Bonjour
voici le témoignage d’une enseignante de Strasbourg touchée par l’expulsion de 2 de ses élèves
Moi, Laurence, professeure des écoles, ai dû faire face à l’ « expulsion » de deux de mes élèves…
Mardi 20 avril 2010 :
« Pourquoi Tamila et Magomed ne sont-ils pas à l’école ? Ils ne semblaient pas malades hier… » se demandent leurs camarades de ma classe…
Ils m’avaient dit la veille que leur famille changeait d’hôtel ce mardi. D’habitude, ils venaient quand même à l’école le jour du changement d’hôtel. A plusieurs reprises dans la journée, l’un ou l’autre des élèves s’étonne de leur absence. Prémonition ?
A la sortie de l’école, à 16h30, l’information m’est communiquée par une maman d’élève qui a été témoin : la famille a été arrêtée dans l’après-midi, parents menottés, enfants en pleurs…
J’ai le mercredi pour rassembler les informations. La famille est en effet au Centre de Rétention Administrative de Metz – celui de Geispolsheim n’accueille pas de familles. Cette famille tchétchène devrait être « réadmise » vers la Pologne très rapidement.
La nouvelle m’atteint comme un coup de poignard. Mais il me faut très vite réfléchir à comment annoncer la nouvelle le lendemain à mes élèves. Je compile sur CD les photos prises à l’école depuis le 12 octobre, date d’arrivée de Tamila et de Magomed dans la classe. Peut-être pourrons-nous encore leur transmettre…
Jeudi 22 avril 2010 :
Finalement, la nouvelle de l’arrestation de Tamila et Magomed circule déjà dans les rangs. L’abattement, la tristesse des élèves sont perceptibles. Et les questions fusent.
Où sont-ils ? Pour combien de temps sont-ils partis ? Quand reviennent-ils ? Est-ce qu’ils vont à l’école ? Pourquoi ont-ils été arrêtés ? Qu’est-ce que leurs parents ont fait de mal ?
Pas de réponse à ces questions… L’insécurité gagne tous les élèves et le besoin de communication avec Tamila et Magomed émerge : je leur propose d’envoyer les CD de photos. On faxe aussi des dessins et un petit mot. La journée fut pesante pour tous.
Vendredi 23 avril 2010 :
Le Juge de la Liberté et de la Détention n’a pas libéré la famille jeudi après-midi. La situation de la famille est sans issue : elle sera renvoyée tôt ou tard vers la Pologne.
Comment expliquer aux enfants la réglementation de « Dublin 2 »* ? Car pourquoi la Pologne alors qu’ils sont tchétchènes ?
Le désarroi des élèves est très grand. Certains sont muets, d’autres veulent comprendre. Je peux répondre à certaines questions mais pas à celle du « Pourquoi ? »
Les élèves préparent encore un courrier avec les travaux que Tamila et Magomed avaient laissés en classe. Ils me demandent si on peut leur téléphoner. Alors, on appelle. Quelques échanges touchants et réparateurs pour les élèves en classe : Tamila et Magomed n’ont pas « disparu », ils existent encore quelque part ( mais dans un lieu inexplicable : « Pourquoi des enfants sont-ils en « prison » ? »).
Chacun a du mal à se concentrer au travail, la journée est entrecoupée par l’une ou l’autre question récurrente : pourquoi… ? pourquoi… ?
Et chacun part en week-end avec toujours les mêmes interrogations.
Lundi 26 avril 2010 :
Journée aussi très lourde, remplie de questions par les élèves
Mardi 27 avril 2010 :
La nouvelle m’est communiquée dans l’après-midi : la famille a été embarquée dans la matinée, les parents n’ont pas refusé d’embarquer et sont à cette heure en Pologne. Et à nouveau, les questions des élèves :
« Qu’est-ce qui va se passer pour eux ? Où vont-ils habiter ? Est-ce qu’ils vont rester en Pologne ? Mais, ils ne parlent pas polonais, ils vont devoir apprendre le polonais ?… » Questions auxquelles je n’ai vraiment aucune réponse…
Pour permettre à chacun de sortir de la tristesse et pour que chacun comprenne qu’après un départ, une séparation, il reste toujours des souvenirs, j’ai proposé aux élèves de dessiner et d’écrire un de leurs souvenirs avec Tamila et/ou Magomed. On en a fait un livre…
Lors d’une entrevue le mercredi 28 avril 2010 avec un fonctionnaire de la Préfecture, à ma remarque qui soulignait que je n’avais été formée ni à vivre personnellement ni à expliquer « la reconduite à la frontière d’un élève » à ses copains de classe, la réponse fut : « Et bien, il faut que le système change ! »
A quand donc, une animation pédagogique s’intitulant : « l’accueil et l’expulsion d’enfants étrangers » ?
A quand donc, des psychologues scolaires formés à cette problématique qui géreraient une cellule psychologique ?
« Mon papa dit souvent que la vie est dure, mais là, pour Tamila et Magomed, la vie n’est pas gentille » conclut une élève de 9 ans.
Et, quelques semaines plus tard, certains élèves ne peuvent encore se résoudre à la coupure et voudraient pouvoir envoyer un dessin, un cadeau ou écrire un petit mot à Tamila et Magomed…
Strasbourg, le 12 mai 2010
* La réglementation « Dublin 2 » offre à chaque état de l’espace Schengen la possibilité de renvoyer un demandeur d’asile dans le premier pays de cet espace dans lequel il a été contrôlé, comme elle offre à chaque état la possibilité d’accorder à ce même demandeur d’asile le droit de demander l’asile.
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