25 mai par Yorgos Mitralias

antifascismeuropa-960

L’approfondissement et la généralisation de la crise à –presque- toute l’Europe Unie fait qu’il soit désormais possible d’appréhender non seulement la dynamique et les caractéristiques de cette crise, mais aussi les tâches que devrait assumer en toute priorité la gauche qui ne se rend pas et persiste à résister.

1. C’est ainsi que dorénavant on peut parler d’une tendance à la « grécisation » -au moins- du sud européen, dans la mesure où les uns après les autres des pays comme l’Espagne, l’Italie ou même la France voient leur paysage politique en train d’être bouleversé très profondément à l’instar de ce qui se passe en Grèce depuis 2-3 ans. À des degrés divers, mais de façon de plus en plus claire, le pilier de leur système politique, c’est-à-dire leur bipartisme traditionnellement triomphant entre en profonde crise (France, Espagne…) ou même s’effondre (Grèce, Italie…) au profit des forces politiques, jusqu’alors souvent inconnues, appartenant aux deux extrémités de l’échiquier politique. En un temps record, leurs deux grands partis néolibéraux de droite et de gauche qui s’alternaient en toute sécurité au pouvoir et totalisaient 70%, 80% ou même plus des voix, reculent ou pire, se décomposent additionnant désormais moins de 50%, 40% ou même… 30% des préférences des citoyens.

2. Bien que la droite classique subisse aussi les conséquences de la désaffection des citoyens, c’est pourtant la social-démocratie qui en est sa victime principale. Les partis sociaux-démocrates s’effondrent partout (Grèce, Espagne, Italie, France, Allemagne…) et, signe des temps, ils n’arrivent plus à profiter de l’usure de la droite quand elle est au pouvoir. Ils reculent fortement même quand ils sont à l’opposition !

En somme, on assiste à une crise sans précédent de la social-démocratie qui a toutes les caractéristiques d’une crise… terminale ! La conséquence est historique et cataclysmique : étant amputé d’un de ses deux piliers, le bipartisme qui garantissait la stabilité politique et le bon fonctionnement d’un système fondé sur l’alternance au pouvoir des partis néolibéraux, reste suspendu en l’air, ne fonctionne plus. Alors, dans ces conditions, la crise de régime n’est pas loin…

3. Force est de constater que la gauche européenne n’est pas aujourd’hui en état d’incarner les espérances des citoyens en colère qui sont en train d’abandonner les partis jusqu’à hier dominants. Sauf en Grèce avec SYRIZA, nulle part ailleurs en Europe la gauche n’a ni la crédibilité, ni la force organisée et l’ancrage social, et surtout ni la capacité pour inspirer les masses qui se détournent des grands partis bourgeois tout en radicalisant leur rejet de l’ordre établi.

La conséquence de l’actuelle impuissance de la gauche européenne face à la crise généralisée du système de domination bourgeois ne peut pas se résumer à la prévision que la gauche ne va pas profiter de cette crise cataclysmique du capitalisme. Malheureusement, il y a désormais bien pire que ca. Ce qui se profile déjà à l’horizon européen est que cette crise historique combinée à l’actuelle impuissance de la gauche pourrait très bien conduire à ce que des pans entiers d’une société aux abois et désorientée se tournent finalement vers l’extrême droite ou même des forces néo-fascistes et néo-nazies pour exprimer leur révolte anti systémique !

4. Simple hypothèse de travail ? Non, c’est exactement ce qui commence déjà à se produire dans un nombre toujours croissant des pays européens. Maintenant, il ne s’agit plus de l’ « exception grecque » qui a vu l’éclosion et le développement foudroyant des néonazis de l’Aube Dorée. Maintenant, il s’agit d’un véritable raz de marée d’extrême droite, ou tout au moins de l’euroscepticisme réactionnaire (Allemagne, Angleterre), même dans des pays du nord européen encore relativement épargnés par la crise de la dette et les politiques d’austérité !
Encore plus important que la presque généralisation du phénomène est le fait que maintenant l’extrême droite fait une percée historique dans un grand pays comme la France, qui a toujours marqué l’histoire de notre continent. Et même là où l’extrême droite reste toujours marginalisée (Italie, Espagne, Belgique…), la crise sociale et la fragilité politique sont telles que la situation pourrait évoluer au profit de l’émergence d’une force d’extrême droite en un temps-record, d’autant plus qu’il faudra désormais tenir compte de l’effet de contagion…

5. En somme, dorénavant sont présents en Europe tous les ingrédients d’une crise sociale et politique sans précédent depuis la fin de la dernière guerre mondiale, nous rapprochant plutôt de l’entre deux guerres et de ses « démons », bien que le monde actuel a énormément changé depuis les années 1930…

Cependant, les ressemblances avec l’entre deux guerres ne se limitent pas à la situation « objective ». Malheureusement, on voit le « facteur subjectif », la gauche non social-démocrate d’aujourd’hui, faire preuve de la même incapacité de la gauche d’alors de comprendre ce qui se passe aux tréfonds de la société, et de réagir en conséquence. La conclusion doit être catégorique : bien qu’impétueuse, ce n’est pas la montée de l’extrême droite qui fait peur. Ce qui est effrayant et détermine les tâches d’aujourd’hui et de demain est plutôt l’incapacité ou l’impossibilité de la gauche non seulement de résoudre la crise à son profit, mais même de faire barrage à cette montée de la réaction et de l’extrême droite !

6. Alors, si le diagnostic est bon, que devons-nous faire, si évidemment on refuse toute attitude passive et fataliste et on choisit de se battre avant qu’il ne soit trop tard ? La réponse parait évidente : il faut au plus vite rassembler toutes les forces disponibles de par l’Europe -est et ouest, nord et sud- afin de mener un combat à long terme contre l’extrême droite montante, néofascisme et néonazisme inclus.

7. Pour faire sens, et surtout pour pouvoir donner des résultats tangibles, ce rassemblement antifasciste européen doit être à la fois unitaire et radical, de masse et démocratique. Toute approche sectaire qui préfère exclure plutôt qu’unir, trahit une profonde incompréhension ou sous-estimation de la gravité de la situation, qui impose la constitution d’un front unique de tous ceux, sans exclusives, qui sont disposés à combattre la peste brune. Les leçons de l’entre deux guerres, celles de l’Italie des années 20 et celles de l’Allemagne des années 20 et 30, sont ici pour nous rappeler que le chemin le plus court vers le suicide programmé du mouvement ouvrier et socialiste passe par ses sectarismes et ses divisions face à la montée de l’extrême droite raciste, fasciste et nazie…

8. Pour pouvoir inspirer les antifascistes et répondre aux attentes des populations en ces temps de guerre sociale prolongée, ce rassemblement antifasciste doit être unitaire mais aussi radical. Ici, il ne s’agit pas seulement de constater que les combats contre les affameurs du peuple et contre l’extrême droite sont organiquement liés puisque l’extrême droite défend –en dernière analyse- le système et ses fondements économiques. Il s’agit de tenir compte de la révolte, même si elle est confuse et partielle, des victimes des politiques d’austérité contre le système qui les génère et le personnel politique qui les applique. Car c’est la « modération » d’une certaine gauche, perçue –à juste titre- par la population comme « mollesse » et refus de traduire en actes les belles paroles de gauche, qui fait tourner les masses paupérisées et désespérées vers les fascistes et autres extrémistes de droite presque partout en Europe…

9. Unitaire et radical, ce rassemblement antifasciste européen doit impérativement être aussi démocratique, fondé sur l’auto-organisation des citoyens. Pourquoi ? Parce que seuls les citoyens et citoyennes mobiliséEs peuvent combattre et battre l’extrême droite et parce que la conditionsine qua non pour qu’ils se mobilisent est qu’ils décident eux-mêmes de leur combat, de ses objectifs et de ses formes d’action. En somme, qu’ils prennent leur destin en main…

10. Mais il y a plus que ca. Si on veut se battre avec des chances de succès contre l’extrême droite, on doit le faire partout, en permanence et surtout de façon globale, sur tous les terrains, sans négliger aucun champ de bataille. Car il ne s’agit pas seulement d’affronter dans les rues les troupes d’assaut et autres milices et bandes racistes et néofascistes, mais aussi les énormes ravages que fait dans les esprits et les comportements la contre-révolution néoconservatrice, le retour de la pire réaction raciste, antisémite, homophobe et antiféministe et chauvine. Et tout cela parce que la montée actuelle d’une extrême droite de masse ne tombe pas du ciel, elle a été préparée par l’empoisonnement méthodique des nos sociétés par les « valeurs » égoïstes et antihumaines de la contre-révolution néolibérale, patriarcale et en dernière analyse, misanthrope et barbare.

11. Autrement dit, il n’est pas possible de se dire antifasciste tant qu’on n’est pas en guerre contre les piliers et la raison d’être de l’extrême droite, c’est-à-dire le racisme, l’homophobie, l’antisémitisme, le chauvinisme, le sexisme, et aussi le culte de la violence aveugle, du machisme et de l’intolérance. En quelques mots, une organisation politique ou autre ne peut pas pratiquer un antifascisme conséquent tant qu’elle reste homophobe, patriotarde, machiste ou… fait même parader ses militants au pas de l’oie.

Alors, qui peut donner toutes ces batailles quotidiennes sinon les premiers intéressés, les citoyens/ennes eux-mêmes, là où ils travaillent, habitent, étudient, se manifestent, nouent des rapports entre eux, s’aiment. La conclusion parait évidente : pour être efficace, l’antifascisme ne doit pas être l’affaire des appareils mais des citoyens auto-organisés partout où ils exercent leurs activités en tant qu’êtres sociaux. Un antifascisme qui ne s’attaquerait pas à tous les aspects de la contre-révolution réactionnaire en marche et qui se limiterait à combattre seulement ses épiphénomènes, serait condamné d’avance à l’impuissance…
12. Mais attention : vue l’extrême urgence d’une situation déjà critique, le vrai dilemme actuel n’est plus agir ou ne pas agir contre la menace grandissante d’extrême droite. Maintenant, il s’agit de se décider et d’agir vite, le plus vite possible, car on a déjà perdu énormément de temps précieux tant en Grèce et en Hongrie qu’ailleurs. Qu’on arrête donc de nous mettre en garde en nous disant qu’il ne faut pas laisser le serpent brun sortir de son œuf. Malheureusement, cet avertissement ne sert plus à rien car cela fait déjà longtemps que le serpent est non seulement sorti de son œuf mais qu’il est devenu un monstre qui se balade dans les rues semant la terreur au moins dans plusieurs de nos pays européens !…

Alors, décidons-nous vite et agissons ! Produit d’une initiative pour le moins atypique, leManifeste Antifasciste Européen * a le grand mérite d’exister et de nous mettre tous et toutes devant nos responsabilités. L’heure n’est plus ni à l’indécision des uns ni au fatalisme et à la passivité des autres. Elle n’est plus au sectarisme de ceux qui refusent de comprendre que seulement tous et toutes ensemble nous aurons la crédibilité nécessaire pour inspirer la volonté antifasciste des grandes masses citoyennes. L’heure est à l’unité et à l’action antifasciste, l’heure est à la création du mouvement antifasciste européen. Aujourd’hui ! Demain, il sera peut être trop tard…

* Campagne espagnole : www.antifascismeuropa.org
Campagne grecque : www.antifascismeuropa-ellada…
Campagne française : www.manifesteantifascisteeur…
Campagne slovène : www.odbor.si/antifa