par Nadia Ellis
Cela fait 48 heures que mon Facebook est inondé de messages populistes, racistes, haineux et violents. Je dis quarante-huit heures pour fermer l’œil sur le reste de l’année. J’en ai marre.
J’en ai marre de lire qu’il faut raser Gaza au sol. J’en ai marre de lire que ce sont tous des animaux.
Marre de lire, post après post, que « voilà les gens à qui on à faire, et le monde nous demande de faire la paix? »; marre de voir encore et encore la citation de Golda Meir qui dit que la paix arrivera quand les Arabes aimeront leurs enfants plus qu’ils ne détestent les nôtres. Parce que clairement, ceux d’entre nous qui n’arrêtent pas d’écrire qu’ « un bon Arabe est un Arabe mort » dégoulinent d’amour envers leurs enfants.
J’en ai marre de lire toute la panoplie de commentaires simplistes et victimaires, à commencer par l’omniprésente déclaration que nos trois adolescents ont été tués seulement parce que juifs. Non bordel, non.
Ils ont été tués parce qu’ils se sont retrouvés, victimes innocentes, piégés dans un conflit long et complexe où les deux parties impliquées ne voient que l’ennemi à éliminer derrière un miroir qui ne leur montre que leur propre (et unique) humanité : un conflit où nous, tout comme eux, nous pensons être les seuls êtres humains dignes de ce nom, alors que les autres ce sont les « animaux ».
Oui, il y en a qui détestent les Juifs chez eux et ils sont peut-être même la majorité; mais ce n’est pas seulement pour cette raison que ces trois garçons ont été assassinés. Et soit dit en passant, ce n’est pas un droit que de faire du stop, à 16 ans, dans des territoires où la haine et le conflit transpirent à tout coin de rue; j’en ai marre de lire aussi que c’est chez nous, et que nous avons donc bien le droit d’y faire ce que nous voulons.
J’en ai marre de voir que nous sommes devenus des partisans d’un match de foot de bas étage. Que tout ce qui compte est de battre (dans tous les sens du terme) l’adversaire, car nous appartenons à l’équipe des bons, eux celle des mauvais. Des méchants. Des barbares. Des extrémistes. Eux, ce sont ceux qui distribuent des bonbons et veulent danser sur nos tombes. Eux. Tous. Un peuple (quand on veut bien leur accorder le statut de peuple, car nous n’arrêtons pas de dire qu’ils se sont inventés rien que pour nous emmerder), tout entier, de bétail ayant pris une apparence humaine.
Mais les humains, je n’arrête pas de le lire, les humains c’est nous. Nous! Nous qui demandons à ce que l’armée en détruise encore et encore des maisons palestiniennes, et qui regardons à la télé le feu démembrer leurs appartements comme autrefois on regardait les flammes engloutir les sorcières.
Nous prétendons être les seuls porteurs d’humanité alors même que l’on déclare, fiers de notre Judéité qui selon nos sages se résume dans l’amour du prochain, que nous sommes tellement meilleurs qu’eux. Car le racisme, quand il vient de nous, est tout à fait humain.
Que ce soit clair, j’aime Israël et le fait même que je doive le spécifier est symptomatique du mal qui nous ronge: si l’on critique, c’est que nous ne sommes rien de plus que des « self-hating Jews », des juifs honteux. J’en ai marre de ça aussi. De la peur de m’exprimer sur cette toile imbibée de préjugés, où supporter Israël signifie se taire sur ses défauts, ses problèmes, ses injustices, ses crimes.
On traite Israël comme on commente la Torah : si quelque chose dans nos Textes n’a pas de sens ou n’est pas juste, il faut partir du présupposé que c’est un fait exprès pour nous révéler quelque message. Car la Torah est juste par définition. De la même manière, même lorsque l’on est confronté à des comportements ou des choix qui sont clairement injustes ou illégaux de la part d’Israël, il faut leur trouver une justification car par nature, Israël a toujours raison et n’agit que pour le bien. Mais Israël c’est nous, et clairement, nous n’avons pas toujours raison.
J’ai pendant longtemps fait partie de ce type de supporteurs d’Israël. Je ne voulais pas m’avouer que parfois Israël aussi se trompe, et que les Juifs aussi savent être racistes, violents et injustes. En fait, je ne voulais pas voir ce que la plupart des Juifs s’attribuent, tout en le niant aux autres: notre humanité. Mais l’humanité, c’est ce qui nous rend faillibles, pas ce qui nous rend parfaits.
Nous naissons tous avec la même prédisposition au bien et au mal; ainsi, les Juifs et les Arabes naissent avec les mêmes instincts, les mêmes besoins et plus tard, les mêmes envies. Les conditions dans lesquelles on évolue sont celles qui déterminent, en grande partie, l’adulte que l’on devient. Et même si chacun a la responsabilité de ses actions, il faut aussi essayer de comprendre le contexte qui nous amène à devenir ce que nous sommes. Cela vaut pour les Palestiniens, les Juifs, et tous les autres.
Nous ne faisons que demander que l’on comprenne notre souffrance, mais nous n’arrivons même pas à voir (encore moins comprendre) celle des autres. Elle existe, et elle n’a pas moins de valeur que la nôtre.
C’est un conflit sale et complexe, ce n’est pas un match de foot. Il est temps de descendre des tribunes et de regarder de plus près « le camp adverse ». Et puis, de nous regarder dans la glace et de nous rendre compte que nous avons bien plus en commun avec eux qu’on ne voulait bien le croire pendant que l’on hurlait, avec tapage, des chants de stade.
Voilà c’est fait. C’est dit, et maintenant je suis prête à me faire traiter de sale gauchiste, de pacifiste utopique, d’ignorante qui n’a rien compris au conflit, et plus si affinité. C’est parce que j’ai eu peur de ce genre de commentaires que je n’ai pas osé m’exprimer sur Facebook jusque maintenant. Mais ça y est, cette première entrée de mon blog représente ma sortie du placard : je suis une juive israélienne, et je ne demande pas vengeance.
http://frblogs.timesofisrael.com/ma-sortie-du-placard-sur-internet/
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