Conference on nothing John Cage Robert Wilson

Quand le public entre dans la salle, Cité de la musique et de la danse, aucun rideau ne fait obstacle au regard qui saisit d’un coup, malgré la lumière d’abord atténuée, le décor de toiles suspendues portant des phrases en anglais. Le sol est couvert de papier journal froissé. Un écran en haut à gauche. A droite, un lit tout blanc, comme le reste du décor, à l’exception des inscriptions sur les draps. Au centre, immobile, derrière une table, sur laquelle est posé un gros livre, un homme, vêtu de blanc, le visage blanchi aussi, plus épais sur le front, nous regarde. C’est Robert Wilson qui tiendra la scène une heure trente, silencieux, immobile, puis lecteur du livre dont, selon l’emplacement qu’on occupe, on distinguera les feuilles une à une lues, sur lesquelles le texte est disposé plus comme sur une partition musicale que comme un livre ordinaire. Quand peu à peu le silence d’avant la représentation se fait, commence une gestuelle de Wilson, la main à plat, comme pour arrêter on ne sait quoi, dont la fixité, et les mouvements tout à coup, font penser soit à Buster Keaton, soit à un Samuel Beckett solaire. Une plage de musique électronique d’une dizaine de minutes commence, alors qu’un second acteur, tout de noir vêtu, disposé au dessus d’un des calicots, nous observe longuement à la jumelle, sans mot dire, avant de quitter la scène.

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Enfin la lecture commence, alors que l’éclairage a changé, comme il le fera tout au long de la pièce, parfois tamisé, parfois isolant un secteur, souvent éclatant de blancheur et soulignant le visage crayeux de l’acteur principal.

Conference on nothing Robert Wilson John Cage Musica f2c_audio[powerpress]

Il considère le livre, sa main parcourt les lignes de gauche à droite, puis commence la lecture. Il usera de divers tons, parfois inexpressifs, parfois lents, parfois plus rapides jusqu’aux hurlements par degrés qui produisent le rire dans la salle. Le texte est en anglais. Des spectateurs, à la sortie, se sont plaints de l’absence de traduction simultanée au-dessus de la scène, comme c’en est l’habitude désormais au théâtre ou à l’Opéra. De fait, sauf les anglo-américanophones accomplis, même si on ne comprend pas tout, au début, du moins, on en saisit assez pour que soit justifié le titre de l’œuvre. Il s’agit de parler pour ne rien dire. Une sorte de performance produite par John Cage en 1949.Vers la fin, le texte se fait répétitif et les phrases s’autodétruisent peu à peu, les unes annulant par la négation les autres qui ont précédé. It’s a pleasure, it’s not a pleasure…Nous a marqué celle qui déclare, à peu près, que « a structure is like a bridge between nowhere and nowhere ». Une structure, c’est comme un pont entre nulle part et nulle part. Et voilà pourquoi, à mesure que le texte avance, le non-sens augmente. On rit, parfois, mais plus souvent, c’est l’inquiétante étrangeté qui nous saisit et on se prend à des pensées philosophiques.

Le personnage interprété par Robert Wilson, se lève à un moment, se dirige vers le lit, s’assied, puis saisit le drap immaculé et se couche. La lumière éclaire son visage. Il rêve. Un portrait (Maiakowski, peut-être?) est projeté sur l’écran qui au début présentait l’image d’un homme entre des draps et en arrière-plan celle d’une femme. A certains moments, il avance vers le bord de la scène, s’immobilise regardant les spectateurs, puis recule avec une brusque pirouette, le mollet gauche puis droit se soulevant comme chez un clown.

à suivre…