Blasphème, retour à l’ancien régime en Alsace ?
Une plainte contre X pour « blasphème » a été déposée à Strasbourg contre la pièce de Castellucci au théâtre du Maillon par une obscure association de laïcs catholiques intégristes « avenir de la culture ». Peuvent également être visés le Maire et le Préfet pour avoir sciemment laissé faire. Cette plainte invoque l’article 166 du code pénal local d’Alsace et de Moselle.
Fin septembre c’était déjà le président du CFCM qui déclarait étudier la possibilité d’une plainte déposée en Alsace sur la base du même article contre le journal Charlie Hebdo.
. On aimerait connaître la position des autorités civiles et religieuses locales par rapport à cette législation (art166 et 167) manifestement obsolète
Nous ne pouvons que répéter qu’il est urgent d’introduire les lois laïques de la République en Alsace et en Moselle, en lieu et place d’une législation qui en l’espèce remonte à l’empire allemand.
Bernard Anclin président de « http://www.laicitédaccord.com »
Le blasphème existe, je l’ai rencontré en Alsace-Moselle…
lu dans le Républicain Lorrain
À Paris comme en province, elle a provoqué plusieurs manifestations agressives de catholiques intégristes. À Strasbourg, où elle a été jouée mercredi et jeudi soir au théâtre du Maillon, la pièce de Roméo Castellucci, Sul concetto di volto nel figlio di dio (Sur le concept du visage du fils de Dieu) va connaître des suites judiciaires.
DOSSIER
C’est toute la différence entre la France de l’intérieur et l’Alsace-Moselle. Dans la première, le délit de blasphème a été aboli en 1791. Dans les trois autres départements, il existe encore. C’est l’un des héritages de l’annexion par l’Empire d’Allemagne entre 1871 et 1918. Le fameux droit local. L’association Avenir de la Culture en connaît visiblement les finesses. Depuis des mois, elle combat cette pièce durant laquelle une représentation du visage du Christ est recouverte d’un liquide sombre avant de se gondoler et de se déchirer. Pour ces intégristes, l’image est « souillée » car « recouverte d’excréments » là même où l’Église officielle n’y a jamais rien vu de blasphématoire. Ils ont attendu que la pièce tourne en Alsace pour saisir le parquet de Strasbourg en vertu de l’article 166 du Code pénal d’Alsace et Moselle (lire ci-dessous) sur le délit de blasphème.
« Alors que la notion même de blasphème ne devrait pas exister, puisque dans un État laïc, une religion est une doctrine comme les autres, on vient aujourd’hui utiliser cet article absurde pour censurer une œuvre d’art. C’est extrêmement choquant », lâche Michel Seelig, président du Cercle Jean-Macé de Metz. L’affaire tombe à pic pour les associations laïques qui relancent une énième croisade pour demander la suppression « graduelle et négociée » des ingérences du religieux dans la vie publique alsaco-mosellane, où la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905 n’est pas en vigueur. Comme le financement par l’État des ministres des quatre cultes « reconnus » (catholique, les protestants luthériens et réformés, et israélite). Ou l’enseignement religieux obligatoire dans les écoles publiques.
La pression des lobbys
Les chantres de la laïcité ont cru tenir le bon bout en entendant le discours du candidat Hollande au Bourget, désireux de constitutionnaliser le principe de séparation de l’État et de l’Église. « Malheureusement, sous la pression de certains lobbys, la formule “sous réserve des dispositions particulières en vigueur en Alsace et Moselle” y a été ajoutée. On sanctuariserait ainsi la séparation dans la majeure partie du territoire, tout en sanctuarisant son contraire, le Concordat et autres textes d’un autre siècle, dans les trois départements du Nord-Est », soulignent Michel Seelig et Pierre Jullien, président de la Fol (Fédération des œuvres laïques) de Moselle. Les deux laïcs sont conscients que l’espoir d’être entendu est mince. Le gouvernement a d’autres priorités et les politiques locaux sont peu enclins à ouvrir ce débat susceptible de déchaîner les passions : « Dans le Bas-Rhin et le Haut-Rhin, on fait face à une certaine “alsacitude”. C’est-à-dire à des gens pour qui le droit local fait partie de leur patrimoine, de leur identité . D’autres ont peur d’en perdre les avantages si on commence à détricoter quelques points. Sur ce point-là, nous avons un gros travail pédagogique à mener pour expliquer que chaque aspect est totalement indépendant. »
Pas question donc de vouloir la peau du droit local : « Il comporte dans d’autres domaines d’excellents éléments, comme le régime de protection sociale, le droit du travail, le livre foncier, etc. Mais ses éléments relatifs à la place du religieux dans la sphère publique ne sont plus aujourd’hui supportables au vu de l’évolution de la société… »
Philippe MARQUE.
Religion en droit local alsacien-mosellan, Le blasphème existe encore
En Alsace-Moselle, le blasphème est un délit, prévu et réprimé par la loi. Mais aucune condamnation n’a été prononcée sur cette base depuis la Libération.
Le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) Mohammed Moussaoui, a déclaré hier sur RFI que son organisation « étudie la possibilité de porter plainte contre Charlie Hebdo pour « volonté délibérée d’offenser » les musulmans, en précisant que cette plainte pourrait être déposée au niveau européen ou en Alsace-Moselle.
En effet, le droit local considère le blasphème comme un délit, prévu et réprimé par la loi. Mais aucune condamnation n’a été prononcée sur cette base depuis la Libération.
Le texte est l’article 166 du Code pénal local, qui prévoit trois ans d’emprisonnement au plus pour « celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement contre Dieu ou une communauté religieuse établie […] ou les institutions ou cérémonies de ces cultes ».
L’article 167, lui, punit de la même peine le « trouble à l’exercice d’un culte ». Celui-ci a son équivalent dans la législation française avec l’article 32 de la loi de 1905, qui prévoit des peines plus légères.
L’article 166 de droit local a été invoqué pour la dernière fois en 1954 contre deux « Témoins du Christ » qui avaient harangué les fidèles à la cathédrale de Strasbourg. Mais la cour d’appel n’avait utilisé que l’article 167 et avait donc écarté le délit de blasphème.
La question se pose de savoir si ce texte concerne l’islam – religion non-statutaire en Alsace-Moselle, où il ne bénéficie pas du concordat ou des articles organiques. Le texte, qui parle de « communautés religieuse établies » ne fait pas allusion à ce cadre. L’islam, représenté par le conseil régional du culte musulman, subventionné par des collectivités locales, semble bien aujourd’hui « établi » en Alsace-Moselle, même s’il reste hors du droit « concordataire ».
Le président de la Grande Mosquée de Strasbourg, Saïd Aalla, a indiqué qu’il n’envisageait « pas d’action judiciaire pour le moment », de même que le conseil régional du culte musulman (CRCM) d’Alsace. « La réflexion se poursuit au niveau national », a expliqué son président, Driss Ayachour.
par Jacques Fortier (avec AFP), publié le 22/09/2012 à 05:00
http://www.dna.fr/justice/2012/09/22/en-droit-local-alsacien-mosellan-le-blaspheme-existe-encore
Dernières Nouvelles d’Alsace
Strasbourg Autour du spectacle de Romeo Castellucci : plaintes croisées
Edition de Strasbourg
Ville de Strasbourg
par Veneranda Paladino, publié le 17/11/2012 à 05:00 | Mis à jour il y a environ 38 minutes
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Strasbourg Autour du spectacle de Romeo Castellucci : plaintes croisées
Dans la nuit de mardi à mercredi, des graffiti extrémistes ont été tagués sur la porte d’entrée des artistes du théâtre Le-Maillon, au Wacken. DR
Dans la nuit de mardi à mercredi, des graffiti extrémistes ont été tagués sur la porte d’entrée des artistes du théâtre Le-Maillon, au Wacken. DR
Autour de la pièce de Romeo Castellucci, Sul concetto di volto nel figlio di Dio, deux plaintes ont été déposées : celle de l’association de laïcs catholiques Avenir de la culture pour « blasphème » et celle du Maillon pour dégradation du théâtre.
Perpétrés dans la nuit de mardi à mercredi, la veille de la première représentation à Strasbourg de la pièce de Romeo Castellucci, Sul concetto di volto nel figlio di Dio,Sur le concept du visage du fils de Dieu – objet d’attaques d’extrémistes chrétiens lors de précédentes représentations à Paris et à Rennes –, des graffitis de nature peu équivoque ont été tagués à l’arrière du théâtre strasbourgeois du Maillon, au Wacken. Sur la porte de l’entrée des artistes, figuraient des croix et les inscriptions « De Dieu on ne se moque », « Vive le Christ roi », et au sol « blasphémateur ». Face à de tels agissements, le directeur du Maillon Bernard Fleury fait preuve d’une grande fermeté : « Nous avons déposé une plainte pour dégradation à la police. Mon métier consiste à programmer des spectacles intéressants à Strasbourg, ce sont des extrémistes qui se disent catholiques qui prennent en otage les croyants, c’est cela qui est scandaleux ». Concernant la plainte contre X pour « blasphème » déposée par l’association de laïcs catholiques Avenir de culture qui invoque l’article 166 du droit local d’Alsace-Moselle, le directeur attend avec sérénité les suites données par le Parquet. « Pour l’instant, nous n’avons eu aucun acte d’huissier de justice à ce sujet. Il faut que ces gens aient si peu confiance en leur argument pour déposer une telle plainte, commente Bernard Fleury. Ce n’est qu’une gesticulation qui consiste à occuper une surface médiatique. En Allemagne, où le Concordat est en vigueur, il n’y a eu aucune action de cette nature ».
Fragilité de la condition humaine
Survivance d’une partie du droit pénal allemand maintenue après 1918 et confirmée par une loi française en 1924, le délit pour blasphème existe effectivement dans le droit local mais encore faut-il pouvoir le prouver. C’est pourquoi au Parquet de Strasbourg, on ne procède pour l’instant à aucune instruction.
D’autres voix s’élèvent, dont celle de Bernard Anclin, président de Laïcité d’Accord, qui répète « qu’il est urgent d’introduire les lois laïques de la République en Alsace et en Moselle ». Prouver le blasphème sera en tout cas difficile. Les spectateurs qui ont vu la pièce savent que la «souillure du visage christique par jet d’excréments» est un pur mensonge. A un moment du spectacle, la reproduction du magnifique visage peint par Antonello da Messina au XV e, siècle se recouvre en effet de larmes et d’un voile d’encre noire.
Dès les premières attaques qui suivirent la création de Sul concetto en Avignon, en 2011, l’Église catholique de France récusa l’accusation de blasphème. Sa position relayée ici par la voix du chanoine Bernard Xibaut du diocèse de Strasbourg est sans ambiguïtés : il n’y a ni blasphème, ni volonté de souiller le visage du Christ. Comme le rappelait le comédien qui interprète le rôle du père, jeudi soir à l’issue de la représentation, l’un des rares évêques à avoir vu la pièce, Johann Bonny, évêque d’Anvers en Belgique, recommandait que la pièce soit jouée dans les églises.
À l’issue des représentations de la pièce créée par Romeo Castellucci et la Societas Raffaello Sanzio, c’est l’émotion qui gagnait le public, bouleversé par la fragilité de la condition humaine ici mise à nue.
par Veneranda Paladino, publié le 17/11/2012 à 05:00 | Mis à jour il y a environ 38 minutes
L’inénarrable Eric Sander, secrétaire général de l’Institut du droit local d’Alsace-Moselle
http://www.republicain-lorrain.fr/actualite/2012/11/17/un-instrument-de-paix-sociale
« Un instrument de paix sociale »
Eric Sander, secrétaire général de l’Institut du droit local, défend la place importante prise par les cultes en Alsace-Moselle.
Le délit de blasphème est proscrit en France depuis 1791 et toujours en vigueur en Alsace-Moselle. N’est-il pas temps de dépoussiérer un peu le droit local ?
Eric SANDER : « On peut toujours vouloir tout moderniser. Mais ce texte-là sert à protéger la liberté religieuse des croyants, quelle que soit leur religion. En droit général, la loi de 1881 sur la liberté de la presse sanctionne le même type d’infraction puisque tout propos ou écrit qui porterait atteinte à un groupe pour ses affinités politiques, syndicales, religieuses ou autres est réprimandé. Sur le fond, je pense qu’il y a d’autres endroits pour manifester ses convictions qu’un lieu de culte, qui n’est pas la place publique. »
Les laïcs demandent la suppression de l’enseignement religieux dans les écoles publiques des trois départements. Qu’en pensez-vous ?
« Qu’inversement, des associations musulmanes demandent l’ouverture du statut scolaire pour un enseignement de leur religion. Cela montre que si on souhaite construire un islam dans la République, le droit local peut être un outil assez intéressant. »
Constitutionnaliser la séparation de l’Église et de l’État et son exception alsaco-mosellane serait-elle une bonne nouvelle pour la sauvegarde du droit local ?
« Le principe de laïcité est déjà inscrit dans la constitution de 1958. C’est l’article 1. Cela n’a donc aucun sens. Cela signifie que l’État est non-confessionnel, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de religion d’État, ce qui est le cas en Alsace-Moselle. Ensuite, cela implique la neutralité de l’État. L’article 2 stipule qu’il ne subventionne aucun culte. Mais pour le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel, le financement public des cultes ne participe pas à la définition du principe de laïcité. Ce qui a permis à la Ville de Strasbourg de financer en partie la mosquée de Strasbourg ou des cimetières confessionnels. Ce qui est extraordinaire avec l’argent public en France, c’est qu’on peut tout financer, la politique, les sports, l’outil de travail de footballeurs qui gagnent des millions, tout, sauf la pratique religieuse des citoyens français. »
Le droit et le régime local sont-ils en danger ?
« Non. Regardez l’attachement très profond qu’ont les gens pour des spécificités comme l’assurance-maladie, la faillite civile, le surendettement des particuliers, le régime de l’artisanat, etc. Y compris pour le régime des cultes. C’est un instrument de paix sociale. Il permet d’organiser le dialogue interreligieux, ce qui est fondamental. Notamment grâce à cette possibilité de financer publiquement les cultes. »
Propos recueillis par Ph. M.
Républicain Lorrain
Identité et République
L’enseignement religieux obligatoire, les prêtres, pasteurs et rabbins payés par l’Etat, le Vendredi saint férié… et la répression pénale du blasphème : l’Alsace et la Moselle offrent aux Français de l’intérieur, comme on dit à l’est de Saverne, un tableau bien pittoresque. Jean-Luc Mélenchon, plus franc-maçon que libertaire, ironisait pendant la campagne présidentielle sur l’étrangeté de nos « coutumes ». Et, histoire aussi de s’afficher plus à gauche que le social-démocrate François Hollande, Mélenchon réclamait « le retour dans la République » des provinces recouvrées, en leur accordant enfin le bénéfice de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat.
C’est là une partie du problème. Notre droit local, notre régime des cultes, notre régime d’assurance sociale sont constitutifs de notre identité, pensent bien des Mosellans et des Alsaciens. Pour autant, ils ne se sentent pas moins français que les jacobins attachés à une application sourcilleuse de l’article premier de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
Jusqu’où peut aller le respect des spécificités locales ? La République a déjà avalé son bonnet phrygien en concédant le retour des langues régionales jusque sur les panneaux officiels, sans que l’unité du pays s’en trouve fortement menacée. Mais c’est, par exemple, une autre affaire que de maintenir dans la marginalité des centaines de milliers de musulmans, exclus du droit à l’enseignement.
Elargir le Concordat à l’islam serait une mesure de justice et de cohésion sociale, mais aggraverait encore l’exception accordée par l’Histoire à l’Alsace-Moselle. Le supprimer serait la solution la plus conforme à l’esprit de la Constitution, mais provoquerait une levée de fourches qu’a bien comprise François Hollande. Mélenchon peut préparer de nouvelles philippiques : nos « coutumes » ont encore un bel avenir devant elles.
Bernard MAILLARD.
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