M. MOUBARAK, nous savons que vous ne maîtrisez rien, encore moins que vos donneurs d’ordre.
Rappelez-vous, M. Moubarak que lorsque le piètre militaire mais rusé politique Octave neveu de César a vaincu Marc Antoine, brillantissime général, allié et époux de la descendante des Lagides, il ne restait plus à Cléopâtre que le suicide pour s’éviter l’humiliation de se faire traîner enchaînée à Rome derrière le char de celui qui a triomphé de la République romaine.
Avant même sa mort, une fois saisi le trésor de l’impératrice qui fut transporté aussitôt à Rome, les taux d’intérêt y chutèrent a de 12% à 4%. La guerre depuis Rome contre l’Orient riche de métaux et de blé n’avait pu se faire que grâce à une intoxication méthodique de l’opinion (et oui, déjà !) publique lassée des guerres civiles.
Nul ne vous demande de renoncer à ce qui vous reste de vie mais si vous avez encore de l’honneur, accordez à votre peuple le signe indiscutable de sa souveraineté sur sa terre.
Montrez-lui que vous n’êtes pas que le simple exécutant des ordres des sionistes comme vous l’apparaissez de plus en plus chaque jour.
Le mur que vous faites ériger avec l’aide d’une logistique étasunienne pour enfermer un peu plus le minuscule territoire de Gaza a été commandité par le régime de Tel Aviv.
M. Moubarak, votre régime aspire à être une république dictatoriale héréditaire sans même l’alibi de servir les intérêts de son peuple mais avec l’objectif déclaré d’être le vassal d’un régime encore plus corrompu que le sien et encore plus illégitime, celui des sionistes de Tel Aviv.
Depuis 1993, et la reddition arabe de Camp David menée par Sadate, quels furent les bienfaits des négociations sans fins, dont nous espérons que des historiens espiègles et pleins de bon sens décompteront les nombres de km parcourus en avion par les négociateurs et les mégatonnes de papiers imprimés pour l’Égypte, pour les Palestiniens ou la nation arabe ?
M Moubarak y aurait-il dans votre entourage une personne avertie capable de vous expliquer la fin imminente du monde dollardisé ainsi que la non-pertinence des guerres technologiques ? La fragmentation à l’infini de la géographie du Moyen-Orient est un projet sioniste lequel a failli car inadéquat à la transnationalité du Kapital, et au-delà de celui-ci il répond aux tentatives de destruction à une échelle beaucoup plus large de toute identité historique et culturelle de ce capitalisme sans racines. Le culte de l’individu prôné par le libéralisme est en réalité la volonté d’effacer toute mémoire collective et de déliter toute solidarité face à l’abstraction de l’Argent, votre idole à vous les adorateurs du Veau d’Or.
Je m’étais promis de ne plus revenir au Caire après ma tentative infructueuse de regagner Gaza dans le sillage du premier convoi de Georges Galloway en mars 2009.
Le Caire, la Victorieuse, sale, enfumée et bruyante.
L’État s’y réduit à son expression minimale : les forces de l’ « ordre » ie de l’oppression du peuple. Tout autre domaine appartient au grand secteur de l’informel, celui de la liberté accordée au renard dans le poulailler.
Les seuls éléments apparents structurant-déstructurant la vie de la cité sont les panneaux AIG (la société d’assurances étasunienne a fait faillite mais on semble l’ignorer encore ici), BNP, la filiale en Égypte de la Société Générale, NSGB, Novotel, Bank Misr et CocaCola.
Tout le reste est laissé à l’abandon, à l’informel.
Il ne semble pas exister un service municipal de ramassage d’ordures. Les rues sont jonchées de détritus qu’il faut enjamber ou contourner selon les possibilités laissées par des trottoirs défoncés de hauteur inégale et les voitures stationnées de façon aléatoire.
Les façades des immeubles sont défigurées, encrassées, ensevelies sous d’épaisses couches noirâtres dues à une pollution aérienne qui rend l’atmosphère cairote irrespirable.
Le trafic des automobiles est incessant et assourdissant, les signalisations routières en faible nombre et jamais respectées obligent les conducteurs à se signaler continûment par des avertissements sonores.
Nous ne devions être que de court passage par la capitale égyptienne, notre but étant de briser le blocus de Gaza au moment de l’anniversaire du raid criminel des forces armées sionistes il y a un an. Plus de 3450 participants provenant de 43 pays du monde ont convergé, âgés de 10 ans à 86 ans, quelques-uns en s’endettant pour le voyage de solidarité. Le blocus est un acte de guerre et exercé sur une population civile donc un crime de guerre.
Notre entrée dans Gaza était peu probable.
Le premier État arabe à avoir normalisé ses relations avec l’entité sioniste, brisant le front jusque-là cohérent du refus de la colonisation de la Palestine, avait dans le mois précédant notre visite annoncée d’une part organisé des incidents frontaliers en assassinant des migrants ‘illégaux’ qui tentaient de gagner Israël, d’autre part ridiculisé en orchestrant une campagne de haine contre l’Algérie à l’occasion d’un tournoi de ballon joué aux pieds.
L’infiltration policière de ce pays est telle qu ‘elle en devient la substance même de l’État.
Lors d’une altercation minime entre deux automobilistes, les « inoccupés » nombreux dans les rues et aux portes des immeubles se sont mobilisés instantanément et se sont révélés appartenir aux forces de surveillance, une nuée d’une cinquantaine de personnes dans un périmètre de moins de 100 mètres, voilà qui est vraiment impressionnant. Dès lors, l’autocar conduisant l’équipe de joueurs à son hôtel n’a pu être agressé sans une certaine facilitation policière.
Peu probable notre passage.
Nous avions loué un appartement meublé, pensant éviter la contrainte de délivrer nos passeports aux tenanciers d’un hôtel. Peine perdue, dans l’immeuble aux quatre entrées monumentales deux concierges tiennent en permanence les issues de chaque cage d’escalier. Ils ont exigé les copies de nos pièces d’identité. Mieux, à chacun de nos déplacements requérant la prise de taxi, un policier en uniforme note ostensiblement la destination que nous avions lancée au chauffeur.
Pour une population avoisinant les 80 millions, plus d’un million et demi d’Égyptiens émargent auprès des services de police et de renseignement, la Sécurité en somme. Soit un agent contre (et non pas pour) 50 habitants. Que de moyens, que d’intelligence au service de l’ « Intelligence », véritable armée en guerre contre son peuple.
Comme si toute l’aide des US(a), les deux milliards de dollars qui semblent justifier toute la vassalité du régime du Caire, était consacrée à surveiller le peuple égyptien, avec une multiplication de services qui se font concurrence, et la vérification expérimentale de la loi des rendements décroissants.
Pendant l’occupation du musée du Caire par une dizaine d’internationaux venus rejoindre la Freedom Gaza March, nous avons pu constater l’absence de connexion entre des chefs qui contrôlaient des tronçons de trottoirs de 100 mètres contigus.
En quelques secondes, la dizaine d’Européens interdits d’accès au jardin du Musée suspectés dès le passage du premier contrôle pour simplement avoir des kéffieh dans leurs sacs se voient entourés d’une centaine de soldats accompagnés de civils au regard hagard et menaçant, le visage secoué de tics la mâchoire en mouvement permanent de rumination manifestement sous effets d’hallucinogènes et dressés à attaquer au moindre signal. Des ordres contradictoires fusent. Menaces d’expulsion immédiate à l’aéroport croisent avec des vociférations nous enjoignant de sortir tout de suite de l’enceinte du Musée. Notre camarade promue traductrice et intermédiaire a obtenu l’éloignement des cerbères prêts à mordre avant que nous ne soyons canalisé entre deux haies d’honneur de policiers harnachés et gourdins au poing sur une place Tahrir vidée de ses voitures.
Je me suis accrochée à mon bout de trottoir reprenant les versets coraniques psalmodiés par E. L. restée légèrement en arrière avec les enfants. Les soldats venus nous déloger ont renoncé à nous porter vers l’extérieur, seul un homme a été traîné au-delà de la limite du Musée, la situation devant être pour eux inédite. Pléthore de flicaille nuit.
L’état militaro-policier qui préconise comme cause nationale la haine du peuple algérien est dépourvue de toute pensée stratégique aussi minime fût-elle.
Est-ce un effet de la mondialisation qu’une telle médiocrisation générale des esprits qui vous autorise à parler de souveraineté territoriale quand le Sinaï est contrôlé par une armée d’occupation ? Qui accorde foi à ce que vous donnez aux medias en pâture, un prétendu trafic d’armes depuis Israël vers Gaza pour les fournir à une Al Qaïda imaginaire formée parmi les bédouins du Sinaï ? Si seulement il existait à Gaza un transit d’armes israéliennes, le monde entier en aurait témoigné. En décembre 2008- janvier 2009 nul n’a pas pu repérer un tel arsenal que les différentes factions résistantes palestiniennes de Gaza auraient dû déployer pendant l’agression sioniste. Et si Israël fournit les armes, pourquoi ne pas demander à l’entité la plus puissante militairement de veiller à l’empêcher ?
Vous déclarez maintenant que vous empêcherez le transit de tout convoi humanitaire par le territoire égyptien vers Gaza. Vous faites alors solennellement une déclaration officielle de guerre au Peuple Palestinien dans sa composante enfermée à Gaza, renforçant le mur de métal enterré qui garantira l’asphyxie certaine d’un million et demi d’humains.
En rendant étanches les frontières de Gaza, c’est une guerre ouverte contre l’humanité que vous ouvrez.
Dont acte.
Sachez cependant M. Moubarak que notre venue n’a pas été inutile, outre le fait qu’elle a mis en évidence aux yeux du monde votre statut de vassal allant au-devant des vœux de ses suzerains, nous avons donné consistance à la solidarité internationale avec le Peuple Palestinien et avec le Peuple Égyptien qui ne comptent ni l’un ni l’autre de laisser entraver sous vos jougs.
Badia Benjelloun
Le 8 janvier 2009
Aucun commentaire jusqu'à présent.