Georges Yoram Federmann

5 rue du Haut Barr

67000 Strasbourg.

Strasbourg , le 28 mars 2020.

Chère famille, chers tous,

Dédé s’en est allé.

J’ai appris sa mort par internet vendredi 27, par le message de Roger Winterhalter et en lisant la Feuille de chou de J-C Meyer, le lendemain.

Nous sommes restés en contact jusqu’au bout tant nous étions attachés l’un à l’autre et tant nous nous aimions.

La mort s’impose à nous, insaisissable, insensible, péremptoire et cynique.

Mais aussi, peut-être, comme la marque puissante d’une intemporalité à laquelle chacun aspire.

Intemporalité de l’amour (de la haine parfois aussi) de la mémoire, de l’espérance et de l’enthousiasme.

Au-delà de la douleur.

Au-delà de la stupeur.

Au-delà de l’isolement et de la solitude dans lesquels nous plonge la confrontation à l’absence de celui qui s’en est allé.

Et cette étrange découverte : celle qui rend omniprésent, à notre cœur et à notre esprit, celui que la mort a emporté.

Que la mémoire se mette à l’ouvrage et préserve l’œuvre de l’absent afin de poursuivre inlassablement l’œuvre collective.

Dédé a fait preuve d’une confiance en la vie incroyable et contagieuse.

Il la traduisait dans ses caricatures qui réveillaient très souvent un comique irrésistible tant « les cyniques capitalistes » ( il ne pensait jamais en terme moral de méchanceté ) n’hésitaient pas à « croquer » les ouvriers, les pauvres, les sans papiers, les chômeurs et les salariés exploités.

Il m’a beaucoup appris sur la vie et sur la manière d’espérer et de résister, sans haine avec foi et confiance malgré les obstacles, les douleurs et les maladies.

Je l’ai croisé régulièrement dans les manifestations à Mulhouse (à la MCM ou auprès des amis chômeurs ou sans papiers) ou à Strasbourg.

Avions-nous porté ensemble le cercueil de Jean-Pierre Sallent à Lutterbach ?
Je me souviens de cette montée, de l’ église ( où j’avais pris la parole et évoqué la Sortie d’ Egypte des hébreux derrière Moshé, le bègue) digne de l’ascension du Puy de Dôme ou du Mont Ventoux.

Le 12 mars, il cherchait encore des stages pour des jeunes migrants.

Sa voix ronde et chaude, ferme et tendre, rassurait, berçait et maintenait en vigilance.

Une volonté farouche portée par la douce et inébranlable conviction du cœur.

Nous avions évoqué la possibilité de réaliser un livre ensemble.

Tous ses messages étaient consistants malgré leur densité.

Il ne parlait pas pour ne rien dire.

Il faut dire que le dessin, en plus de ses dispositions orales, le rendait difficile à déborder, comme un arrière des Fidji à domicile, au rugby.

Et puis j’ai retrouvé 15 caricatures qu’il m’avait dédiées le 19 novembre 2016 où il s’était «  lâché » sur le thème du Judenhut. Inoubliable.

Je dois le texte qui suit à des amis jurassiens qui m’ont offert un livre sur l’artiste Josette Coras de Baume-les-Messieurs, disparue en mars 2008.

J’admirais la capacité d’écoute de Josette et son hospitalité à l’humain, sa générosité.

Elle trouvait le trésor caché en chacun de ses interlocuteurs.

J’ai été touché de trouver à la fin d’un livre qui lui été dédié une lettre posthume qu’elle avait adressée à ses amis et que je vous livre tant elle m’a bouleversé et tant je peux y reconnaître André.

(J’ai cru pendant près de 12 ans que cette prière était de Josette Coras mais elle est tirée du patrimoine Indo-Tibétain, ce qui ne la rend pas moins belle).

«  Quand je ne serai plus là, relâchez moi, laissez-moi partir,
Ne pleurez pas en pensant à moi
Soyez reconnaissants pour les belles années.
Je vous ai donné mon amitié,
Vous pouvez seulement deviner le bonheur que vous m’avez apporté
Je vous remercie de l’amour que chacun m’a démontré.
Maintenant il est temps de voyager seul.
Pour un court moment vous pouvez avoir de la peine
La confiance vous apportera réconfort et consolation.
Nous serons séparés pour quelques temps
Laissez les souvenirs apaiser votre douleur.
Je ne suis pas loin, la vie continue.
Si vous avez besoin de moi, appelez-moi et je reviendrai
Même si vous ne pouvez me voir et me toucher, je serai là.
Et si vous écoutez votre cœur,
Vous éprouverez clairement la douceur de l’amour que j’apporterai.
Et quand il sera temps pour vous de partir,
Je serai là pour vous accueillir
Absent de mon corps, (présent à Dieu. Excuse-moi Dédé , je sais pas si as pu te convertir in extremis)
N’allez pas sur ma tombe pour pleurer, je ne suis plus là, je ne dors pas.
Je suis les mille vents qui soufflent
Je suis les scintillements des cristaux dans la neige
Je suis la lumière qui traverse les champs de blé
Je suis la douce pluie d’automne
Je sui l’éveil des oiseaux dans le calme matin
Je suis l’étoile qui brille la nuit.
Je ne suis pas mort. »

Acceptez, chère famille, chers tous, mes affectueuses et tendres condoléances en mémoire de Dédé et l’évocation de tant de précieux souvenirs communs tout au long de ces années d’engagements politiques et associatifs.

Puis-je vous confier ce magnifique poème d’ Erich Mühsam * qui m’a déjà tant de fois consolé et dynamisé, une fois la peine du deuil un peu estompée ?

Bonne route, chère famille, chers tous, au delà de la peine, de la douleur et du sentiment d’abandon.

Georges Yoram Federmann

* Celui pour qui le soleil ne brille plus
Il n’a plus besoin d’amour.
Combien de chagrins pleurent pour lui,
Il n’a pas besoin de le savoir.

Hommes, laissez les morts tranquilles
A vous appartient la vie
Chacun a bien assez à faire
A lever le bras et le regard.

Laissez les morts ils sont libres
Dans le sable humide.
Vous, sortez de l’esclavage,
De la misère et de la honte.

Un combat vaudrait-il des lauriers,
Epargnez à la mort ces cadeaux !
Mais reprenez l’épée du mort
Et menez son combat jusqu’à la fin.

Voulez-vous faire quelque chose de bien
Pour ceux que la mort a rencontrés.
Hommes, laissez les morts tranquilles
Et accomplissez leur espoir.

Erich MUHSAM.