cessez-le-feu du Hamas. En juin 2008, Israël et le Hamas avaient conclu un accord de cessez-le-feu. Le gouvernement israélien a officiellement reconnu que avant que Israël ne rompe l’accord le 4 novembre en envahissant Gaza et en tuant une demie douzaine de militants du Hamas, le Hamas n’avait lancé aucun missile.
Le Hamas a proposé de renouveler un cessez-le-feu. Le cabinet israélien a étudié la proposition et l’a rejetée, préférant lancer son opération meurtrière et destructive « Plomb durci » le 27 décembre. Il est évident qu’il n’existe pas de justification d’un usage de la force par « autodéfense » à moins que les moyens pacifiques aient été épuisés. Dans ce cas-ci, on n’a même pas essayé, bien que – ou peut-être parce que – il existait toutes les raisons de croire qu’ils allaient réussir. C’est pourquoi l’Opération « Plomb durci » est une agression criminelle pure et simple, sans prétexte crédible, et la même chose est vraie pour le recours actuel à la force d’Israël.
Le siège de Gaza lui-même n’a pas le moindre prétexte crédible. Il a été imposé par les US et Israël en janvier 2006 pour punir les Palestiniens d’avoir « mal » voté dans une élection libre, et il a été fortement intensifié en juillet 2007 quand le Hamas a bloqué une tentative US-israélienne de renverser le gouvernement élu par un coup militaire, en installant l’homme fort du Fatah, Muhammad Dahlan. Le siège est sauvage et cruel, conçu pour maintenir en cage des animaux à peine vivants de manière à éluder la protestation internationale, mais guère plus que cela. C’est la dernière scène de plans israéliens de longue date, soutenus par les US de séparer Gaza de la Cisjordanie.
Ce sont simplement les esquisses essentielles d’une politique très horrible.
On vous a aussi refusé récemment l’entrée en Israël. Comment voyez-vous la situation dans les territoires occupés et à Gaza ?
D’abord, pour faire une petite correction, on m’a refusé l’entrée dans les territoires occupés mais pas en Israël. En fait, si j’avais été en Israël, ils m’auraient admis, et alors j’aurais pu aller dans les territoires occupés. La raison qu’ils ont invoquée est que j’allais uniquement à Bir Zeit et pas dans une université israélienne.
Israël devient extrêmement paranoïaque, est dominé par des sentiments ultra-nationalistes, et agit assez irrationnellement, de son propre point de vue. . Ils font du tort à leurs propres intérêts. Leur refus de me laisser entrer n’en est qu’un exemple mineur. S’ils m’avaient simplement laissé entrer pour faire mon exposé à Bir Zeit, cela aurait été la fin de l’histoire. En fait, je n’allais même pas parler du Moyen-Orient. J’allais parler des Etats-Unis, et ils le savaient évidemment.
Dans le cas de Gaza, c’est simplement de la torture sauvage. Ils maintiennent la population à peine en vie parce qu’ils ne veulent pas être accusés de génocide, mais c’est ce que c’est. C’est limité à la survie. Ce n’est pas la pire atrocité dans le monde, mais c’est une des plus sauvages. L’Egypte coopère pleinement en construisant un mur et en refusant l’entrée de béton et de choses comme cela, c’est donc une opération Israélo-égyptienne qui torture littéralement la population de Gaza d’une manière dont je ne vois pas de précédent, et cela empire.
En Cisjordanie, avant tout, ce n’est pas Israël, ce sont les US et Israël. Les Etats-Unis fixent les limites de ce qu’ils peuvent faire et coopèrent avec eux. C’est une opération commune, comme l’a été l’attaque de Gaza. Mais ils continuent à imposer leur mainmise, et ils prennent ce qu’ils veulent. La terre à l’intérieur du mur de séparation, qui est en fait un mur d’annexion, ils la prendront. Ils prendront la vallée du Jourdain et ils prendront ce qu’on appelle Jérusalem, qui est beaucoup plus étendu que Jérusalem l’a jamais été, car c’est une zone énorme qui s’étend à l’intérieur de la Cisjordanie.
Et puis, ils ont ces corridors qui vont vers l’est, ainsi il y a un corridor allant de Jérusalem par Maal Adumim vers Jéricho. Si cela se réalise pleinement, cela divise la Cisjordanie en deux. Intéressant (à constater), les Etats-Unis ont jusqu’ici bloqué leurs efforts de développer pleinement le corridor.
Il y a à peu près dix ans, il y a eu un avis des industriels israéliens au gouvernement disant qu’en Cisjordanie ils devraient remplacer l’expression « colonialisme » par « néo-colonialisme ». C’est-à-dire qu’il devrait construire des structures néo-colonialistes en Cisjordanie. Maintenant, on sait ce qu’elles sont. Prenez le cas de n’importe quelle ancienne colonie. En règle générale, elles ont un secteur de richesse et de privilèges extrêmes qui collabore avec l’ancien pouvoir colonial, et ensuite une masse de misère et d’horreur l’entourant. Et c’est ce qu’ils suggèrent, et c’est ce qui est en train de se faire. Ainsi, si vous allez à Ramallah – je voulais le constater par moi-même mais je n’y suis pas arrivé – c’est une sorte de Paris, on y connaît une bonne vie, il y a d’élégants restaurants, etc. mais, bien sûr si on va à la campagne, c’est très différent et il y a des checkpoints et la vie est impossible. Eh bien, c’est cela le néo-colonialisme. Il y a uniquement un développement totalement dépendant, et ils n’autoriseront pas un développement indépendant, et ils sont en train d’essayer d’imposer un arrangement permanent dans ce sens.
Salam Fayyad, que j’avais espéré rencontrer à Ramallah – nous communiquons par téléphone – a décrit ses programmes qui me semblent raisonnables. Avant tout, appeler à un boycott des produits des colonies, ce qui me semble très sensé et je pense qu’il faudrait le faire dans le monde entier, tout en essayant d’arranger pour les Palestiniens des emplois autres que travailler dans les colonies de manière à ne pas contribuer à leur croissance, prendre part à la résistance non violente à l’expansion et effectuer toute construction qu’ils peuvent effectuer à l’intérieur du cadre israélien, même peut-être dans la Zone C, la région contrôlée par Israël, et d’avancer juste à petits pas pour essayer de poser les bases pour une future entité palestinienne indépendante.
Alors les choses deviennent très délicates car Israël pourrait bien accepter cela. En fait – je crois qu’il est le vice Premier ministre – Silvan Shalom, a été interviewé à ce sujet où on lui a demandé comment il y réagirait, et il a dit que c’était acceptable, s’ils veulent appeler les cantons qu’on leur laisse un état, alors c’est acceptable mais ce sera un état sans frontières…et c’est cela qui installe essentiellement une structure néo-coloniale.
Il existe un autre élément qui est la force militaire. Il y a une armée dirigée par le général américain Keith Dayton, qui est entraînée par la Jordanie avec la coopération israélienne et qui a provoqué beaucoup d’enthousiasme aux Etats-Unis. John Kerry qui est à la tête de la commission des Affaires étrangères du Sénat a prononcé un important discours sur Israël-Palestine – il est une sorte d’homme appointé par Obama pour le Moyen-Orient – lui, Silvan Shalom, a dit que pour la première fois Israël a un partenaire légitime de négociations. Pourquoi ? Parce que pendant l’attaque de Gaza, l’armée de Dayton a pu prévenir toute manifestation, et Kerry pensait que cela était très bien, et la presse pensait que cela était très bien, et maintenant ils sont des partenaires légitimes. Si vous lisez Dayton lui-même, il dit qu’ils ont été si efficaces pendant l’attaque de Gaza que Israël a pu déplacer des forces de Cisjordanie vers Gaza pour étendre l’attaque, et Kerry et Obama pensent que c’est une bonne chose, de sorte que c’est plus de structures néo-coloniales traditionnelles, avec des forces paramilitaires contrôlées par le pouvoir colonial qui maintiennent la population sous contrôle.
Ce sont des étapes très ambivalentes…A moins que les Etats-Unis ne modifient leur position et se joignent au monde pour un règlement politique, les choses se présentent de manière très sinistre, et je ne crois pas que la position égyptienne aide du tout.
Le changement se produira-t-il comme résultat du rôle joué par l’opinion publique mondiale, peut-être comme cela s’est produit pour l’Afrique du Sud ?
L’Afrique du Sud est un cas intéressant, et cela vaut la peine de regarder l’histoire de près. Vers 1960, l’Afrique du Sud a commencé à réaliser qu’il devenait un état paria, et le Ministre des Affaires étrangères sud-africain a convoqué l’ambassadeur américain – nous possédons maintenant l’enregistrement des conversations – et il a dit à l’ambassadeur américain, « Nous savons que nous devenons un état paria, et tout le monde vote contre nous aux Nations Unies, mais vous et moi comprenons qu’il n’y a qu’un seul vote aux Nations Unies – le vôtre, » voulant dire qu’aussi longtemps que vous nous soutenez, on se fiche de ce que dit le reste du monde. Et cela s’est avéré très juste.
Pendant les décennies suivantes, la protestation contre l’Afrique du Sud augmenta, et à la fin des années 1970, il y a eu des sanctions et des entreprises sont sorties du pays. Le Congrès US a passé des résolutions de sanctions, que Reagan a dû contourner pour continuer à soutenir l’Afrique du Sud, comme il l’a fait, continuant jusqu’à la fin des années 1980, à un moment où s’y déroulaient des atrocités majeures, comme les guerres en Angola et en Mozambique, tuant des centaines de milliers de gens, et cela a été fait dans le cadre d la guerre contre la terreur.
L’ANC était condamné par Washington comme un des groupes terroristes les plus notoires du monde, et ce n’est que l’an dernier que Mandela a été retiré de la liste terroriste US. L’Afrique du Sud semblait imprenable : le monde était contre lui, mais ils gagnaient tout et ils étaient en pleine forme. Ensuite, l’US modifia sa politique vers 1990. Mandela reçut l’autorisation de quitter sa prison et l’apartheid s’écroula en quelques années, donc le ministre sud-africain avait eu raison.
Je pense qu’Israël suit le même chemin. Peu importe que le monde soit contre nous tant que vous nous soutenez. Mais ils suivent une voie dangereuse, les US peuvent décider que leurs intérêts sont ailleurs. Pour revenir à votre question sur le rôle de l’opinion publique mondiale, l’opinion en Europe et dans le Moyen-Orient ont une influence substantielle sur les choses. Les US ne peuvent vivre seuls dans le monde. Il y a chez nous des personnalités politiques qui estiment que nous devrions justement nous mettre nous-mêmes en cage et ne pas se soucier de ce qui se passe dans le monde…que nous devrions simplement construire un mur autour du pays, sortir de l’ONU et ne pas faire attention à ce qu’ils disent. Il y a une pression dans ce sens dans la politique américaine, mais ni le leadership ni les entreprises multinationales ne peuvent l’accepter, ils se soucient donc du reste du monde.
L’Europe n’aide pas. Prenez l’admission de Israël à l’OCDE, c’est l’affirmation de la légitimité de l’occupation. L’Europe finance la survie des territoires occupés, mais ne fait aucun geste pour essayer d’amener les US à accepter l’opinion internationale, et elle le peut. Précisément maintenant, par exemple, il y a des discussions de proximité entre les Palestiniens et les Israéliens avec l’US qui est le courtier honnête au milieu. L’Europe peut présenter cela comme une farce : ce qu’on devrait avoir ce sont des discussions de proximité entre les US et le reste du monde, avec peut-être l’ONU comme courtier neutre, les US étant seuls à bloquer un consensus international très majoritaire, et jusqu’à ce que cela change, rien ne va arriver et c’est sur cela que compte Israël.
Lors de son discours en juin 2009 au Caire, le Président Obama a dit qu’il allait donner une nouvelle orientation à la politique américaine envers le Moyen-orient et le monde arabe. En voyez-vous certaines évidences ?
Il y a de légères différences. Mais avant tout, il y avait des différences entre les deux mandats de Bush. Le premier mandat de Bush a été très arrogant, caustique et agressif. Les Etats-Unis sont allés aux Nations Unies et ont dit très ouvertement, « ou bien vous faites ce que nous vous disons ou vous êtes sans importance ». t cela a provoqué beaucoup d’antagonismes, même parmi des alliés. Les gens n’aiment pas qu’on les insulte de face. Cela a induit beaucoup de critiques et le prestige des Etats-Unis dans le monde a décliné jusqu’à son point le plus bas jamais atteint dans des sondages internationaux, et il y avait aussi beaucoup de protestations à l’intérieur du pays, même de la part de l’establishment parce que cela nuisait aux intérêts américains.
Le second mandat de Bush a été plus accommodant, et il est plus retourné à la norme et bénéficiait d’une sorte de soutien centriste. Obama est passé par là ( ??? carried through that), il prolonge donc le second mandat Bush. La rhétorique est plus modérée, et le ton est plus amical, mais la politique n’a pratiquement pas changé. Prenez le Caire. Avant tout, son discours n’avait que peu de contenu : il a simplement dit, « aimons nous les uns, les autres ». Mais en route pour le Caire, il a tenu une conférence de presse et un des journalistes lui a demandé, « allez vous dire quelque chose sur le régime autoritaire de Moubarak ? » Et il a dit, ses mots ont été, « Je n’aime pas utiliser des étiquettes pour des gens. C’est un brave homme. Il fait de bonnes choses. Il est donc un ami. » Je n’ai pas à vous raconter ce qu’est la situation des droits humains en Egypte, mais les gens au Moyen-Orient, s’ils étaient éveillés, devaient avoir compris que rien n’allait changer.
Et la même chose est vraie de la politique concernant Israël. Sa politique est peut-être plus dure que celle des mandats de Bush un et deux. Juste maintenant, par exemple, il y a la controverse sur l’expansion des colonies. C’est très semblable à la controverse qui a surgi, il y a 20 ans quand le premier George Bush et quand James Baker, le secrétaire d’état étaient en fonction. Vous vous souviendrez peut-être qu’il y a eu un moment où chaque fois que Baker venait à Jérusalem, le Premier ministre Yitzhak Shamir, profitait de l’occasion pour annoncer une nouvelle colonie et Baker était insulté – c’était un patricien et il n’aimait pas être insulté par Israël – et en réalité Bush a légèrement pénalisé Israël. Il a imposé de légères sanctions sous la forme d’une compression des garanties de prêts qui étaient supposées correspondre aux dépenses des colonies, et Israël a rapidement changé de politique.
Cela ressemble assez bien à ce qui se passe maintenant, avec une différence. Obama a dit qu’il n’imposerait aucune sanction, et que ses protestations sont purement symboliques – c’est son porte-parole de presse qui a dit cela en réponse à une question. Ceci mis à part, tout le baratin sur l’expansion des colonies est en réalité une note de bas de page : la question sont les colonies, pas leur expansion. La position de Obama consiste à réitérer ce qu’a dit George W. Bush et ce qui se trouve dans la Feuille de route, les mots de la Feuille de route, que dans une première étape, il ne doit plus y avoir d’expansion de colonies, même pas pour une croissance naturelle. Donc Obama l’a réitéré, mais d’une manière qui indiquait clairement qu’il ne ferait rien à ce sujet, et la même chose est vraie pour les autres problèmes.
Quand il a annoncé la désignation de George Mitchell, il a fait un discours sur le Moyen-Orient. Il a dit en substance, « il y a un bon espoir de paix, il y a un plan constructif sur la table, » et ensuite il s’est adressé aux pays arabes et il a dit vous devriez respecter ce que vous dites et agir vers une normalisation des relations avec Israël. Il sait parfaitement bien que ce n’était pas cela la proposition. La proposition était d’établir la constitution de deux états et dans ce contexte aller vers une normalisation, il a donc très soigneusement ignoré le contenu de la proposition et s’est concentré sur le corollaire, ce qui est une manière de dire que nous n’allons pas modifier notre position, et nous n’allons pas rejoindre le reste du monde en soutenant la constitution de deux états, et cela a été ainsi depuis lors.
Au moment des élections la population était pleine d’espoir en voyant un nouveau président américain, surtout après huit ans de George Bush. Dans votre nouveau livre, vous décrivez Obama comme une « ardoise vierge » sur laquelle les gens peuvent écrire ce qu’ils veulent. Comment évaluez-vous Obama ?
En réalité j’ai écrit sur ce sujet avant les élections, même avant les primaires, et je ne changerais rien de ce que j’ai dis. Quand on regarde son programme, il apparaît comme un démocrate centriste familier avec une rhétorique agréable et un bon commerçant. En réalité, comme vous pouvez le savoir, il a gagné un prix de l’industrie de la publicité pour la meilleure campagne de marketing de 2008, ce qui est vrai. Il est cultivé, il est intelligent, il sait comment construire une phrase, il est affable et il agit comme s’il aimait les gens. Mais quel était l’appel au changement ? Il était vide. C’était en réalité une ardoise vierge : on pouvait y inscrire tout ce qu’on désirait. Il n’a jamais dit en quoi consisterait le changement. C’était uniquement, « nous aurons un changement ».
En réalité, McCain avait les mêmes slogans, et il est évident pourquoi. Les élections aux Etats-Unis sont assez bien dirigées par l’industrie publicitaire, et les administrateurs de partis lisent les sondages, et ils savent que les sondages montrent que 80% de la population pensait que le pays allait dans la mauvaise direction. Et donc la plateforme de la campagne est logiquement « espoir et changement » et cela c’est Obama. Et il l’a présenté assez joliment, et il a encouragé plein de gens et leur a donné de l’énergie et les a excité mais le fait est que la raison principale de sa victoire est le soutien des institutions financières, et elles attendent d’être payées en retour – c’est comme cela que fonctionne la politique – et elles l’ont été.
Il y a eu des renflouements énormes et les grandes banques sont plus riches et plus puissantes qu’avant, et finalement quand Obama commença à réagir à la fureur populaire et se mit à parler de « banquiers cupides » etc. elles lui ont rapidement dit, « Vous êtes en décalage » (???out of line) et elles déplacèrent le financement vers les Républicains. Maintenant la plus grande partie du financement des institutions va aux républicains, qui sont encore plus en faveur du grand business que Obama. Mais c’est la nature de la politique américaine.
Pendant la présidence de Bush, on a vu les US utiliser la torture en Irak, une interprétation extraaordinaire, et une force en affaires étrangères mettant sur la touche l’ONU malgré les protestations internationales. Verra –t-on des efforts par les US de restaurer son image dans l’opinion mondiale, vu que le bilan de Obama a été décevant jusqu’ici ?
Plus que cela, presque rien n’a été fait, et en fait sur certains aspects, c’est pire que Bush. C’est discuté dans plus de détails dans mon livre. Mais il y a eu un cas à la Cour suprême, dans lequel la Cour suprême a déterminé que les prisonniers de Guantanamo avaient des droits d’habeas corpus et l’administration Bush l’avait accepté et a argué que cela ne s’appliquait pas à Bagram. C’est allé vers les tribunaux, et un juge d’un tribunal inférieur, qui avait été désigné par Bush, un juge de droite, le rejeta et a dit que cela s’appliquait à Bagram aussi. Le département de la justice essaie à présent de le renverser et de dire non, cela ne s’applique pas à Bagram. Dans ce sens, il va plus loin que Bush.
Si j’étais un avocat pour l’administration Bush, je montrerais que l’accusation de torture contre Bush ne tient pas très bien la route sous le droit américain. Presque tout ce que Bush a fait et autorisé était dans le cadre du droit américain. Les Etats-Unis n’ont pas signé la Convention sur la torture ou il l’ont signé avec des réserves. Elle a été réécrites avec grand soin pour exclure les modes de torture que la CIA a développé et mis dans leur manuel de torture. Cela s’appelle « des tortures qui ne laissent pas de traces », la torture psychologique, la torture mentale. La CIA a emprunté de manuels du KGB, avec le résultat qu’ils ont découvert que le moyen le plus efficace de torture pour transformer une personne en légume est la torture psychologique, comme le confinement solitaire, l’humiliation et d’autres choses dans le genre. Si vous regardez Abu Ghraib et Guantanamo, c’était surtout cela. C’était surtout ce qu’ils appellent de « la torture psychologique » pas des électrodes sur le sexe. Ainsi, ils pouvaient prétendre qu’ils opéraient dans le cadre du droit américain.
En fait, la seule différence entre Bush et des administrations précédentes est que dans le cas de Bush, la torture était effectuée par des Américains. D’habitude, les Etats-Unis la confient en sous-traitance à d’autres ; c’est fait par des Sud- Vietnamiens, ou des Guatémaltèques ou des Egyptiens. C’est ce qu’est une « interprétation extraordinaire ». On l’envoie vers d’autres pays qui effectuent la torture. Mais dans ce cas-ci on l’a fait directement à Guantanamo.
En réalité, la seule révélation intéressante dans les notes sur la torture, qui n’ont pas été rapportées largement, est que les interrogateurs ont témoigné qu’il se trouvait sous une lourde pression de la part de Cheney et Rumsfeld pour obtenir des informations qui liait Saddam Hussein à Al-Qaeda. Et il n’y a pas eu ces informations parce que ce n’était pas vrai. Mais quand ils n’arrivaient pas à trouver l’information, ils recevaient des instructions pour utiliser des méthodes plus dures, ainsi la plus grande partie des torture était un effort de Cheney et Rumsfeld d’obtenir certaines indications qui corroboraient leur position qu’on devait envahir l’Irak parce qu’il était lié à Al-Qaeda, ce qui était une affirmation ridicule. C’est apparemment ce qui entraîna la plupart des tortures.
Votre dernier livre s’appelle Espoirs et perspectives. Quels sont les espoirs ?
La première partie du livre est sur l’Amérique latine, et en Amérique latine il y a beaucoup de développements qui sont assez prometteurs. Pour la première fois en 500 ans, depuis les conquistadors, l’Amérique latine est en train d’évoluer vers un certain degré d’indépendance et d’intégration et est au moins en train d’affronter certains de ses graves problèmes internes. La structure coloniale est extrême en Amérique latine, où il y a une concentration de richesses très étroite chez une élite blanche généralement européanisée, entourée par une affreuse tragédie et une des pires inégalités dans le monde, dans une région qui a plein de ressources et un grand potentiel. Certains pas sont entrepris pour les recontrer.
Dans les US aussi il y a des changements. S’ils sont suffisamment rapides pour surmonter les problèmes principaux, je ne le sais pas, mais prenons seulement Israël et la Palestine. Il y a quelques années, pas si longtemps, si j’avais voulu donner une conférence sur ce sujet, j’aurais dû avoir une protection policière à l’université, car les meetings auraient été cassés violemment. Je peux me souvenir d’une fois où la police avait insisté pour accompagner ma femme et moi à notre voiture, après une conférence à l’université. Cela n’a pas changé complètement, mais cela change au cours des années, et cela a changé radicalement après Gaza. Maintenant, il y a des audiences enthousiastes, très engagées, très impliquées, très désireuses de faire des choses.
Cela n’a pas touché les médias, et cela n’a pas touché la classe politique ou intellectuelle, mais cela change dans le pays et tôt ou tard ces choses ont de l’effet. Dans un sens, cela a été détourné par le phénomène Obama, parce que cela avait entraîné des tas d’attentes et a détourné beaucoup de militantisme. mais maintenant la désillusion est introduite. Si le changement continue à se développer, ils peuvent finalement apporter un changement significatif, comme cela a été le cas pour l’Afrique du Sud.
Beaucoup de votre travail a porté sur le contrôle des médias et les insuffisances de la classe intellectuelle aux Etats-Unis, où il est difficile de se tenir en dehors d’un spectre étroit d’opinions. Comment voyez-vous aujourd’hui votre propre position ?
Pour commencer je voudrais dire que je ne crois pas que les US diffèrent beaucoup d’autres sociétés à cet égard. Il peut y avoir des questions différentes, mais en Angleterre ou en France, ce n’est pas très différent. Dans chaque société il y a une frange de dissidents. Cela a été vrai tout au long de l’histoire. Comment le font-ils ? Ils sont attachés à certaines valeurs et certains idéaux et ils décident de ne pas se conformer. D’habitude, ils ne sont pas très bien traités, et la manière dont ils sont traités dépend de la nature de la société, mais ce n’est jamais très poli. Dans certaines sociétés on leur fera éclater la tête, dans une autre ils subissent le goulag, dans une autre on les diffame. Les systèmes de pouvoir n’aiment pas la critique, et ils utilisent toutes les techniques possibles pour les saper et les condamner.
Très généralement, dans l’histoire, les classes intellectuelles se sont subordonnées elles-mêmes au pouvoir, avec très peu d’exceptions. Néanmoins, il y a encore des gens qui ne sont pas d’accord et suivent un chemin indépendant. Les US ne sont pas réellement très durs à cet égard, ainsi une personne avec une quantité minimum de privilèges, ce qui est le cas de beaucoup de gens et sûrement le mien, sont pratiquement à l’abri d’une répression sévère. J’ai risqué une lourde sentence de prison, et j’ai presque été condamné, mais c’était à cause d’une résistance ouverte, manifeste. Je ne pouvais pas y opposer une objection car je faisais des choses qui étaient ouvertement et consciemment illégales en résistance contre la guerre, et donc, si j’avais dû aller en prison, je n’aurais pas pu appeler cela de la répression. Pour ce qu’on dit et ce qu’on écrit, la punition est la marginalisation et la diffamation, mais je peux vivre avec cela. Il y a un grand soutien de la part du public.
Le journaliste Chris Hedges fait des recherches sur le New York Times, et il y a quelques semaines, il est tombé sur une note du directeur de la rédaction du New York Times aux journalistes et aux chroniqueurs qu’ils n’étaient pas autorisés à mentionner mon nom. La National Public Radio a mis sur papier que j’étais la seule personne qui ne serait jamais autorisée dans leurs informations aux heures de grande écoute et leurs programmes de discussion. Mais ce n’est pas une grande punition, et quand je rentrerai chez moi, je trouverai des centaines de messages emails et parmi eux une vingtaine d’invitations à venir parler dans tout le pays et à pratiquement chacune d’elles, il y aura une audience importante de gens intéressés et engagés qui sont bienveillants et ont envie de faire quelque chose, et c’est un encouragement plus que suffisant pour avoir envie de continuer.
J’ai accès aux médias à l’étranger dans certaines circonstances, comme par exemple quand je critique les Etats-Unis, j’ai accès aux médias. Mais si je critique les pays où je suis invité, cela s’arrête systématiquement. Je l’ai même remarqué au Canada. Si je vais au Canada, ils aiment entendre critiquer les Etats-Unis, mais si je commence à critiquer le Canada, ils se ferment et c’est la même chose ailleurs.
Finalement, pourquoi avez-vous critiqué la formule « dire la vérité au pouvoir, » qui a été utilisée par feu Edward Said pour décrire le rôle des intellectuels ?
C’est en réalité un slogan Quaker, et j’aime bien les Quakers et je fais beaucoup de choses avec eux, mais je ne suis pas d’accord avec le slogan. D’abord, il n’est pas nécessaire de dire la vérité au pouvoir, parce qu’il la connaisse déjà. Et secundo, on ne parle pas la vérité à personne, c’est trop arrogant. Ce qu’on fait c’est s’unir à des gens et essayer de trouver la vérité, et donc on les écoute et on leur dit ce qu’on pense etc. et on essaie d’encourager les gens à penser par eux-mêmes.
Ceux qui vous préoccupent sont les victimes, pas les puissants, et donc le slogan devrait être de s’engager avec ceux qui n’ont pas de pouvoir et les aider et s’aider soi-même pour trouver la vérité. Ce n’est pas un slogan facile à formuler en cinq mots, mais je crois que c’est celui qui convient.
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