La sécurité a bon dos.
Il n’y a rien de neuf dans ce qu’Israël vient de faire au large de Gaza. Il y a des lustres que le pouvoir israélien prend le bon sens du monde en otage. Provoque et alimente ses ennemis, jusqu’à la folie. Transgresse le droit, la loi, les limites. Table sur la peur pour faire peur à la paix. Ne comprend le rapport au voisin qu’en termes de mépris et de force. Condamne l’avenir en sabotant le présent. Met son peuple en danger au prétexte de le protéger, offense sa mémoire au nom de la mémoire. L’entretient dans l’ignorance et la haine du Palestinien. Transforme les chancelleries en serviteurs obséquieux. Met en échec tous ceux qui, dans le monde arabe, essayent de construire des ponts, de calmer les esprits. Instaure l’apartheid en se proclamant démocrate. Traite d’antisémite quiconque ose lever le doigt et se réjouit de l’antisémitisme qui justifie les ghettos, les murs, l’enfermement. Ne rate pas une occasion de mettre le feu, partout où le bois est sec. Partout où les gens sont humiliés, les têtes explosives. Se moque de ses dissidents qui peuvent toujours causer. Se moque de l’Europe qui paye, sans broncher, les factures des lendemains de bombardements. Se moque à présent de Barack Obama et de ses désirs de paix. Il demande l’arrêt de la colonisation ? Elle repart de plus belle. Il pousse la Turquie à raisonner l’Iran? On torpille la Turquie. Il plaide pour un monde sans nucléaire ? Grand bien lui fasse. C’est bon pour les autres.
Et après ? Jusqu’où ? Jusqu’à quand ? Les grandes puissances auront-elles, cette fois, la volonté élémentaire de retirer à Israël son permis de conduire au bord du précipice? Auront-elles le courage de renoncer à traiter ce pays en exception? De voir en ce « traitement de faveur », l’aveu d’une dangereuse lâcheté ?
Qu’Israël, grisé par son impunité et sa puissance, pousse toujours plus loin son droit d’en user, d’en abuser, c’est irresponsable, mais c’est cohérent. Ce qui n’est ni cohérent ni responsable, c’est l’entêtement de l’Europe et des Etats-Unis à se laisser intimider par ce pays roi, gratifié d’avance, quoi qu’il fasse, du droit au dernier mot; À se laisser dicter, par lui, l’ordre du jour, le ton, la conduite, l’échelle des valeurs et des priorités. À lui inventer des excuses chaque fois que s’impose la sanction. À le semoncer un peu, pour toujours mieux le conforter. À confier, pour finir, le destin de la région, et peut-être bien davantage, à sa terrible conception de la survie: l’état de guerre permanent. Ce dernier constituant, en soi, l’état d’exception, la sortie du droit. La mort anticipée de toute négociation. Partant de là, la boucle est bouclée. La sécurité a bon dos : l’impasse engendre l’impasse, la surenchère, la surenchère, la haine, la haine. Le tout sur pied de guerre. Israël est servi : Ahmadinejad est à la hauteur du rôle. Et puisque nous l’évoquons, venons-en à la question majeure – aussi taboue que décisive – de ce conflit : Jérusalem. En l’ayant abandonnée à Israël, en ayant renoncé au projet du « bon sens » ainsi que l’appelait Germaine Tillion, celui qui en aurait fait le centre et le bien commun des trois monothéismes, l’Occident a capitulé sur l’essentiel : le lieu physique et symbolique de la paix.
Dommage. Il y a eu un moment où arabes et israéliens sont sortis de leurs tranchées, où ils se sont regardés. Où ils étaient presque prêts à faire cohabiter leurs mémoires. Ce qui est grave, très grave, c’est qu’Isarël est en train de reprendre aux yeux du monde arabe et musulman la figure d’un ennemi sans visage. Il n’est de pire danger pour un peuple que de priver son adversaire du moyen de le connaître.
Cette dernière répétition sera-t-elle la répétition de trop ? Obama aura-t-il la force de dire haut et fort : à présent ça suffit ! ? Pour l’heure, il semble que non. On condamne, on ferme les yeux, on attend que ça retombe. Et on se paye le luxe, avec ça, de ne pas comprendre ceux qui pètent les plombs.
Dominique Eddé
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