Par DANIEL SCHNEIDERMANN
C’est le jeune facho à la mode. On le voit partout. Sur M6, sur France 2, sur Canal + (beaucoup sur Canal +). Elle est si fraîche, si spontanée, la nouvelle bête immonde ! C’est bien simple, Bernard de la Villardière et Benoît Duquesne se l’arrachent. Il s’appelle Alexandre Gabriac, il a 22 ans, il habite Lyon, dans la vie il fait étudiant et chef des Jeunesses nationalistes, émanation juvénile et musclée du gollnischisme (de Gollnisch, Bruno, rival malheureux de Marine Le Pen à la présidence du Front national).
Les caméras l’accompagnent dans les manifs pour tous (ses militants tabassent un bolchévique, et chapardent un drapeau dans un bar gay ; on s’amuse). Elles l’accompagnent sur la tombe de Mussolini, but de pèlerinage annuel. Elles le suivent au pied de l’Acropole, où il va rendre visite aux camarades du mouvement néonazi, Aube dorée, qui ratonnent les immigrés dans les rues d’Athènes.
Il ouvre volontiers aux caméras la porte de son studio de 15 m2. Dans sa bibliothèque, un rayonnage entier sur Le Pen, son grand homme. En guise de posters, fanions et affiches, parmi lesquels des souvenirs émouvants des pèlerinages mussoliniens. Interviews en série, comme à Cannes (le téléphone du service de presse figure sur le site du mouvement). «Que pensez-vous de l’Allemagne hitlérienne ?» lui demande Canal +. Long silence. Intense réflexion. «Je réfléchis bien, parce que cette question peut nous entraîner très très loin.» Encore plus long silence, conservé au montage par le journaliste. Puis : «Nous, on ne se positionne pas en fonction de la bien-pensance. On autorise chez nous un regard libre.» Bien joué, le coup de la liberté de penser. L’élément de langage a été long à venir, mais ça valait le coup d’attendre. «Etes-vous antisémite ?» insiste le reporter. Grand sourire de rugbyman après un essai transformé : «Ni plus ni moins que Saint-Louis.»
Alexandre Gabriac s’est acquis une notoriété nationale de basse intensité en 2011, en faisant le salut nazi. La photo, postée sur Facebook, s’était retrouvée sur le site de l’Obs. Cette incartade lui valut exclusion immédiate du Front national. Laquelle exclusion provoqua un incident diplomatique entre Marine (favorable) et Jean-Marie Le Pen (opposé). A l’époque, Gabriac jurait que la photo était un montage. Comme le temps passe ! Aujourd’hui, devant les caméras qui se bousculent dans son studio, il assume. D’ailleurs, le salut nazi n’est pas seulement un salut nazi. Dédramatisons tout ça. C’est aussi un salut olympique, ou une manière de se dire bonjour, dans la rue. Un geste jovial.
Alexandre Gabriac est un facho providentiel. A cette médiatisation subite, tout le monde trouve son compte. Son groupuscule inconnu acquiert une notoriété nationale : il va engranger des adhésions. En excluant le diable, Marine Le Pen se dédiabolise, et souligne tout ce qu’elle n’est pas (antisémite, nostalgique du nazisme, etc). Quant aux télés, elles adorent les fachos télégéniques. Les skinheads de Serge Ayoub (alias Batskin) ont vieilli. Les royalistes sont désespérément ringards. Les hooligans peuvent toujours faire l’affaire (saisissant reportage sur les hooligans polonais dans le dernier Envoyé spécial),mais il faut un peu de renouvellement. La joyeuse bande des saucissons pinard commençait à s’user un peu. Va donc pour Gabriac qui, filmé dans les manifs pour tous sur fond de cantiques, répète devant tous les micros son aversion pour «l’accouplement sodomite». «L’accouplement sodomite», c’est bon coco. S’il le dit deux ou trois fois, on pourra même le recycler au Petit Journal. Ce besoin de fachos, tout de même.
Il nous faut notre petit facho ou notre nazillon de poche, caricatural à souhait. Ce fut jadis Le Pen père lui-même, avec ses Durafour crématoire. Alexandre Gabriac fait encore mieux l’affaire. Il est à l’aube de sa carrière. Dans cinq ans, il plaisantera avec Denisot sur le plateau du Grand Journal. Dans dix ans, député. Dans vingt ans, attendri, comme Madelin, Longuet ou Devedjian, il se penchera sur les frasques de ses jeunes années, et revisionnera avec Arthur ses premières télés. Symétriquement, ce goût des fachos pour le cabotinage. Tous ces gars sévèrement burnés, avec leurs rangers, leurs treillis, leurs entraînements en forêt, les imaginer refaire la prise, et montrer leur meilleur profil.
Quant à savoir si cette omniprésence médiatique exagère l’importance d’un phénomène politique permanent de génération en génération, et finalement toujours marginal (la présence en France de quelques centaines de militants d’une extrême droite radicale), et pourrait finir par le faire grossir, en une sorte de prophétie autoréalisatrice, c’est une autre question, qu’on se posera plus tard.
http://www.liberation.fr/societe/2013/05/19/notre-facho-prefere_904068
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