Discours d’Ismahane Chouder à la Marche contre l’islamophobie 10 novembre 2019
Marche contre l’islamophobie 10 novembre 2019
Comment faut-il vous le dire ?
Une nouvelle fois, la surenchère islamophobe est au rendez-vous chez nombre de politiques relayés par des médias porte-voix.
Depuis la rentrée, chaque jour compte une nouvelle ignominie, une nouvelle indignité, particulièrement à l’endroit des femmes musulmanes qui portent un foulard.
Dans ce contexte, celles et ceux qui combattent l’islamophobie sont stigmatisés, dénigrés, calomniés. Les campagnes coordonnées de réseaux hétéroclites ont pour objectif d’intimider pour réduire au silence les voix qui s’élèvent contre le racisme anti-musulman.
Comment faut-il vous le dire ?
Vous pouvez continuer à nous appeler, nous nommer et répéter de toutes les façons possibles, musulmans, islamistes, frères musulmans, islam politique, communautarisme…
tel un mantra. Nous continuerons à dénoncer l’islamophobie, revendiquer l’emploi et l’usage du terme, nous engager et nous mobiliser pour des droits égaux, la justice et la dignité. Rien de plus mais rien de moins !
Nous ne nous tairons pas ! et continuerons de vous mettre face à vos atermoiements, reculades et autres renoncements sur les droits humains. Le 2 poids 2 mesures dans l’invocation des principes et valeurs que vous mobilisez sur le seul registre incantatoire.
Comment faut-il vous le dire ?
Nous ne sommes pas dupes. Cette libération de la parole islamophobe n’est pas fortuite, n’est pas accidentelle. Vos mots ont armé la carabine, selon la formule consacrée.
Elle est orchestrée, tricotée depuis au moins 30 ans ! La déferlante islamophobe à laquelle nous assistons depuis plusieurs semaines est en effet une étape supplémentaire dans le développement des discours et des politiques stigmatisants et discriminatoires à l’égard des musulman-e-s.
Comment faut-il vous le dire ?
Ras-le-bol des polémiques de diversion.
Ras le bol de l’argument éculé du voile tantôt symbole d’oppression tantôt étendard de « l’islam politique » !
Ras le bol de cette mascarade pseudo républicaine, pseudo féministe, pseudo laïque.
La République ? Nous connaissons merci. Surtout celle du mépris, esclavagiste, coloniale, et patriarcale.
La laïcité ? Nous connaissons merci. Nous voulons l’application égalitaire de la loi de 1905. Celle de Briand et de Jaurès. Celle qui réconcilie ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y
croient pas. Pas celle dénaturée et dévoyée, brandie sous forme d’un racisme décomplexé et respectable contre les musulman-e-s.
L’égalité hommes/femmes nous connaissons merci. Et elle ne réside sûrement pas dans votre façon de nous expliquer que vous nous discriminez pour notre bien quand vous voulez nous priver d’école, d’université, de travail, de plage, de restaurant, de bowling, de piscine, de sorties scolaires, de sport. Elle ne réside certainement pas dans vos insultes, discriminations, violences verbales et physiques, menaces, production d’une législation d’exception à l’endroit d’un « corps d’exception ».
Comment faut-il vous le dire ?
Ne nous libérez pas. Nous nous en chargeons ! Nous savons faire. L’Histoire coule dans nos veines. Nous savons que le projet colonial français était centré sur le contrôle du corps des femmes musulmanes. Nous avons appris les cérémonies de dévoilement en place publique sous l’Algérie occupée.
Libération ? Non. Emancipation ? Non plus. Humiliation, domestication, soumission… absolument !
Les polémiques récurrentes nauséabondes et nauséeuses autour du foulard, sous le couvert d’un féminisme à géométrie variable, semblent finalement se résumer à cela : déshabiller la femme musulmane.
Nous vous invitons à vous attaquer aux féminicides, aux violences conjugales et sociales, à l’exploitation des femmes et non aux symboles présumés de cette exploitation.
Laissez-donc les femmes s’habiller comme elles le veulent.
Qui décide de ce que peuvent ou pas porter les femmes. Ces polémiques ne sont pas anodines, elles découlent d’une volonté de restreindre leur liberté au prétexte de les civiliser.
Comment faut-il vous le dire ?
Cessez de nous infantiliser, de nous silencier, de nous invisibiliser en prétextant nous libérer malgré nous.
Ces polémiques constituent un véritable piège pour le mouvement féministe : elles conduisent à casser la solidarité entre femmes, en mettant d’un côté les femmes musulmanes, avec ou sans foulard, victimes soumises et jamais considérées comme actrices de leur émancipation, sauf si elles manifestent leur adhésion aux « valeurs républicaines et laïques » dévoyées et instrumentalisées seules capables d’édicter les normes de l’égalité hommes-femmes et les chemins de la libération pour toutes.
Comment faut-il vous le dire ?
Nous sommes chez nous et nous y resterons tels que nous sommes, tels qui nous sommes, dignes y compris avec nos foulards, nos barbes (avec ou sans moustache au demeurant), nos qamis ou djellabas, nos cals de prière sur le front, notre ramadan, nos prières du vendredi…
Votre négation du réel, votre déformation de la réalité, vos mensonges et manipulations, votre refus de nous voir tels que nous sommes mais tels que vous nous souhaitez (polis, invisibles, apolitiques) à l’image de vos fantasmes déshumanisants, nostalgie coloniale, désillusions d’avoir échoué à nous assujettir ne font que développer et renforcer notre résilience, notre résistance, notre dignité, nos attachements (citoyen, pluriculturel, humain, spirituel).
Vous êtes prêts à aller jusqu’à changer la loi qui nous protège pour espérer pouvoir arriver à nous domestiquer, nous assujettir, nous contrôler, nous blanchir.
Comment faut-il vous le dire ?
L’islamophobie est le seul racisme qui doit être dissout et dilué dans un racisme plus global et qui subit l’injonction récurrente d’être dénoncé sous condition, toujours mentionné/cité et arrimé à la dénonciation de tous les racismes. D’aucuns passent leur temps à nous dire que la lutte contre la haine doit être unitaire. Nous vous répondons haut, fort et clair : Chiche ! Vous avez laissé faire et maintenant il est venu le temps des Justes pour les musulman-e-s !
Parce que comment faut-il vous le dire ?
Tout ce qui se fait sans nous se fait contre nous.
Nous sommes les premier-e-s concerné-e-s, visé-e-s, ciblé-e-s par la haine islamophobe et de ce fait nous sommes légitimement à la manœuvre pour nous organiser et organiser la riposte. Dans le même temps, la violence qui est faite aux musulman-e-s de notre pays est faite à tou-te-s.
Nous n’en sommes plus à demander, à quémander… nous exigeons de vous le respect pour les principes républicains et responsabilité.
Nous ne défendons pas « les musulmans », mais l’avenir de la société française dans laquelle nous voulons vivre dans sa diversité. Nous représentons un espoir que les faiseurs de haine risquent de détruire.
Nous resterons mobilisés avec toutes celles et ceux de bonne volonté, pour et au nom de la justice, de la dignité, de la fraternité et de la paix.