Après la destruction du bâtiment de la Foire européenne à Strasbourg…
Freddy Grosskosch revient…
Avec 3 photos de ce matin sous la pluie (voir infra) + Capa
Coup de pompes au Wacken…
Le quinze août est la fête des marris. C’est alors que se démolissent, dans la ville vide, les îlots sensibles. Soit le patrimoine lorsqu’il rapportera plus à disparaître qu’à astiquer. Ainsi sont partis cent mètres de muraille romaine haute jusqu’à six mètres pour parpiner dans les années soixante-dix quai Lezay-Marnésia un clapier à bourgeois qui se décote déjà. Ainsi ont disparu les beaux colombages de la clinique Sainte-Barbe sous l’œil froid d’un chirurgien faisant appel « au progrès médical » tout en se piquant d’archéologie, un pastiche en toc des érudits de jadis. C’est là que se détruit au Wacken le dernier bâtiment d’origine du Parc des expositions de Strasbourg, son entrée en portique. Une semaine avant la fête mariale, certes, mais il faut financièrement tenir compte du réchauffement des pas nets.
Le spectacle est pathétique, c’est à dire à la fois grandiose et monstrueux, à la façon des engins qui scarifient l’Alsace à coup de GCO. Les pelleteuses, leurs mâchoires précises et tout tombe dans un temps d’horloger… Même les Dernières Dentelles d’Alsace s’en sont émotionnées. Ce n’est pas un très gros article mais il a son accroche en une. Et puis, son journaliste, fait rare, a pu faire du journalisme. Olivier Claudon annonce mardi 7 août en chapo : « Contrairement à ce qui a été annoncé, le portail historique du Parc des Expositions est en cours de démolition. » Il déroule la forfaiture habituelle dans une candeur qu’on lui accorde volontiers de feinte, de la rouerie un zeste médiaparteuse : « C’est une surprise, parce que les promoteurs du quartier d’affaires ont toujours affirmé que ce portail serait préservé. » Il rapporte le grand écart de Daniel Betz, monsieur Wacken de l’Eurométropole : « Il a toujours été prévu qu’il passe par une démolition, le maintien en tant que tel n’a jamais été envisageable. » Traduire : creuser en sous-œuvre le parking souterrain aurait coûté trois sous de plus, car la surface n’est pas énorme, mais on n’est jamais assez complaisant avec le souci d’économie des investisseurs. Ici, le confrère risque sa carrière pour suggérer : « C’est pourtant l’idée qui était avancée par différents élus ». Depuis toujours. Et le bureaucrate aux entrechats de jésuiter : « C’est peut-être toute l’ambiguïté des mots qui ont été utilisés […]. Le terme “préserver” était peut-être impropre. » Mais vouaillions… Puis : « On peut dire qu’il y a préservation, mais à l’issue d’une phase de reconstitution. Ce qui a un réel intérêt, c’est l’image du bâtiment. »
Nous y sommes, la culture du virtuel ! On rebâtira donc, c’est promis, un simulacre de la façade devant un immeuble d’affaires tout à fait banal.
Les projections (virtuelles encore) des architectes ne laissent pas d’inquiéter sur la sincérité de la chose : la reconstruction semble sous-dimensionnée, la colonnade art-déco peut-être tronquée. Quel matériau, quelle épaisseur ? C’est un flou très flou mais peu artistique. Il existe un exemple cruel de ce genre d’évocation à minima. Le long du canal Saint-Martin, à Paris, on a bâti un hôtel qui ne cesse d’être indigent. Inutile qu’il soit beau, puisque l’essentiel est que les autocareux qu’on fait dormir là voient la beauté alentour de leur fenêtre. Et tant pis pour les autres. Mais il y a pire : cet hôtel fut l’Hôtel du Nord, légendaire depuis le film éponyme (Marcel Carné, 1938). Devant cette menace, il a eu dans le quartier émotion, pétition, etc. Alors on a façadé sur une façade de métal et verre qui la dépasse du double une évocation torchée au moins cher de la modeste façade à deux étages d’origine, avec les grandes lettres Hôtel du Nord. Rien de plus, ni dehors, ni dedans. La toile (internet) n’existait pas tout à fait à ce moment-là, les ordinateurs balbutiaient. Mais il fut question d’ « image », d’un virtuel avant l’heure. Suivez la démonstration : en fait, la façade de l’hôtel fut reconstituée ailleurs pour les besoins du tournage. Donc comme la façade célèbre est n’est qu’un décor, le petit-peu qui remplace la vraie-façade-qui-a-inspiré-le-décor n’a pas besoin d’être plus vraie.
Certes, le bâtiment de la foire exposition n’était pas un chef d’œuvre d’architecture Art-déco (Paul Dopff, 1924). Mais il relève d’une période-clé : le retour de l’Alsace à la France et les efforts de Paris pour compenser l’aisance dont bénéficiait l’Alsace dans la sphère économique allemande. Serait-ce un contre-balancement à la soudaine extase Neustadt qui nous teutonise-tétanise ? Un autre monument en a fait les frais : l’armement Seegmuller. Certains architectes locaux se sont acharnés dessus au nom de pulsions soixanthuitardes surannées qui veut que quand on casse l’avant, on fait nécessairement du neuf. Même le couple Ibos et Vitard, des poulains de Jean Nouvel (Médiathèque Malraux), est tombé dans le panneau, il faut bien faire tourner son agence. La qualité architecturale n’est pas l’essentiel quant au vestige du Wacken : il s’agit de sa mémoire. Le théâtre, certes, si l’on oublie qu’il s’agit de la recentralisation (boboïsation) d’un théâtre que se voulait populaire dans un quartier « sensible » et expérimental par ses mailles qui n’en finissent pas d’être défigurées en tout-venant urbain (Parent, architecte).
Il y a plus, et plus ancien : dans la grande salle aux nervures et coursives intérieures de béton, celle de… gauche, ont eu lieu les réunions du Front populaire, lorsque le parti communiste de Strasbourg parlait allemand, la langue populaire. Et les réunions anti-fascistes… D’une d’elles, il reste la photographie de Robert Capa où une rangée d’Alsaciennes en costume folklorique lèvent le poing sous une banderole de propagande. C’est tout près du portique que la jeune République soviétique fait construire par Mikhaïl Larionov un de ses premiers pavillons constructivistes à l’étranger. Maintenant, le portique-portail qui a vu passer, en plus des visiteurs, tant de manifestants, servira d’entrée à une multinationale de la basket hors-de-prix. Christian de Portzamparc, le fin architecte humaniste, n’avait pas prévu une telle chute pour le pavillon au portique qu’il préservait sur ses plans, si le grand-écarteur de l’Eurométropole veut bien s’en souvenir. Mais que compte un Nobel d’architecture (on dit prix Pritzker) face au gratte-petit-gagne-gros de l’immobilier d’affaires ? Catherine (Trautmann) avait su discrètement préserver le cinéma l’Odyssée (l’épopée spartakiste) et l’Aubette (la modernité Arp & cie). Alain Fontanel, premier adjoint et adjoint à la culture, accomplit ici son premier faux-pas patrimonial et mémoriel. Mais qu’est-ce qui compte dans un irrésistible élan politique ? Un certain libéralisme macronien se vit ici, en laïve, pour frangliser comme nos crânes d’œuf. Car il est vrai que le manifestant à l’ancienne n’est pas aussi juteux que l’acheteur de souliers-de-sport-multinationaux-pour-obèses-de-canapé. Autrement dit : les groles de manif ou les baskets de vitrine : ce n’est pas la même façon d’être en marche. Em Arsch…
Freddy Grosskosch